Publié le 28 fév 2025Lecture 9 min
Diagnostiquer et traiter l’acouphène pulsatile
Emmanuel HOUDART, Service de neuroradiologie, hôpital Lariboisière, Paris

L’acouphène pulsatile est un son perçu par un sujet de façon synchrone à sa systole cardiaque. La plupart des causes d’acouphène pulsatile relevant d’un traitement endovasculaire, le lecteur ne s’étonnera pas que cette mise au point soit rédigée par un neuroradiologue interventionnel.
Un acouphène est défini comme un son simple perçu en l’absence de son extérieur. Le mot « simple » est nécessaire pour distinguer un acouphène d’une hallucination auditive laquelle occasionne un son complexe. Cette définition générale de l’acouphène doit toujours être accompagnée d’un adjectif qui précise la nature du son entendu. Celle-ci est à distinguer de la temporalité du son c’est-à-dire de son caractère permanent ou intermittent. L’acouphène le plus fréquent est dit continu et il est ressenti comme un son (sifflement ou bourdonnement) que l’on peut représenter par une ligne horizontale « sssssssssssssss ». Il est habituellement perçu dans les deux oreilles, « dans toute la tête », disent les patients. Il s’agit d’un symptôme-maladie c’est-à-dire que la cause de ce symptôme est inconnue et qu’il n’existe pas de traitement curateur.
INTERROGER ET ÉCOUTER LE PATIENT
L’acouphène pulsatile (AP) se caractérise par un son rythmé par la systole « pschit-pschitpschit ». Il est habituellement perçu dans une seule oreille et il reconnaît de nombreuses causes curables. L’AP est un diagnostic d’interrogatoire que tout praticien peut établir pourvu qu’il fasse préciser au patient « ce qu’il entend ». L’écoute du patient est souvent très informative et des phrases telles que « j’entends battre mon cœur dans une oreille » ou « j’entends comme le bruit du Doppler pendant ma grossesse » signifient que le patient souffre d’un AP. Pour confirmer le diagnostic, il suffit au praticien d’imiter, avec sa voix, un son pulsatile. Cette imitation est importante, car elle permet, d’une part, de confirmer le diagnostic et, d’autre part, de distinguer un AP de timbre soufflant d’un AP de timbre sourd, car ces deux timbres renvoient à des étiologies différentes. Une fois le diagnostic d’AP établi, notre recommandation est d’adresser le patient en consultation dans un service de neuroradiologie interventionnelle spécialisé dans l’exploration et le traitement de ce symptôme. Signalons toutefois qu’en pratique de ville, un AP de faible intensité peut être perçu transitoirement à la phase aiguë d’une otite moyenne et qu’il disparaît en quelques jours avec la résolution de l’inflammation tympanique. Il ne sera question ici que des AP chroniques.
LES LIQUIDES INTRACRÂNIENS EN CAUSE
Comprendre l’AP suppose de savoir que tous les « liquides » intracrâniens sont pulsatiles : le sang artériel, mais aussi le sang veineux et le liquide cérébro- spinal (LCS). Chacun de ces liquides peut donc potentiellement occasionner un AP. Comment un liquide pulsatile peut-il devenir un jour audible par la cochlée ? Soit par augmentation de sa sonorité, soit par défaut d’isolation phonique, et les deux maîtres mots sont turbulence et déhiscence. Un écoulement liquidien, s’il devient turbulent, devient sonore. Une turbulence apparaît lorsqu’un compartiment vasculaire reçoit un flux accéléré, ce qui est le cas en aval d’une sténose vasculaire (artérielle ou veineuse) ou en aval de communications artérioveineuses. À proximité de la cochlée, une turbulence vasculaire pourra occasionner un AP (une cascade est placée près de l’oreille). La déhiscence est la perte de l’enveloppe osseuse qui isole normalement la cochlée des liquides avoisinants. Un liquide pulsatile – même non turbulent – pourra devenir audible par défaut d’isolation phonique (le coffrage d’une canalisation est retiré). Le bilan radiologique devra donc rechercher les images de turbulences (par l’IRM des vaisseaux intracrâniens) et les images de déhiscences (par le scanner des rochers).
L’IMPORTANCE DE L’EXAMEN CLINIQUE
Le diagnostic étiologique d’un AP nécessite de confronter les données du bilan radiologique à celles d’un examen physique conduit de façon systématique (les cliniciens sont parfois surpris d’apprendre que les neuroradiologues interventionnels disposent d’espaces de consultation dédiés à l’examen de leurs patients).
L’auscultation doit porter sur l’ensemble du crâne et de la région cervicale à la recherche d’un souffle qui, s’il est présent, est coté de 1/6 à 6/6 en précisant la région où il est perçu de façon maximale. Tout souffle crânien témoigne de l’existence de turbulences vasculaires et est pathologique. Cependant, la normalité de l’auscultation ne signifie pas que le patient ne souffre pas d’AP, car les causes les plus fréquentes ne s’accompagnent pas de souffle audible à l’auscultation.
La compression manuelle des vaisseaux cervicaux est effectuée dans le but d’interrompre temporairement l’acouphène. Le praticien, placé à l’arrière du patient assis, comprime de façon successive et sélective la veine jugulaire (par une compression manuelle douce du cou en dehors des battements carotidiens) puis l’artère carotide commune homolatérale à l’AP. L’interruption de l’AP à la compression de l’un de ces vaisseaux signe l’existence d’une cause vasculaire.
L’examen est enfin complété par un test de Weber et de Rinne. Pourquoi ces données cliniques sont-elles importantes ? Parce que la simple image radiologique est insuffisante dans le domaine de la sensation. Certes, le bilan radiologique peut conduire à découvrir une image pathologique (qui traduit un changement profond de la structure des tissus) et dans ce cas, il n’existe pas de doute diagnostique : c’est le cas des fistules artérioveineuses, des tumeurs, des processus inflammatoires de l’os du rocher. Mais le bilan peut également retrouver une image déviante (c’est-à-dire qui s’écarte de la norme) comme c’est le cas des sténoses vasculaires ou des déhiscences osseuses qui ne sont finalement que des remodelages de structures normales. Ces images déviantes peuvent être causes d’acouphène pulsatile chez un patient donné et être asymptomatiques chez un autre. Il faut donc, devant de telles images, s’assurer de leur lien de causalité avec le symptôme ressenti et la seule démonstration est l’interruption temporaire de l’AP par le test de compression vasculaire.
UN BILAN RADIOLOGIQUE NÉCESSAIRE
Deux examens non invasifs permettent le diagnostic de la quasi-totalité des causes d’AP pourvu qu’ils aient été réalisés en suivant un protocole précis.
Une IRM doit explorer les vaisseaux intracrâniens (et non le parenchyme cérébral qui n’est jamais en cause dans l’AP). Trois séquences sont nécessaires et suffisantes : un grand 3DTOF (time of flight) non injecté explorant de la vertèbre C2 au vertex, une séquence T2 fine sur les conduits auditifs internes et enfin une séquence T1 gadolinium MPRAGE.
Nous complétons systématiquement cette IRM par un scanner des rochers. Beaucoup plus rarement, il sera nécessaire d’effectuer un angioscanner des troncs supra-aortiques lorsqu’une cause artérielle est suspectée. Enfin, l’angiographie cérébrale conventionnelle, qui était autrefois l’exploration de référence dans l’AP, n’est plus réalisée maintenant que de façon exceptionnelle et essentiellement pour effectuer un test fonctionnel d’interruption de l’AP par l’inflation d’un ballonnet dans les carotides interne ou externe si une cause carotidienne a été suspectée lors du bilan.
DES TRAITEMENTS EN FONCTION DE L’ÉTIOLOGIE
Quelle que soit la pathologie à l’origine de l’AP, lorsque celle-ci ne fait courir aucun risque au patient, le traitement n’est décidé que par ce dernier en fonction de la gêne qu’il est le seul à pouvoir apprécier.
La sténose des sinus latéraux
C’est la cause la plus fréquente d’AP. Les sinus latéraux, droit et gauche, sont les deux axes veineux qui drainent tout le sang veineux de l’encéphale et se poursuivent en région cervicale par les veines jugulaires. La sténose de ces sinus occasionne un phénomène de turbulences qui est perçu habituellement du côté du sinus latéral dominant. Ces sténoses sont de cause inconnue, mais elles affectent essentiellement la femme jeune. L’AP est typiquement de timbre soufflant et de type veineux, c’est-à-dire qu’il s’interrompt lors de la compression de la veine jugulaire homolatérale laquelle interrompt le flux dans le sinus sténosé. Les patientes qui en souffrent de longue date ont souvent découvert ce moyen de « mettre en pause leur AP » et elles s’en servent pour s’endormir en calant un oreiller ou un livre sous la mâchoire : c’est le signe de la cale cervicale. Ces sténoses sinusiennes peuvent se révéler par un AP isolé, mais elles peuvent aussi entraîner une hypertension intracrânienne que l’on disait autrefois « idiopathique » et qui associe des céphalées quotidiennes, une fatigue chronique, des troubles visuels à type de flou visuel et un œdème papillaire au fond d’œil. Ces sténoses sont reconnues sur la séquence T1 MPRAGE de l’IRM. Les sténoses sinusiennes sont maintenant traitables par l’implantation d’un stent dans le sinus latéral. Le stent, en redonnant au sinus son calibre normal, supprime les turbulences et donc l’acouphène.
Les fistules artérioveineuses durales intracrâniennes (FAVD)
Les FAVD sont des communications artérioveineuses qui se développent à l’âge adulte dans une partie de la dure-mère du crâne, essentiellement celle qui participe à la formation des sinus veineux duraux. Le sang artériel, à haute pression, rejoint le système veineux à basse pression et détermine des turbulences à ce niveau. Les FAVD les plus fréquentes sont celles du sinus latéral. L’auscultation du crâne retrouve souvent un souffle continu à renforcement systolique maximal au niveau de la mastoïde du côté de l’AP. Le diagnostic est porté sur la séquence 3DTOF qui retrouve un hypersignal spontané des artères méningées et du sinus latéral. Le traitement des FAVD se fait par embolisation c’est-à-dire par occlusion endovasculaire des communications artérioveineuses.
La déhiscence du canal semi-circulaire supérieur
La déhiscence du canal semi-circulaire supérieur, connue aussi sous le nom de syndrome de Minor, réalise une perte de la couverture osseuse qui isole cette partie de l’oreille interne du LCS qui, rappelons-le, est pulsatile. L’AP est de timbre sourd et s’associe fréquemment à une autophonie du même côté et à un syndrome vestibulaire. Cliniquement, l’AP n’est pas modifié par la compression des vaisseaux cervicaux et le test de Weber est franchement latéralisé du côté de l’AP. Le diagnostic est établi sur le scanner des rochers qui montre la disparition de la couverture osseuse du canal semi-circulaire supérieur. Le traitement est chirurgical soit par réfection de la paroi manquante soit par occlusion du canal semi-circulaire supérieur.
L’otospongiose
L’otospongiose est une maladie de l’os temporal qui réalise des foyers inflammatoires contenant des micro-vaisseaux au contact de la cochlée. Elle est habituellement révélée par une surdité de transmission par ankylose de l’étrier, mais elle peut se révéler par un acouphène pulsatile sans hypoacousie. Les compressions vasculaires sont ici sans effet sur l’AP. L’otospongiose est diagnostiquée sur le scanner des rochers sous la forme d’une hypodensité de l’os temporal interposée entre le vestibule et la cochlée. Le traitement est chirurgical par coagulation des vaisseaux inflammatoires.
Autres causes
Nous avons répertorié 32 causes d’AP dans notre série. Il est inutile de les énumérer et il est seulement nécessaire de savoir qu’elles peuvent toutes être diagnostiquées par le bilan clinique et radiologique mentionné précédemment.
Enfin, dans notre expérience, 30 % des AP restent pour l’instant sans cause et cette éventualité explique combien est important le test fonctionnel d’interruption temporaire de l’acouphène, car il permet d’éviter une intervention inutile à un patient porteur d’une image déviante, mais asymptomatique.
CONCLUSION
• L’acouphène pulsatile doit être reconnu et distingué de l’acouphène continu : quelques secondes d’écoute du patient, l’imitation du son par le praticien, peuvent tout changer à la souffrance d’un patient.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :