Publié le 28 fév 2025Lecture 5 min
Santé respiratoire : pesticides et polluants chez les femmes enceintes
Chantal RAHERISON-SEMJEN, Service de pneumologie, CHU Guadeloupe Université des Antilles, U1219 INSERM Université de Bordeaux

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DES POLLUANTS À RISQUE EN CAS DE GROSSESSE
Les liens entre pollution (intérieure et extérieure) et santé respiratoire ne sont plus à démontrer ; que ce soit concernant l’impact à court terme, ou à long terme(1).
On considère aujourd’hui que l’impact de l’environnement sur la santé respiratoire correspond à ce que l’on appelle l’exposome : cumul des expositions cumulées au cours de la vie entière ; ces expositions commençant vraisemblablement in utero. Cet exposome impactant les trajectoires de développement du poumon.
Dans le cadre de la cohorte ELFE (Étude longitudinale depuis l’enfance), 14 921 femmes ont été recrutées au troisième trimestre de grossesse selon un échantillon représentatif de la population française (INSEE). L’exposition résidentielle au NO2 et aux PM2,5 a été évaluée par un modèle de dispersion des polluants(2). L’étude montre que 38 % de ces futures mamans étaient à la fois en situation de précarité sociale et également exposées à un air de mauvaise qualité, soulignant l’existence d’inégalité ou de précarité environnementale.
La cohorte mère-enfants espagnole INMA a évalué l’exposition au NO2 de 967 mères au 3e trimestre de grossesse, et a suivi les enfants jusqu’à l’âge de 4 ans. Une relation significative était observée entre le niveau élevé d’exposition résidentielle au NO2 in utero et une altération de la fonction respiratoire mesurée par le VEMS à l’âge de 4 ans, avec prise en compte des facteurs confondants (allergie, tabagisme passif, autres polluants)(3). L’ebet était plus marqué chez les enfants avec un terrain allergique et ceux avec un niveau socioéconomique défavorisé. L’exposition a la pollution au NO2 a été évaluée par modélisation de l’exposition atmosphérique résidentielle durant la grossesse à l’aide d’un système d’intégration géographique (SIG). Dans les pays émergents ou a faible niveau de revenus, l’exposition aux particules fines issues de la combustion de la biomasse chez les femmes enceintes est associée significativement à des complications materno-fœtales : petit poids de naissance, prématurité(4). Dans ce contexte, la substitution de la biomasse pour la cuisson par la cuisine au gaz a été suggérée ; bien que la cuisine au gaz ait également été associée a un sur-risque de symptômes respiratoires chez les adultes en population générale(5).
Plus récemment, une étude d’intervention randomisée comparant l’exposition à la biomasse et au gaz, chez 3 200 femmes enceintes, a été réalisée dans quatre pays (Inde, Pérou, Rwanda, Guatemala). Elle n’a pas retrouvé de différence en termes de petit poids de naissance chez les nouveau-nés(6).
DE NOMBREUX PESTICIDES EN CAUSE
Les pesticides, un terme générique dérivé du latin « pestis » (fléau) et « caedere » (tuer), sont largement utilisés en agriculture afin d’améliorer les rendements, la qualité et l’aspect des produits en détruisant des organismes jugés nuisibles tels que des insectes, des champignons ou des plantes adventices(7).
Ils sont également appelés produits phytopharmaceutiques. Les pesticides font désormais partie des polluants a part entière(1).
Les pesticides dans l’air comme le folpel ont une taille particulaire de moins de 5 µm(8). Ils peuvent donc pénétrer à l’intérieur des voies aériennes respiratoires, avec un ebet causant une hyperréactivité bronchique.
Si l’impact sanitaire respiratoire des pesticides est désormais reconnu chez les agriculteurs(9), en termes d’augmentation de risque d’asthme, de bronchite chronique, voire de BPCO (les symptômes respiratoires apparaissant en moyenne 4,5 ans après le début d’une forte exposition professionnelle), la question de l’impact de l’exposition résidentielle aux pesticides devient récurrente(10,11).
En effet, les pesticides dans l’air ambiant ne sont pas mesurés actuellement dans le cadre de la réglementation par les réseaux de surveillance de la qualité de l’air, sauf études ponctuelles. La base PhytAtmo, regroupant les données de 2002 à 2017, montre qu’entre 40 et 90 substances actives sont détectées annuellement, dans les zones rurales ou urbaines, à des concentrations variables.
Une campagne exploratoire nationale en 2018 a analysé 75 pesticides dans des échantillons d’air prélevés sur 50 sites.
Les substances les plus fréquemment détectées sont :
– plusieurs herbicides :
• glyphosate,
• prosulfocarbe,
• S-métolachlore,
• pendiméthaline et triallate ;
– des insecticides (chlorpyrifosméthyl et lindane) ;
– et des fongicides (chlorothalonil et folpel).
Des mesures récentes visant à réduire certaines sources ont été prises avec l’interdiction de l’utilisation des pesticides de synthèse pour l’entretien des espaces publics en 2017 (parcs, espaces verts…), et par les particuliers en 2019.
L’imprégnation des femmes enceintes aux pesticides a fait l’objet d’une étude rapportée par Béranger et coll. dans un sous-échantillon de la cohorte ELFE(12).
Au total, 311 femmes ont fait l’objet d’analyse de pesticides dans les cheveux. Le nombre moyen de pesticides mesurés par femme était de 43 [38-47] ; 28 composés chez plus de 70 % des femmes. Des pesticides interdits avant 2011 (dont le lindane) ont été retrouvés. Dix pesticides ont été observés en quantité importante dont quatre pyréthrinoïdes (insecticides). Certains ont été retrouvés en milieu agricole ; d’autres en milieu domestique, témoignant du traitement du bois et du traitement antiparasitaire (animaux).
Concernant l’usage domestique, l’étude Pestihome(13) visant à évaluer l’utilisation des pesticides en milieu domestique a concerné 1 507 foyers dans toute la France. Elle montre qu’en moyenne 68 % des foyers utilisent et stockent un pesticide à la maison ; principalement, des insecticides et des fongicides pour les plantes. L’usage moyen au cours des 12 derniers mois reste assez variable, 4 usages en moyenne, mais 5 % des foyers ont une utilisation très fréquente à 30 usages au cours des 12 derniers mois.
La cohorte espagnole mère-enfant a étudié la relation significative entre l’imprégnation maternelle au DDE (dichlorodiphényldichloroéthylène) au cours de la grossesse et la survenue des infections respiratoires basses de l’enfant entre 12 mois et 14 mois, avec prise en compte des facteurs de confusions et des autres polluants. Cette relation concernait les mères très exposées dans les deux derniers quartiles(14).
Les effets de la pollution commencent dès la vie in utero et ont un impact tout au long de la vie. La pollution (intérieure et extérieure) fait appel à des composés complexes et hétérogènes. Il faut garder à l’esprit que les effets respiratoires ne constituent qu’une partie des conséquences sanitaires, et qu’il existe des inégalités socio-économiques profondes vis-à-vis du risque lié à la pollution. L’impact sanitaire et respiratoire des pesticides constitue très vraisemblablement le prochain enjeu émergent d’un point de vue environnemental et économique. Les pesticides devraient faire l’objet d’une surveillance par les réseaux de surveillance de la qualité de l’air, comme les autres polluants de l’air extérieur. Une information grand public, en particulier à destination des femmes enceintes ou au cours des 1 000 premiers jours suivant la naissance, devrait être envisagée à des fins de prévention pour limiter les usages à visée domestique, dans l’objectif de préserver le capital respiratoire des enfants, et donc des adultes de demain.
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