Publié le 27 déc 2024Lecture 12 min
Prise en charge à distance d’une anaphylaxie
Guillaume POUESSEL, service de pédiatrie, Pavillon médicochirurgical de pédiatrie, Roubaix ; Unité de pneumologie et allergologie pédiatriques, Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU de Lille et Université Lille 2 ; Univ Lille, ULR 2694 : METRICS, Lille
L’anaphylaxie, hypersensibilité systémique immédiate et potentiellement grave, est devenue un réel problème de santé publique dans de nombreux pays. En Europe, son incidence est estimée de 1,5 à 7,9 cas pour 105 personnes par an et sa prévalence à 0,3 % (IC95% : 0,1-0,5)(1). L’anaphylaxie est de plus en plus fréquente, notamment chez le jeune enfant et pour les causes alimentaires. Les formes graves, létales ou prélétales, restent rares avec un taux de mortalité stable et inférieur à 1 cas par million d’habitants.
Après une anaphylaxie, ou une réaction supposée être une anaphylaxie, il est nécessaire que l’allergologue puisse rencontrer le patient pour confirmer le diagnostic, identifier le(s) allergène(s) impliqué(s), estimer le risque, proposer une stratégie personnalisée de traitement avec des mesures de prévention et prescrire une trousse d’urgence. Enfin, il existe de nombreux défis à relever pour améliorer nos connaissances et optimiser les soins dans ce domaine. En ce sens, il appartient aux médecins de participer aux différentes initiatives françaises en matière de recherche clinique sur l’anaphylaxie.
CONFIRMER LE DIAGNOSTIC D’ANAPHYLAXIE
Le diagnostic d’anaphylaxie est clinique
Après une anaphylaxie ou une réaction supposée être une anaphylaxie, un avis allergologique s’impose. L’allergologue doit alors confirmer ou non le diagnostic de l’anaphylaxie. Pour cela, l’entretien avec le patient et les informations recueillies lors de la réaction anaphylactique elle-même sont primordiaux.
L’allergologue doit, dans l’idéal, avoir accès à une fiche médicale rédigée lors de la réaction détaillant :
– les antécédents du patient, allergiques (asthme, rhinite allergique, allergie alimentaire ou médicamenteuse…) ou non (cardiopathie, grossesse, mastocytose…) ;
– les traitements médicamenteux utilisés avant la réaction (antiinflammatoires, antisécrétoires, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion…) ;
– les circonstances de survenue de la réaction : contexte, lieu, horaire, modalités de l’exposition allergénique, contenu du repas (aliments, cuisson, quantité, lecture des étiquettes…) ou du (des) médicament(s) (nom, posologie…), voie d’exposition, chronologie la plus précise possible, description des signes et symptômes et de leur évolution… ;
– les traitements reçus après les premiers signes de la réaction et les modalités de surveillance ;
– le ou les allergènes suspectés.
Dans le cas d’une suspicion d’hypersensibilité péri-opératoire, la fiche d’anesthésie per-opératoire est indispensable afin d’identifier précisément la chronologie des traitements et les signes de la réaction.
De nombreux diagnostics différentiels peuvent être envisagés devant une situation compatible avec une anaphylaxie(2).
Un dosage de la tryptase sérique a-t-il été réalisé lors de l’anaphylaxie ?
Les recommandations prévoient le dosage de la tryptase sérique dans le contexte d’une anaphylaxie, avérée ou suspectée. Au moins, deux dosages doivent être réalisés. La valeur en pic (30 minutes à 2 heures après le début des premiers symptômes) doit être comparée à la valeur de base (plus de 24 heures après la réaction) pour affirmer une dégranulation mastocytaire en faveur d’une anaphylaxie dans un contexte spécifique. Il est indispensable de connaître le délai de réalisation de ces prélèvements par rapport aux premiers signes cliniques pour les interpréter de manière adaptée. Il convient aussi de savoir si d’autres marqueurs biologiques (histamine par exemple) ont été dosés et, le cas échéant, de récupérer les résultats.
IDENTIFIER L’ALLERGÈNE ET ESTIMER LE RISQUE
Identifier l’allergène en cause et d’éventuelles sensibilisations/allergies croisées
Les aliments sont les allergènes impliqués principalement dans l’anaphylaxie chez l’enfant (notamment laits, œuf, arachide, noix de cajou et pistache) alors que les venins d’hyménoptère et les médicaments (antibiotiques, antiinflammatoires non stéroïdiens) sont surtout impliqués chez l’adulte.
Identifier le(s) allergène(s) est indispensable, permettant de rassurer le patient, d’identifier des réactivités croisées éventuelles (en matière d’aliments ou de médicaments), d’estimer le risque de réaction sévère et/ou de récurrence, de proposer une éviction la plus ciblée possible, et de définir une stratégie de traitement personnalisée.
Outre un entretien minutieux et la lecture des fiches médicales des urgences, l’allergologue peut s’aider de la lecture des étiquettes d’aliments ou de produits consommés, de sites internet détaillant la composition de produits industriels (comme https://www.allergobox.com/), éventuellement d’une diététicienne nutritionniste spécialisée en allergologie.
L’allergologue réalise habituellement des examens complémentaires pour étayer sa démarche selon le contexte : tests cutanés (prick-tests, tests épicutanés, intradermoréactions), dosages biologiques (IgE spécifiques, recombinants principalement, puces multi-allergéniques ALEX ou ISAC par exemple) voire test de provocation en cas de doute diagnostic.
Le diagnostic du(des) allergène(s) est parfois difficile et peut requérir un avis au sein de réunions de concertation pluridisciplinaire en allergologie qui se mettent en place dans différents centres ou la consultation de sites spécialisés en allergologie (comme AllerData.com).
Estimer le risque de réaction sévère et de récurrence allergique
Estimer le risque de nouvelle réaction sévère ou de récurrence nécessite de prendre en compte le contexte, les antécédents du patient, les allergènes incriminés.
Ainsi, en matière d’allergie alimentaire, il est indispensable d’estimer le risque selon certaines caractéristiques de l’aliment : familles botanique et moléculaire (PR-10, LTP, GRP, profilines…), seuil de réactivité, voie de déclenchement de la réaction, caractère ubiquitaire de l’allergène, allergène à déclaration obligatoire dans le règlement INCO ou non…
Il faut également tenir compte d’éventuels cofacteurs (effort, asthme non contrôlé, désordres mastocytaires, consommation alimentaire à jeun, prise médicamenteuse concomitante, infection virale…), l’utilisation de médicaments au long cours. Il est important d’expliquer au patient et à son entourage ces cofacteurs et la nécessité de respecter certaines précautions, dépendant du contexte et des allergènes. Ainsi, en cas d’allergie alimentaire dans le cadre d’un syndrome d’allergie pollens-aliments (comme pour le bouleau et la pêche), il convient d’éviter une consommation en grande quantité de fruits crus ou en smoothie, à jeun, dans les 2 heures suivant un effort intense, lors d’une infection virale ou une exacerbation d’asthme, ou en cas de prise concomitante de médicaments à risque (comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens).
PRESCRIRE LA TROUSSE D’URGENCE ET ENGAGER UN SUIVI PLURIDISCIPLINAIRE
Les auto-injecteurs d’adrénaline dans la trousse d’urgence
une anaphylaxie, tous les patients devraient avoir une prescription d’auto-injecteurs d’adrénaline (AIA), en dehors de la situation d’une anaphylaxie médicamenteuse où l’indication doit être discutée au cas par cas (tableau 1)(3). Il convient alors de prescrire un kit de deux AIA par trousse d’urgence, en respectant la posologie recommandée selon le poids de l’enfant (tableau 2)(4).
En France, trois auto-injecteurs d’adrénaline (AIA) sont actuellement commercialisés : Anapen® 0,15/0,30/0,50 mg, Jext® 0,15/0,3 mg, Epipen® 0,15/0,30 mg (figure 1). Il existe des différences entre chaque AIA : longueur et diamètre de l’aiguille, système de propulsion et d’activation, contenant pour l’adrénaline (ampoule/cartouche), contenu en adrénaline (0,15-0,30 et 0,50 mg), modalités de fonctionnement et aspects ergonomiques, protection de l’aiguille après utilisation ou non. Les données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques concernant l’utilisation des AIA chez le volontaire sain ou dans l’anaphylaxie sont actuellement insuffisantes et ne permettent pas de recommander l’un ou l’autre des AIA, malgré des particularités.
Figure 1. Protocole de soins d’urgence en cas d’allergie alimentaire.
Les autres médicaments de la trousse d’urgence
Les antihistaminiques par voie orale ne sont pas le traitement de l’anaphylaxie. Ils permettent seulement de traiter les signes cutanéo-muqueux de la réaction allergique. Les antihistaminiques H1 de deuxième génération sont habituellement utilisés dans cette indication. Les corticoïdes par voie orale (ou même par voie intra-veineuse) n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour réduire le risque de complication (gravité de la réaction, fréquence des réactions biphasiques), ils ne seront donc pas prescrits dans la trousse d’urgence. Le bronchospasme est une des manifestations les plus fréquemment identifiées dans les cas d’anaphylaxie alimentaire grave chez l’enfant. Ces données justifient la prescription de bronchodilatateurs béta2-adrénergiques inhalés de courte durée d’action chez les enfants à haut risque d’anaphylaxie (aérosol doseur et chambre d’inhalation ou système auto-déclenché ou poudre).
Accompagner la prescription des auto-injecteurs d’adrénaline par une éducation thérapeutique
Une conduite à tenir d’urgence en cas de réaction allergique, claire et personnalisable, doit être jointe (figure 2). Elle a été actualisée et harmonisée sur le plan national par la Société française d’allergologie(5). En cas d’anaphylaxie, l’injection sera réalisée sur la face antéro-externe à la partie moyenne de la cuisse (et non dans le deltoïde ou la fesse). Une deuxième injection avec un autre AIA, à la même posologie, sur la cuisse opposée, peut être nécessaire 5 à 10 minutes après la première injection en cas de persistance ou d’aggravation des symptômes. Environ 10 % des anaphylaxies traitées nécessitent plus d’une injection d’adrénaline. L’AIA est à usage unique.
Figure 2. Fiche spécifique no 2 « Conduite à tenir d’urgence », disponible sur le site de l’Éducation nationale Eduscol, https://eduscol. education.fr/document/7754/download ; vérifié le 12 juin 2024).
La prescription d’un AIA doit être accompagnée d’une démonstration de son utilisation avec un dispositif factice (sans aiguille ni médicament) de la marque prescrite. Le patient, ou l’enfant et ses parents doivent également manipuler le dispositif factice. Cette démonstration sera revue à chaque consultation de suivi. Des conseils au patient doivent dans l’idéal accompagner la prescription de ces AIA (encadré). Le médecin peut se procurer les dispositifs de démonstration sur simple demande sur les sites internet des industriels.
Un projet de soins personnalisé et un suivi allergologique doivent être envisagés
Un projet de soins sera envisagé selon le contexte, les besoins, l’évaluation d’une balance bénéfice/risque et les souhaits du patient ou de son entourage : éviction alimentaire ou médicamenteuse, immunothérapie orale alimentaire, immunothérapie pour les venins d’hyménoptères, induction de tolérance médicamenteuse…
L’allergologue pourra délivrer une carte de patient allergique nominative, à porter sur soi en toutes circonstances, précisant le(les) allergène(s), la nécessité d’appeler les secours en cas de réaction grave et de réaliser rapidement l’injection intramusculaire d’adrénaline avant l’arrivée des premiers secours si le patient porte son AIA sur lui.
Dans certaines régions comme en Lorraine – Champagne-Ardenne, il est également possible de solliciter les centres de régulation 15 au plan local pour notifier le patient à haut risque d’anaphylaxie. En cas d’appel du patient vers le centre 15, une alerte rappelle au régulateur et à l’équipe d’urgence le risque d’anaphylaxie et la nécessité d’envisager un traitement adapté dans un contexte spécifique.
Le retentissement psychologique et l’altération de la qualité de vie après une anaphylaxie sont désormais connus et exposent même à d’authentiques syndromes de stress post-traumatiques. Ce retentissement doit être évalué au fil du suivi, voire évalué par un psychologue. Il est également possible de mettre ces patients en lien avec les associations de patients (Association française pour la prévention des allergies, asthme et allergie) afin de partager informations, conseils et soutien.
Enfin, le suivi par l’allergologue doit être prolongé. En effet, le risque de récurrence des réactions allergiques, y compris graves, est important, même à distance de la réaction initiale, principalement pour les aliments. D’autre part, l’histoire des allergies évolue et d’autres allergies peuvent apparaître. Il est nécessaire de réévaluer à chaque consultation l’intérêt de l’éviction allergénique, les conseils diététiques en cas d’allergie alimentaire, le contenu de la trousse et la manipulation des dispositifs, la conduite à tenir d’urgence.
ENCADRER LA SCOLARISATION DES ENFANTS À RISQUE : LE PROJET D’ACCUEIL INDIVIDUALISÉ
Chez l’enfant, après une anaphylaxie pour laquelle le risque de récurrence est avéré, il est nécessaire de rédiger un projet d’accueil individualisé (PAI) pour encadrer la scolarité des enfants. Les indications de mise en œuvre d’un PAI pour allergie et de la prescription d’une trousse d’urgence avec adrénaline sont désormais harmonisées et consensuelles. La fiche « Conduite à tenir d’urgence » décrit les symptômes et la stratégie de traitement en cas de réaction allergique (Fiche spécifique no 2 « Conduite à tenir d’urgence », disponible sur le site de l’Éducation nationale Eduscol, https://eduscol.education.fr/document/7754/download ; vérifié le 12 juin 2024) (figure 2). Des QR codes rappelant l’utilisation de chaque AIA sont disponibles sur cette fiche.
Nous recommandons également de remplir et transmettre la fiche de liaison destinée au médecin de l’Éducation nationale qui permet de fournir des informations complémentaires indispensables sur les allergènes, sur le type de restauration scolaire recommandé par l’allergologue et des éléments du diagnostic éducatif.
Enfin, le médecin rédacteur du PAI doit proposer une modalité de restauration scolaire adaptée au risque allergique, en lien avec l’expertise de l’allergologue. Les préconisations possibles en matière de restauration sont les suivantes : repas adapté fourni par la restauration en application des recommandations du médecin prescripteur (éviction simple ou repas spécifique garanti), panier-repas fourni par les parents en respect des conditions d’hygiène et de sécurité. Le décret no 2015-447 du 17 avril 2015 relatif à l’information des consommateurs (INCO) sur les allergènes et les denrées alimentaires non préemballées doit permettre une meilleure information aux familles et aux enfants, notamment sur la présence des 14 allergènes à déclaration obligatoire.
PARTICIPER À LA RECHERCHE CLINIQUE DANS LE DOMAINE DE L’ANAPHYLAXIE
Après une anaphylaxie, l’allergologue peut jouer un rôle clé dans l’essor de la recherche clinique en matière d’anaphylaxie et participer à différentes initiatives françaises. Ainsi, le réseau d’Allergo-Vigilance (RAV) est un réseau francophone de médecins qui colligent depuis 2002 les cas d’anaphylaxie afin d’identifier de nouveaux allergènes, repérer de nouvelles formes cliniques, renseigner sur des allergènes à risque et/ou émergents, collaborer avec les autorités de santé et les autres registres impliqués dans ce domaine. Il assure une mission de formation auprès des adhérents par les cas commentés adressés régulièrement, les synthèses de son activité, et les congrès organisés par ses membres (www.allergyvigilance.org).
Le Groupe d’étude des réactions anesthésiques péri-opératoires (GERAP) collige et analyse les cas d’hypersensibilité dans le domaine péri-opératoire, permet d’identifier les substances à risque et l’évolution des données épidémiologiques pour mieux prévenir ces réactions. Par ailleurs, le Collège national professionnel d’allergologie en partenariat avec la Société française d’allergologie organise actuellement la constitution d’un registre de l’anaphylaxie sévère en France (registre SAFE pour Severe Anaphylaxis in France Etwork). Les objectifs de ce registre sont de fournir des données épidémiologiques sur l’anaphylaxie sévère, évaluer l’impact des recommandations nationales et internationales en matière de traitement et de prévention de l’anaphylaxie, alerter la communauté scientifique et les pouvoirs publics sur les risques liés aux allergènes émergents et proposer des stratégies de prévention, alerter le grand public sur les actions nécessaires pour réduire la fréquence des anaphylaxies sévères et enfin structurer le suivi des patients qui ont vécu une anaphylaxie sévère. L’engagement de la communauté médicale, des allergologues, pédiatres, urgentistes et réanimateurs en particulier, sera un élément clé de la réussite de ce projet d’ampleur unique au monde par sa structuration.
CONCLUSION
• Après une anaphylaxie, une consultation avec un allergologue s’impose pour affirmer le diagnostic, préciser le(s) allergène(s), estimer le risque, identifier les cofacteurs éventuels et définir une stratégie de traitement personnalisé.
• Des consignes claires d’éviction allergénique, mais aussi sur la possibilité de consommer tel ou tel aliment pour une allergie alimentaire ou d’utiliser tel ou tel médicament dans une hypersensibilité médicamenteuse, doivent être proposées au patient et à son médecin traitant.
• La prescription d’une trousse d’urgence avec deux auto-injecteurs d’adrénaline, accompagnée d’une fiche « conduite à tenir d’urgence » et une éducation thérapeutique appropriée sont indispensables pour les patients avec un antécédent d’anaphylaxie en dehors de l’anaphylaxie médicamenteuse.
• Le suivi allergologique est nécessaire selon la stratégie de soins personnalisés définie en lien avec le patient, notamment à cause du risque de nouvelles réactions anaphylactiques.
Conflits d’intérêts : consultant pour Bioprojet, Theravia
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