Thérapeutique
Publié le 11 avr 2017Lecture 7 min
Les médicaments déconseillés ou contre-indiqués dans l’urticaire chronique
Frédéric AUGEY, service d’immunologie clinique et allergologie, Centre hospitalier Lyon-Sud
Il est à présent admis que l’urticaire chronique (UC) est une maladie inflammatoire chronique due à un seuil bas d’activation des mastocytes (hypothèse du mastocyte « fragile »), dans un contexte fréquent d’atopie et surtout d’auto-immunité. L’hyperréactivité à de nombreux médicaments au cours de cette affection peut rendre très difficile la prise en charge thérapeutique de certains patients. Entre peurs infondées et réalité clinique, il est important de faire des recommandations personnalisées en matière de médicaments, visant à éviter les interdits inutiles mais aussi les poussées d’urticaire !
Mécanismes de l’urticaire médicamenteuse
Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, l’apparition d’une urticaire aiguë (figure 1) et plus généralement d’une éruption au cours d’un traitement médicamenteux était invariablement qualifiée d’allergique et justifiait un interdit définitif. Depuis, une meilleure maîtrise des tests aux médicaments a permis de constater que l’urticaire médicamenteuse allergique par pontage des IgE sur les mastocytes/basophiles n’était pas la règle mais l’exception, notamment lorsque plaques et/ou angio-œdème ne sont pas associés à des signes extracutanés(1). Dans plus de 90 % des cas, il s’agit en fait de réactions d’hypersensibilité « immédiate» non allergiques (HSNA) par stimulation non spécifique des mastocytes qui ne durent le plus souvent que quelques jours. Il n’est pas rare cependant qu’un médicament initie ou surtout exacerbe une UC. Un récepteur aux opiacés et à la codéine est connu depuis longtemps. Des études récentes ont montré que MRGPRX2, récepteur mastocytaire, jouerait un rôle central dans l’urticaire par HSNA par sa liaison à de nombreux peptides et médicaments de faible poids moléculaire dont les quinolones et les curares(2).
Figure 1. Urticaire aiguë figurée de l’enfant.
Médicaments à risque d’urticaire
Les antibiotiques, notamment les bêtalactamines, les produits de contraste iodés, les antalgiques, surtout morphiniques, et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont les plus fréquemment impliqués dans la survenue d’urticaires médicamenteuses par HSNA. Ainsi, l’hypersensibilité non allergique aux AINS affecte 0,6 à 2,5 % de la population générale, et jusqu’à 40 % des patients atteints de polypose nasale(3), contrastant avec le caractère exceptionnel de l’hypersensibilité allergique immédiate. Le délai d’apparition de l’urticaire avec ces AINS est inférieur à 1 h dans 80 % des cas(4), ce qui est inhabituel dans l’HSNA.
Plusieurs familles sont concernées dans près de 90 % des cas, la prépondérance des dérivés propioniques (dont l’ibuprofène) et de l’aspirine ne reflétant probablement que leur fréquente utilisation. De 21 à 30 % des urticariens chroniques ont une HSNA aux AINS, mais une large proportion de ces patients les tolère à nouveau lorsque l’UC est en rémission(4). Il faut toujours garder à l’esprit que chaque médicament, même le plus anodin, peut « irriter » le mastocyte et être responsable ou co-responsable d’une poussée d’urticaire. Ceci peut être aussi exceptionnellement observé avec les anti-H1 et les corticoïdes (urticaires paradoxales), voire des topiques (antiacnéiques, décontractants musculaires, etc.).
Situations à risque
Hormis pour les classes les plus à risque d’HSNA ou en cas de forte posologie, il est rare que la prise d’un médicament suffise à déclencher à elle seule une poussée d’urticaire. L’initiation simultanée de plusieurs traitements multiplie, en revanche, le risque d’une telle poussée (effet cocktail). Ce risque est maximal en cas d’association d’antibiotiques et d’AINS, prescription hélas fréquente. D’autres facteurs sont à prendre en considération : asthénie, états infectieux, notamment viraux, chaleur, fièvre élevée, situations de stress psychologique, traumatismes, sevrage en corticoïdes et bien sûr mastocytose. La petite enfance avec son cortège d’infections virales est une période à risque d’HSNA, du fait d’un rapport poids/posologie défavorable.
De nombreux enfants sont ainsi déclarés à tort « allergiques » aux bêtalactamines et s’en trouvent pénalisés par la suite. La chirurgie, y compris dentaire, est une situation délicate du fait de l’administration concomitante en période de stress de multiples traitements anesthésiques, antalgiques et antibiotiques. Des UC peuvent enfin voir le jour par effet rebond à la phase de sevrage d’une corticothérapie générale prescrite, à tort de notre point de vue(5), pour soulager des urticaires aiguës ou plus rarement des douleurs aiguës (angines, sinusites, lumbagos).
Prévention de l’urticaire Iatrogène
Pour prévenir ou limiter les réactions d’urticaire par HSNA, il convient d’abord d’identifier les patients à risque. Ceci est aisé lorsqu’un patient se prévaut de multiples urticaires médicamenteuses (et affirme « être allergique à tout »). Exceptionnellement, à l’inverse, l’HSNA est limitée à une classe thérapeutique. La notion d’une double intolérance aspirinepénicilline est, dans notre expérience, un bon marqueur de risque ainsi qu’une UC active. La seconde mesure fait appel au bon sens : un médicament ne doit être pris qu’à bon escient, ce qui ne va pas toujours de soi. Les traitements prescrits par facilité, tels AINS ou corticoïdes dans les états infectieux, les médicaments de confort sont à éviter chez l’urticarien. Une monothérapie doit être la règle et non l’exception. Lorsque plusieurs traitements s’imposent, les posologies doivent être plutôt basses, les prises fractionnées, l’introduction échelonnée.
Les produits de contraste iodés, de préférence non ioniques, et les traitements parentéraux sont à administrer doucement. En cas d’indication importante d’AINS, les anti-Cox2 sont à privilégier car ils induisent une production moindre de leucotriènes que les anti-Cox1, mais leur meilleure tolérance ne se vérifie qu’en l’absence d’HSNA au paracétamol(3). S’il y a une situation à risque, un anti-H1 de 2e génération à titre préventif sera débuté 2 ou 3 jours avant et prolongé de même. Les anti-H1 de première génération, telle l’hydroxyzine, ne sont utiles qu’immédiatement avant un geste à risque. Les antileucotriènes (montelukast) peuvent être utilisés pour prévenir les urticaires aux AINS (plus rarement à d’autres médicaments).
À l’inverse, aucun geste ou traitement n’est contre-indiqué a priori chez l’urticarien chronique, mais une poussée incite bien sûr à les différer. Il est important d’expliquer au patient que les urticaires par HSNA ne présentent pas de risque vital même en cas d’angio-œdème et que le degré d’hypersensibilité varie au cours de la vie. Un asthme actif ou un syndrome de Fernand Widal associés à l’urticaire requièrent cependant une particulière vigilance, car l’hyperréactivité bronchique peut être asphyxiante.
Que faire si un médicament a déjà induit une poussée ?
Lorsqu’un médicament important ayant déjà induit une poussée d’urticaire mérite d’être repris, il faut affiner l’interrogatoire (encadré) qui permet le plus souvent à lui seul de distinguer HSNA et allergie médicamenteuse. En cas d’éléments discordants ou d’interrogatoire peu informatif, des tests (pricks, figure 2, et IDR) deviennent nécessaires, d’autant plus qu’il s’agit de bêtalactamines.
Ils doivent être réalisés dans une unité hospitalière spécialisée et suivis d’une réintroduction du médicament s’ils sont négatifs. En cas d’allergie démontrée, l’étude de réactions croisées permet souvent de proposer des alternatives. La décision de réaliser ou non des tests doit tenir compte aussi d’un patient réticent ou à l’inverse d’une situation d’urgence.
Figure 2. Prick positif à l’amoxicilline (témoin positif : histamine).
Et en cas d’angio-œdème ?
La survenue d’un angio-œdème sous médicament est, contrairement à une idée répandue, tout à fait compatible avec une HSNA. Devant un angio-œdème isolé, sans plaques associées, se pose cependant la question de son origine bradykinique. La résistance aux anti-H1et/ou aux corticoïdes et la prise d’un médicament à risque d’angiooedème bradykinique (IEC, sartan, gliptine, inibiteur de m-TOR, estrogène ou anti-androgène) sont en faveur de la première hypothèse et incitent à son arrêt définitif du fait de la gravité potentielle. À l’inverse, un angio-œdème même isolé répondant bien aux anti-H1 donc présumé histaminique, sans critère en faveur d’une hypersensibilité allergique (encadré ci-dessous), autorise la poursuite ou reprise du traitement quel qu’il soit. Il existe cependant de rares formes mixtes bradykinique et histaminique d’angio-oedème pour lesquelles la conduite à tenir reste à définir(6).
Traitements de l’urticaire chronique : précautions d’emploi
Antihistaminiques H1
Les anti-H1 de 2e génération doivent être privilégiés à tout âge. Ils n’ont pas d’AMM pour le nourrisson (desloratadine après un an, loratadine, cétirizine et lévocétirizine après 2 ans, autres molécules après 12 ans). Les anti-H1 de 1re génération sont déconseillés chez le jeune enfant (somnolence) et surtout chez la personne âgée(7) où les effets anticholinergiques et alphabloqueurs induisent de multiples effets adverses y compris cardiovasculaires et psychiatriques. En France, le Centre de références des affections tératogènes considère comme utilisables à posologie AMM, quel que soit le terme de la grossesse et en cours d’allaitement, cétirizine, lévocétirizine, loratadine, desloratadine, fexofénadine, (azélastine seulement en cours d’allaitement). Des ajustements posologiques sont parfois nécessaires pour certains anti-H1 (tableau ci-dessous), tandis que des antécédents de troubles du rythme cardiaques et notamment de QT long inciteront à éviter, outre les anti-H1 de 1re génération, ébastine, rupatadine, et mizolastine.
Autres traitements de l’urticaire chronique
L’omaluzimab a une AMM européenne dans le traitement de l’UC « spontanée » depuis février 2014 en cas d’effet insuffisant des anti-H1. Il est contre-indiqué avant 12 ans, chez la femme enceinte ou allaitante. Une helminthiase doit au préalable être recherchée au sein ou au retour d’une zone d’endémie. Des antécédents de syndrome de Churg et Strauss incitent à la prudence. De nombreux autres traitements sont encore utilisés hors AMM dans cette affection : parmi eux, le montelukast a pour principales contre-indications l’enfant de moins de 15 ans et l’allaitement, la ciclosporine, l’hypertension artérielle et l’insuffisance rénale, le méthotrexate, les insuffisances hépatique et rénale sévères, une cytopénie préexistante, la grossesse et l’allaitement.
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