Cancérologie
Publié le 30 déc 2024Lecture 9 min
Faut-il opérer tous les nodules parotidiens ?
Dominique CHEVALIER, service ORL et CCF, hôpital Claude-Huriez CHU de Lille
L’actualité est à la publication récente des recommandations de la Société française d’ORL : « Chirurgie des cancers des glandes salivaires principales : recommandations REFCOR par consensus formalisé ». La recommandation, en dehors de toute hypothèse du caractère cancéreux ou pas, est claire : « le traitement de tumeurs de glandes salivaires est avant tout chirurgical »(1).
Le constat, au quotidien, est que les patients interrogent de plus en plus souvent le chirurgien à propos de cette attitude, et ce, d’autant plus que nous rappelons la discordance apparente entre la clinique et la morbidité ou les risques de complications de la chirurgie. Cela justifie de s’interroger sur la place pour une attitude nuancée à apporter. La question de l’indication chirurgicale pourrait être posée différemment : « quels nodules parotidiens ne pas opérer ? »
LA CLINIQUE PEUT-ELLE NOUS AIDER ?
L’incidence des tumeurs de la glande parotide est faible, elle est plus fréquente que celle de la glande sous-mandibulaire ou de la glande sublinguale. En revanche, le taux de tumeur maligne y est le plus faible de celui des glandes salivaires, de l’ordre de 20 %. L’adénome pléomorphe et la tumeur de Warthin représentent la majorité des histologies qui sont bénignes(2).
La présence d’un nodule ou d’une tumeur de la glande parotide est très souvent asymptomatique. Ceci explique le long délai d’évolution avant traitement ou la réalisation d’un bilan paraclinique, et suscite de nombreuses interrogations de la part des patients.
La clinique est très variable selon la localisation de la tumeur, accessible lorsqu’elle est superficielle, beaucoup moins lorsqu’elle est profonde dans la glande, ce qui peut expliquer un diagnostic plus tardif. La symptomatologie est souvent modérée, il est important de chercher les signes en faveur du diagnostic de malignité, comme la présence d’une paralysie faciale périphérique, d’adénopathies cervicales homolatérales, d’un envahissement de la peau en regard avec ulcération (figure 1), d’un trismus, d’une évolution rapide. Une douleur, plus ou moins intense, l’évoque également, mais elle peut être présente si la tumeur est bénigne, ou si une poussée inflammatoire avec nécrose survient.
Figure 1. Tumeur parotidienne droite, maligne, avec infiltration cutanée (flèche).
En présence d’une tumeur très superficielle, facile à palper, parfois paraissant à la limite de la loge parotidienne, il est possible d’envisager un traitement chirurgical d’exérèse de la totalité de la tumeur, mais conservateur de la glande. De même cette situation, en l’absence de geste chirurgical, facilite le suivi régulier, et permet d’adapter le traitement à la demande du patient, mais aussi de l’évolution de la tumeur (figure 2).
Figure 2. Tumeur parotidienne droite inférieure superficielle (flèche).
QUELS EXAMENS DEMANDER EN PRÉSENCE D’UNE TUMEUR PAROTIDIENNE ?
L’échographie est de réalisation simple, peu onéreuse, sans risque, accessible. En pratique, elle est souvent demandée pour permettre de préciser la nature parotidienne de la tumeur. Elle est l’examen d’imagerie de choix et de première intention devant une tumeur cervicale, a fortiori si elle est parotidienne.
Si la nature parotidienne est évidente après l’examen clinique, il est possible de réaliser d’emblée, un examen IRM. Celui-ci précise la localisation de la tumeur, étudie les aires ganglionnaires. L’injection de gadolinium, les séquences de diffusion et de perfusion permettent d’émettre une hypothèse diagnostique de nature, mais pas de l’affirmer. C’est l’examen de choix, en l’absence de contre-indication ou de claustrophobie (figures 3 et 4).
Figure 3. Examen IRM T2, d’une tumeur profonde de la glande parotide gauche.
Figure 4 Examen IRM d’un adenome pleomorphe profond de la glande parotide gauche.
La ponction à l’aiguille fine pour examen cytologique apporte des arguments complémentaires, mais n’affirme pas le diagnostic. La sensibilité et la spécificité sont de l’ordre de 80 % à 90 %, selon les études(3). Cette technique nécessite des opérateurs entraînés, la faible fréquence de cette pathologie expliquant la difficulté potentielle à en disposer. Elle a une valeur plus importante lorsqu’elle est en faveur de la malignité et c’est la concordance des résultats de ces différents examens, incluant la clinique, qui est intéressante à considérer si on veut argumenter l’une des deux hypothèses de tumeur bénigne ou maligne.
Finalement, seule l’analyse histologique de la pièce opératoire affirmera un diagnostic, ce qui nous rappelle les conclusions de la recommandation.
L’examen anatomo-pathologique extemporane, occupe une place particulière, puisque, par définition, il est réalisé alors que le geste d’exérèse tumorale est réalisé ou en cours. En France, il conserve sa place dans la prise en charge des tumeurs des glandes salivaires. Cette technique est fiable, mais également contraignante, car elle nécessite la présence d’un anatomo-pathologiste « à disposition » pendant la chirurgie. Son objectif est de différencier les tumeurs malignes des tumeurs benignes, et n’a d’intérêt que si ce résultat permet d’adapter le geste chirurgical en per-opératoire. En pratique cela a pour conséquence d’étendre la résection glandulaire, et, pour certains, de réaliser un évidement ganglionnaire dans le même temps. Lorsque ce diagnostic extemporané est en faveur d’une tumeur maligne, il devra être confirmé par l’analyse définitive, celle-ci apportant d’indispensables compléments d’information, tels le sous-type et les facteurs pronostiques que sont : le grade histologique, l’engainement perinerveux, les embols vasculaires. Ces éléments sont à prendre en compte pour le traitement complémentaire éventuel, si la malignité est confirmée.
Le scanner, même s’il est injecté, est un examen moins pertinent que l’IRM. Il n’est réalisé que lors d’une contre-indication de celle-ci. La TEP-FDG n’est pas indiquée, l’analyse de la littérature ne permet pas d’affirmer son rôle dans le diagnostic ou le bilan d’extension, il existe de nombreux faux positifs, l’examen est peu spécifique.
TRAITEMENT
Le traitement est principalement chirurgical, ses objectifs sont de réaliser une exérèse complète de la tumeur, avec peu ou pas de séquelles.
Méthodes
La parotidectomie est maintenant réalisée sous couvert du monitorage du nerf facial, apportant un élément de sécurité susceptible d’aider le chirurgien lors de la dissection et pour le repérage et la protection du nerf facial. Le geste le plus large est la parotidectomie subtotale conservant, après les avoir disséqués, les branches du nerf facial l’artère carotide externe intraparotidienne. Ce geste est toujours envisagé si l’hypothèse préopératoire est celle d’une tumeur maligne ou si la taille de la tumeur est de plus de 4 centimètres, ou si elle est profonde dans la glande, en dessous du plan du nerf.
Le geste intermédiaire est la parotidectomie exo-faciale ou « superficielle ». La conservation des éléments anatomiques précédents est assurée, mais le tissu parotidien plus profond, en dedans du plan du nerf, est respecté (figure 5). Ce geste est réalisé pour une tumeur non suspecte de malignité, de taille inférieure à 4 cm, superficielle par rapport au plan du nerf facial. C’est cette intervention qui est le plus souvent réalisée. Un geste beaucoup plus limité est la « tumorectomie extra-capsulaire », parfois présentée comme une parotidectomie partielle, il est difficile de s’accorder sur cette définition puisque la parotidectomie exofaciale peut également justifier ce qualificatif. Ce qui est important, pour la majorité des auteurs, est que l’exérèse de la tumeur doit être complète et qu’un examen extemporané est fortement recommandé.
Figure 5. Champ opératoire en fin de réalisation d’une parotidectomie exofaciale avec dissection du nerf facial.
Indications
Le traitement est principalement chirurgical. Au-delà de ce constat qui ne laisse pas beaucoup de place à une alternative, une controverse est possible. L’expérience nous a appris beaucoup des situations particulières, comme le refus de traitement ou le long délai avant de consulter. Ces situations, peu fréquentes, permettent d’observer l’évolution de ces tumeurs, parfois pendant plus de 20 ans (figure 6). Celle-ci est lente, progressive lorsqu’il s’agit d’une tumeur bénigne, plus rapide si elle est maligne. S’il s’agit de patients jeunes, au moment du diagnostic initial, il est déraisonnable de ne pas opérer. S’ils refusent, il faut proposer une surveillance clinique, être à disposition des patients pour reprendre les investigations complémentaires, avec une attention particulière si la croissance est rapide, ou en présence de l’apparition d’adénopathies homolatérales, d’une paralysie faciale. Bien souvent, quelques années plus tard, l’augmentation progressive du volume de la tumeur et l’aspect esthétique amènent le patient à accepter la chirurgie qu’initialement ils avaient refusée.
Figure 6. Tumeur parotidienne gauche après évolution prolongée.
En revanche, face à un patient de plus de 80 ans, ayant des comorbidités sévères, l’abstention chirurgicale se discute. C’est le bénéfice/risque, l’avis du patient, et de son entourage, qui sont à considérer. Le risque principal est celui de l’anesthésie plus que le geste lui-même. Ceci est d’autant plus vrai s’il s’agit d’une tumeur bénigne dont les deux plus fréquentes sont l’adénome pléomorphe et la tumeur de Warthin, dont la certitude n’est obtenue que sur la pièce d’exérèse !
Chirurgie ganglionnaire
S’il s’agit d’une tumeur maligne, chez un patient N0, la recommandation est de réaliser un évidement ganglionnaire homolatéral, si elle est classée T3-4 ou si elle est de haut grade. Cette importante précision est rarement obtenue lors de l’analyse extemporanée, conduisant pour certains à réaliser ce geste dans un second temps. Ceci est particulièrement pertinent pour les tumeurs de petite taille, classées T1 ou T2. L’évidement ganglionnaire comprend au minimum les secteurs II, III, IV.
Sa réalisation d’emblée, lors de la chirurgie tumorale, a l’avantage, pour le patient, d’éviter une seconde hospitalisation quelques semaines après, mais expose au risque de morbidité et de traitement par excès. L’appréciation est actuellement laissée à l’opérateur et au patient, celui-ci doit impérativement avoir été informé, avec son accord pour l’éventuelle réalisation du geste ganglionnaire.
Complications et séquelles
La paralysie faciale périphérique, motrice, est la complication la plus redoutée. Elle est la conséquence de la dissection du nerf, souvent partielle et transitoire, récupérant dans un délai moyen de 3 mois. Lorsqu’elle est définitive, c’est la conséquence du sacrifice du nerf, alors imposé par l’envahissement massif du nerf, ne permettant pas sa dissection sans risque carcinologique. Cet effet secondaire devient une complication lorsque la récupération n’est pas complète, ce qui est rare. Ce risque est plus élevé si la dissection est difficile, si la résection chirurgicale est large. C’est pour l’éviter, lorsqu’elle est indiquée, que la tumorectomie extra-capsulaire est une alternative à étudier, car le taux de paralysie faciale devient proche de zéro.
La situation la plus fréquente est celle d’une chirurgie classique, imposant une dissection du nerf sans lésion de celui-ci, le taux de paralysie faciale périphérique, sans récupération, est compris entre 0 et 2 % selon les auteurs. Il est considéré comme acceptable, et ce, d’autant plus que la paralysie ne touche qu’exceptionnellement la totalité de son territoire.
Les douleurs postopératoires sont peu fréquentes, de courte durée, sauf lorsque survient un syndrome de la première bouchée. Celui-ci résulte des effets secondaires de la dissection profonde dans la loge parotidienne avec dénervation des filets sympathiques cervicaux.
Le syndrome de Frey est une hypersudation avec rougeur cutanée de la région prétragienne survenant au cours des repas, pour certains aliments. Elle serait la conséquence d’une régénération aberrante des fibres parasympathiques, venant innerver les glandes sudoripares, homolatérales(4).
La cicatrisation cutanée de l’incision est souvent bonne, en revanche, les patients peuvent s e plaindre d’une dépression sous et rétromandibulaire. Elle est variable en importance et diversement appréciée, elle peut se prévenir en utilisant l’aponévrose superficielle. L’hypo ou l’anesthésie du lobe de l’oreille résulte de la section des branches du nerf auriculo-temporal, dont la récupération est hypothétique. Les patients s’en plaignent plus quelques années après l’intervention, et elle peut être mal vécue.
CONCLUSION
• À la question faut-il opérer tous les nodules parotidiens, la réponse pourrait être « NON ».
• La réalité le démontre, mais il s’agit de situations exceptionnelles qui résultent plus souvent d’un refus du patient, tout à fait respectable, ou d’une contre-indication à l’anesthésie générale, ce qui est très différent.
• L’évolution actuelle des traitements se fait vers une chirurgie moins invasive, limitant le risque de complications et de séquelles. En présence d’une tumeur parotidienne, plutôt que de parler d’éviter une chirurgie, il est préférable de chercher à diminuer les complications et les effets secondaires.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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