Pneumologie
Publié le 30 déc 2024Lecture 7 min
Dyspnée ou essoufflement physiologique chez le sujet âgé
Marc BEAUMONT, Kinésithérapeute, service de réadaptation respiratoire, CH des Pays de Morlaix, Morlaix ; INSERM, univ. Brest, CHRU de Brest, UMR 1304, GETBO, Brest
Le processus de vieillissement humain est universel, omniprésent, inévitable. D’un point de vue épidémiologique, en 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans sera multiplié par deux et représentera 1,5 milliard d’individus ; et le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans sera multiplié par 3, soit 426 millions de personnes(1). En 2050, en France, le pays comptera plus de 100 000 centenaires(2). Le vieillissement physiologique débute tôt, car, vers 20-30 ans, les humains ont acquis tout le développement physiologique : à partir de cette étape, commence le processus de vieillissement, mais le taux de changement est très hétérogène(2).
Actuellement, on parle de vieillissement réussi s’il ne s’accompagne pas de handicap. Les mécanismes du vieillissement physiologique se découpent en 3 volets : celui lié aux facteurs intrinsèques (comme la génétique, par exemple), celui associé aux facteurs extrinsèques (alimentation, activité physique, sédentarité) et celui lié aux maladies chroniques, fréquentes chez les personnes âgées.
Les trois causes principales d’apparition de la dyspnée sont une dysfonction de la fonction respiratoire, cardiaque ou musculaire. L’âge a un effet sur ces 3 fonctions.
LES EFFETS DE L’ÂGE SUR LA FONCTION RESPIRATOIRE
L’âge entraîne une diminution des capacités respiratoires à cause de différents mécanismes. La cage thoracique est moins mobile(3) et les muscles respiratoires sont de ce fait moins efficaces(4,5), ce qui entraîne une baisse de la capacité vitale.
Il existe également une altération de la qualité du parenchyme pulmonaire (qui ressemble à de l’emphysème pulmonaire) avec une distension et une perte d’élasticité du parenchyme(6,7), ce qui augmente la capacité résiduelle fonctionnelle et le volume résiduel (synonyme de distension).
Des troubles du rapport ventilation perfusion surviennent, engendrant une hypoxémie physiologique. Enfin, la sensibilité à la stimulation mécanique(8) et chimique (PaO2, PaCO2) est diminuée(9,10), aboutissant à une diminution de la réponse ventilatoire.
LES EFFETS DE L’ÂGE SUR LA FONCTION CARDIAQUE
Il existe des modifications structurelles et fonctionnelles liées à l’âge : baisse du nombre de cardiomyocytes, baisse de la compliance des vaisseaux du myocarde, altération du baroréflexe et diminution de la réponse bétaadrénergique (ce qui fait que la fréquence cardiaque augmente moins)(2).
Deux choses importantes semblent à noter : ces modifications surviennent, quel que soit le niveau d’entraînement ; cependant, ces modifications sont beaucoup moins importantes que les modifications liées aux maladies cardiaques chroniques. Il semble important également de se rappeler que 50 % des sujets de plus de 75 ans ont une affection cardiovasculaire.
LES EFFETS DE L’ÂGE SUR LA FONCTION MUSCULAIRE
Les muscles ne sont pas épargnés, mais sont également un levier important, car les muscles peuvent se travailler à tout âge de manière efficace.
Une perte de masse musculaire est en lien avec l’âge(11) : la prévalence de la sarcopénie chez les personnes de plus de 60 ans est de 10 %(12), mais s’élève à plus de 50 % chez les adultes de plus de 80 ans(13). Globalement, la masse musculaire diminue de 1 à 1,4 % par année dans les membres inférieurs(14,15), et ce, en lien avec une altération de la synthèse des protéines (d’où l’intérêt d’augmenter les apports en protéines avec l’âge), la diminution de l’anabolisme (= construction de la masse musculaire).
La force musculaire diminue de 0,8 à 3,6 % par an (augmentation du pourcentage avec l’âge)(16), à cause d’une perte d’unités motrices (perte de 47 % du nombre d’unités motrices chez les personnes de 60 à 81 ans)(17).
Ainsi, les effets physiologiques du vieillissement sont une diminution des capacités cardiorespiratoires estimée par une baisse des valeurs de VO2 max en moyenne de 10 % par décade de 45 à 70 ans, puis de 15 % par décade au-delà de 70 ans. Cette diminution des capacités cardiorespiratoires est liée aux altérations du débit cardiaque, de la capacité de transport de l’O2 et du CO2 dans le sang, de la différence alvéolo-artérielle en O2, de la fonction vasculaire pulmonaire, du transport de l’O2 entre le muscle, les capillaires et les mitochondries, et enfin de l’altération de la fonction musculaire respiratoire et périphérique(18-21).
Après ce constat sur l’effet physiologique de l’âge sur les fonctions impliquées dans l’apparition potentielle de la dyspnée, il est intuitivement pertinent de se dire que les personnes âgées peuvent être essoufflées en lien avec leur âge. Cependant, il faut s’assurer que la plainte du patient est uniquement liée à son âge et non pas à une pathologie cardiaque, respiratoire ou musculaire. Pour cela, il est indispensable d’évaluer la dyspnée avec des outils validés.
La dyspnée est définie comme une expérience subjective d’inconfort respiratoire qui consiste en sensations qualitativement différentes qui varient en intensité(22,23).
La dyspnée provient de facteurs multiples : physiologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux, et peut induire des réponses physiologiques et comportementales(22). Schématiquement, la dyspnée apparaît quand il existe un déséquilibre entre la demande ventilatoire et la capacité à répondre à cette demande (figure).
Plus précisément, la dyspnée résulte d’un déséquilibre entre l’intensité de la commande motrice respiratoire centrale et l’information donnée par les afférences respiratoires. Ainsi, chez les personnes âgées, les modifications physiologiques et la fréquence des maladies chroniques sont sources d’apparition de la dyspnée.
Les auteurs d’une revue systématique(24) ont étudié la prévalence et les causes de la dyspnée dans la population âgée générale : ils rapportent une prévalence de la dyspnée (évaluée avec l’échelle mMRC), de 36 % (mMRC > 1, c’est-à-dire lors d’efforts importants ou à la marche rapide sur terrain plat ou à la marche en légère côte) ou de 16 % (mMRC > 2, c’est-à-dire survenue de la dyspnée entraînant un arrêt de la marche sur terrain plat, ou marche plus lente comparativement à des gens du même âge). Cependant, les auteurs rapportent que, dans 70 % des cas, la dyspnée est d’origine cardiaque ou respiratoire.
Une autre étude observationnelle a été réalisée chez 870 sujets âgés de plus de 85 ans(25) se considérant en « bonne ou excellente santé » avec un suivi de 5 ans. Cependant, les patients rapportaient en moyenne plus de 1,7 ± 1,4 pathologie chronique. Les temps moyens réalisés au time up and go test suggéraient que les patients avaient une mobilité réduite et un risque de chute. Cependant, 74 % des patients déclaraient réaliser une activité physique d’intensité légère au moins une fois par semaine, ce pourcentage passait à 35 % pour les activités physiques d’intensité modérées et à 5 % pour les très intenses.
Les auteurs rapportent une prévalence de la dyspnée à l’effort de 23 % et une dyspnée sévère dans 9 % des cas. Comme dans la méta-analyse précédente, la présence de pathologie cardiaque ou respiratoire augmente le risque de dyspnée. Les femmes semblaient également plus touchées par ce symptôme(26).
ESSOUFFLEMENT « NORMAL » OU DYSPNÉE PATHOLOGIQUE
Il est bien décrit dans la littérature que la dyspnée est fréquente chez les patients âgés et tout l’enjeu est de déterminer si cet essoufflement est « physiologique » en lien avec l’âge ou pathologique.
La dyspnée peut être qualitativement et quantitativement différente de l’essoufflement lié à l’effort.
La sensation d’augmentation de l’essoufflement à l’effort est commune chez des sujets sains (et malades), mais les patients dyspnéiques rapportent des descripteurs spécifiques, comme le manque d’air, poitrine serrée, respiration rapide…
L’évaluation de la dyspnée
Ainsi l’évaluation de la dyspnée est indispensable.
L’évaluation de la dyspnée doit explorer les causes de la dyspnée, c’est-à-dire les 4 étiologies majeures chez le sujet âgé : anémie, pathologie cardiovasculaire, pathologie respiratoire, déconditionnement.
Malher rapporte que « Le soignant ne devrait pas admettre qu’une plainte de difficulté respiratoire est simplement due au vieillissement »(27).
Il existe de nombreux outils d’évaluation de la dyspnée en pratique clinique courante.
Il est démontré(28) qu’il est nécessaire d’évaluer la dyspnée selon 3 domaines :
– le domaine sensoriel (notion de travail ou d’effort pour respirer, sensation de compression du thorax, sensation de soif d’air, par exemple) ;
– le domaine affectif ou émotionnel (notion de désagrément, d’inconfort, de peur, de détresse…) ;
– le domaine de l’impact engendré par la dyspnée (sur la qualité de vie, les activités de la vie quotidienne).
Les questionnaires Dyspnea-12 et MDP (Multidimensional Dyspnea Profile) sont validés chez les personnes âgées de plus de 70 ans et permettent d’évaluer les domaines sensoriel et émotionnel de la dyspnée(29-32). L’échelle mMRC est un outil simple et couramment utilisé pour évaluer l’impact de la dyspnée. Mais la situation mentionnée est la marche et le niveau de demande étant souvent diminué dans cette population, la dyspnée peut être minimisée, ce qui suscite un questionnement sur l’adéquation de cet outil(33-35). Le questionnaire London Chest of Activity of Daily Living (LCADL)(32,36) est un autre outil, mais il n’est pas validé dans cette population.
CONCLUSION
• Les personnes âgées ont de grands risques d’être atteintes de dyspnée. Toute plainte de dyspnée doit être évaluée médicalement.
• Des outils d’évaluation de la dyspnée existent même si un manque existe (domaine de l’impact).
• Il est important de ne pas avoir d’a priori : une plainte de difficulté respiratoire n’est pas nécessairement due au vieillissement.
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