Publié le 27 fév 2025Lecture 6 min
La prescription en pratique des biothérapies en allergie oculaire chez l’enfant
Flore AMAT, Service de pneumologie et allergologie pédiatriques, Hôpital Robert Debré, Paris

L’indication des biothérapies en allergie oculaire chez l’enfant concerne essentiellement la kérato-conjonctivite vernale (KCV). La KCV est une maladie rare allergique inflammatoire chronique sévère de la surface oculaire, affectant la conjonctive oculaire et la cornée, et pouvant impacter la vue et la qualité de vie de façon majeure(1,2). Elle affecte principalement les garçons d’âge scolaire dans leur première décennie(3), avec un terrain atopique(4).
Dans la plupart des cas, la KCV est caractérisée par une inflammation chronique de la surface oculaire avec des exacerbations saisonnières au printemps et en été (« vernale » dérivant du latin vernum, « printemps »). La symptomatologie regroupe des manifestations fonctionnelles sévères : prurit intense, photophobie intense, difficulté d’ouverture palpébrale le matin, hyperhémie conjonctivale, larmoiement, sécrétions oculaires, sensation de corps étranger, œdème palpébral et chémosis(5). Le caractère récidivant, sévère et réfractaire au traitement de la symptomatologie doit faire évoquer le diagnostic. Le diagnostic est clinique. À l’examen, des papilles géantes sont observées sur la conjonctive tarsale (aspect pavimenteux), tandis que des infiltrations gélatineuses avec des nodules de Trantas sont observées au niveau du limbe. La classification de Bonini(6) est utilisée pour graduer la sévérité (tableau). Le pronostic est en général vers une guérison à l’adolescence, avec un risque de séquelles lié aux complications (ulcère et plaque vernale, kératocône lié au grattage, complications iatrogènes de la corticothérapie locale).
PHYSIOPATHOLOGIE DE LA KCV
Même si celle-ci reste discutée à l’heure actuelle, il s’agit probablement d’une maladie à éosinophiles. Leonardi et coll. ont comparé dans une étude prospective les sécrétions lacrymales de 20 patients et de 10 volontaires sains. Il existait avant traitement une différence significative des taux lacrymaux de protéine cationique des éosinophiles, marqueur d’activation de ceux-ci (7,5 ± 0,4 versus 988,3 ± 128,3 µg/L, p < 0,001)(7). Les travaux de Metz et coll. sont également en faveur d’une inflammation de type Th2 avec sécrétions augmentées d’interleukines 4 et 5, d’éosinophiles, de mastocytes, mais également d’interleukine 17 et de facteurs de remodelage(8).
BILAN À RÉALISER
Le bilan minimal doit comprendre au minimum une évaluation ophtalmologique, bien entendu, mais aussi une évaluation des comorbidités atopiques qui sont très souvent associées à la KCV(4), ainsi qu’une évaluation du retentissement psychosocial. Les examens complémentaires comportent une NFS pour évaluation de l’éosinophilie, des tests cutanés allergologiques et des IgE spécifiques ciblant les pneumallergènes(9).
TRAITEMENTS USUELS
La prise en charge de la KCV a fait l’objet d’un Programme national de diagnostic et de soins en septembre 2022(9). Le traitement comporte :
– des mesures préventives environnementales (lunettes avec verres teintés, lavages oculaires, éviter l’exposition à la climatisation et aux allergènes…) ;
– des thérapeutiques médicamenteuses topiques adaptées à la sévérité : en première intention des antidégranulants mastocytaires ou antihistaminiques sans conservateur,
• des corticoïdes locaux en cure courte lors des crises, devant être étroitement contrôlées en raison du risque de corticodépendance et d’effets indésirables locaux,
• des injections supra-tarsales de corticoïdes,
• enfin, des inhibiteurs topiques de la calcineurine de prescription réservée aux ophtalmologistes (ciclosporine topique 0,1 %, ou préparations hospitalières à 1 ou 2 % ; tacrolimus topique à 0,1 %) ;
– un traitement antihistaminique par voie orale peut être très utile pour les formes avec un terrain atopique marqué ;
– enfin, un traitement chirurgical des plaques vernales peut parfois être nécessaire.
PLACE DES BIOTHÉRAPIES
Les biothérapies sont des traitements ciblés ayant pour principale caractéristique d’être fabriqués par un organisme vivant. Il n’existe à ce jour aucune donnée issue d’essais cliniques pour leur utilisation dans la KCV, donc pas d’AMM spécifique, néanmoins, nous disposons de plusieurs résultats issus de cohortes encourageantes(10).
L’omalizumab
L’omalizumab est la biothérapie de recours la plus fréquente, avec plusieurs séries de cas montrant une efficacité potentielle(11-16). Il s’agit d’un anticorps monoclonal IgG1 anti-IgE humanisé, approuvé depuis 2003 par la Food and Drug Administration dans l’asthme sévère allergique. Les indications dans le cadre de l’AMM en France sont actuellement l’asthme sévère allergique dès l’âge de 6 ans, la polypose naso-sinusienne de l’adulte et l’urticaire chronique spontanée dès l’âge de 12 ans. Doan et coll. ont ainsi décrit, chez 4 garçons âgés de 7 à 13 ans, une amélioration chez 3 d’entre eux dans les 6 mois suivant l’initiation de l’omalizumab. Tous avaient initialement une inflammation conjonctivale persistante malgré plusieurs cures de corticoïdes locaux ou injectables et un traitement topique par cyclosporine 2 %. Ils avaient également tous un asthme associé. Le patient ayant échappé au traitement par omalizumab était le seul patient non allergique(15).
Le dupilumab
Le dupilumab est un anticorps monoclonal humanisé antirécepteur alpha de l’IL-4 (donc actif sur l’IL-4 et l’IL-13). Les indications dans le cadre de l’AMM actuellement en France sont la dermatite atopique sévère dès l’âge de 6 mois et l’asthme sévère éosinophilique dès l’âge de 6 ans. Il s’administre en souscutané. Ce traitement pouvant entraîner des conjonctivites dans l’indication de la dermatite atopique, il n’est en général pas retenu dans l’arsenal thérapeutique potentiel des KCV. Néanmoins, Tsui et coll. ont rapporté une efficacité chez 3 patients atteints de kérato-conjonctivite vernale, dont deux après échec d’un traitement par omalizumab(17). Un essai clinique est en cours dans l’indication de la kérato-conjonctivite atopique de l’adulte(18).
PRESCRIPTION DES BIOTHÉRAPIES EN PRATIQUE
L’omalizumab, comme toute biothérapie, est un médicament d’exception avec prescription initiale hospitalière.
La posologie retenue de l’omalizumab est en général adaptée de celle indiquée dans l’asthme sévère allergique. Elle est déterminée en fonction du poids et du taux d’IgE totales sériques réalisé une fois avant le début du traitement, selon des abaques fournis par le fabricant. La prescription est actuellement réservée aux pédiatres, dermatologues, médecins internistes, pneumologues, allergologues. Il s’administre en sous-cutané. La tolérance est très bonne, les effets indésirables consistant essentiellement en des réactions locales et une fatigabilité. Des réactions allergiques ou pseudo-allergiques ont été décrites en début de traitement justifiant une surveillance médicale lors des premières injections(19). La galénique actuelle existe sous forme de seringues auto-injectables à 150 ou 300 mg avec un coût de 336 euros pour 150 mg, soit 2 688 euros par mois pour la posologie maximale de 600 mg toutes les deux semaines. Le délai d’action et la durée minimale de ces traitements dans la KCV sont actuellement inconnus. Dans l’indication de l’asthme sévère allergique, une réévaluation est recommandée à environ 16 semaines de l’initiation(20) pour une durée minimale de traitement de 2 à 3 ans(21,22).
CONCLUSION
• Il existe un rationnel physiopathologique pouvant faire proposer l’omalizumab dans les formes sévères de KCV, notamment en cas d’association à d’autres comorbidités atopiques ou de participation allergique franche.
• Le profil de tolérance est globalement très bon pour l’omalizumab.
• Toutefois, il faut retenir qu’il s’agit d’un médicament onéreux qui n’a, à ce jour, pas l’AMM dans cette indication, et que de nombreuses questions restent donc en suspens : place dans l’arsenal thérapeutique, phénotype meilleur répondeur, posologie et durée du traitement.
• Une approche multidisciplinaire pour les formes sévères de KCV est indispensable.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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