L’épidémie COVID vue de l’intérieur

Le 19 avril, à l’heure où j’écris ces lignes, nous avons enfin atteint le plateau tant espéré de la vague de COVID-19, grâce au confinement. Ce qui s’est déroulé ces dernières semaines était tout bonnement inimaginable. Comme on ne parle bien que de ce que l’on connaît, je propose de retracer en quelques lignes ce qui s’est passé à l’Hôpital Foch. Commençons par ce qui est le plus impressionnant, le développement des lits de réanimation. Nous avions 14 lits de réanimation, nous sommes aujourd’hui à 56 lits de réanimation et 8 lits d’USI. La médecine n’est pas en reste puisque nous avons créé ex nihilo 113 lits d’hospitalisation dédiés aux patients COVID. On soulignera dans cette crise la flexibilité des soignants. Nous avons dans notre équipe des diabétologues venus nous prêter main forte, mais il y a également des neurologues et des chirurgiens thoraciques faisant équipe avec les internistes. Des anesthésistes et des réanimateurs des cliniques alentour sont venus aider, mais également des infirmières venues de régions moins touchées que l’Ile-de-France. Une Direction qui s’est mobilisée entièrement dans le sens du soin, c’est à souligner. À la date du 19 avril, l’Hôpital Foch a, au total, hospitalisé 506 patients COVID-19, dont 158 en réanimation et soins intensifs ; 67 % des patients hospitalisés sont rentrés à domicile, 18 % ont été transférés vers un SSR ; 50 patients sont décédés, dont 20 en réanimation. Le taux de décès a été de 10 % (6 % des patients dans les unités de médecine et 13 % des patients de réanimation). Sur les 158 patients en réanimation, 93 sont sortis vers des unités de médecine, 2 ont été transférés en SSR et 20 sont décédés. La vague est arrivée et nous avons tenu bon. Vous verrez dans l’article du même numéro que cette vague ne correspond pourtant qu’à seulement 12 % de personnes infectées en Ile-de-France, gare au déconfinement ! Je n’ai jamais vu la connaissance médicale progresser aussi rapidement. Des échanges entre médecins sur différents réseaux sociaux, faisant circuler les articles, les cas cliniques et les points de vue, la mise à disposition des articles gratuitement et avant même leur publication a contribué à une diffusion de l’information médicale comme jamais auparavant. En quelques semaines et parfois du jour au lendemain nous adaptions nos protocoles. Nous avons lancé des projets de recherche et testé des médicaments. Malgré tout, les soignants ont souffert. Car cette maladie ne les épargne pas. Alors que la première phase de contamination était clairement ambulatoire pour les soignants, avec des personnes contacts à l’extérieur de l’hôpital, la deuxième phase était clairement hospitalière. Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu par nos collègues chinois et italiens du haut potentiel de contamination des soignants dans cette maladie. En France, à cette date, 4 000 médecins ont été frappés par le COVID-19 et 18 sont décédés. Et les soignants ont vu apparaître ce paradoxe de devenir un paria à la maison. Ils me rapportaient la défiance de leurs proches à leur égard, de craindre d’être infecté : « Va dormir au salon ! ». Le soignant sauveur de vies dans la journée à l’hôpital, se transforme le soir en porteur de mort à la maison. Il est acclamé et applaudi dans la journée mais se retrouve chassé de colocation ou traité par ses voisins comme un pestiféré. Et, effectivement, ce soignant reste avec sa mauvaise conscience lorsqu’il a contaminé ses proches qui est, pour l’avoir vécu et entendu, insoutenable. Indéniablement cette pandémie aura laissé moult séquelles sur le tissu social mais également au sein des foyers. En espérant que les soignants utilisent les aides psychologiques qui leur sont actuellement proposées.