Publié le 22 sep 2014Lecture 12 min
Exploration clinique et psychophysique de l’odorat
C. ELOIT*,**, P. HERMAN*, D. TROTIER**, *Service ORL, Pôle neuro-sensoriel et chirurgie de la face et du cou, Hôpital Lariboisière, Paris/**Neurobiologie sensorielle de l’olfaction et de la gustation, Institut de neurobiologie Alfred Fessard, FRC2118 ; CN
Lorsqu’un patient se plaint de troubles de l’odorat, l’évaluation de la fonction olfactive en clinique se contente « d’estimer » l’importance de la perte olfactive. Cette estimation est évidemment personnelle au patient. En l’absence de tests validés, on ne peut comparer le déficit olfactif des patients entre eux, ni surveiller l’évolution ou l’efficacité d’un traitement. Des tests validés et reproductibles sont donc indispensables. Cependant, on peut « débrouiller » beaucoup de cas en consultation.
Clinique En fait, qu’entend-t-on précisément par trouble de l’odorat (dysosmie) ? Est-ce une baisse du seuil de la perception (hyposmie), une absence complète de perceptions odorantes (anosmie), accompagnée ou non par des troubles de la perception des saveurs, une modification de la qualité des odeurs (parosmie), parfois la perception de mauvaises odeurs (cacosmie), ou est-ce une incapacité à identifier les odeurs ? La première étape consiste à préciser le trouble olfactif L’interrogatoire est l’élément essentiel d’orientation. Les symptômes cliniques sont très informatifs et il faut laisser au patient le temps d’exprimer complètement ses plaintes. Par exemple : « Je ne sens que si j’ai l’odeur juste sous le nez » évoque une hyposmie ; « Je sens toujours la même odeur » une parosmie ou bien « Je sens mais je ne reconnais plus les odeurs, elles me sont inconnues » évoque plutôt une altération de l’identification liée à la connectique axonale au niveau des bulbes olfactifs. Cette altération se rencontre très souvent dans les séquelles « d’anosmie postvirale » ou bien dans les troubles cognitifs. Les questions importantes à poser concernent le mode d’installation brutal ou progressif, les circonstances de survenue de la dysosmie, l’ancienneté, l’évolution et l’éventuelle concomitance d’une affection infectieuse et/ou inflammatoire. La survenue d’un traumatisme crânien, même sans perte de connaissance, peut être la cause d’un déficit olfactif majeur, de même que l’exposition accidentelle à un incendie ou à des émanations de produits toxiques, ou encore l’exposition professionnelle à de nombreux produits dont on connaît l’effet toxique progressif sur l’odorat (métaux lourds, méthacrylate, etc.). Les symptômes rhinologiques chroniques tels l’obstruction, l’écoulement clair ou purulent, les éternuements, l’association à une pathologie broncho-pulmonaire ou allergique, des épistaxis, des céphalées et/ou des douleurs faciales orientent vers une pathologie locale. Il faut noter si le trouble olfactif est permanent ou fluctuant, en particulier s’il paraît réversible sous traitement corticoïde, ce qui oriente vers une pathologie obstructive de type inflammatoire. La notion de pathologie neurologique concomitante est plus délicate à préciser. Cependant, l’interrogatoire doit rechercher une épilepsie ou une pathologie psychotique connue, voire traitée, dont les troubles olfactifs peuvent constituer l’aura. Le cadre clinique des maladies neurodégénératives est différent : l’âge, le contexte souvent dépressif, les troubles de la mémoire et les antécédents de maladies neurodégénératives familiales orientent en ce sens, pour peu que l’on pense à les rechercher. Des troubles comportementaux associés à une anosmie peuvent accompagner les « syndrômes frontaux » des traumatisés crâniens, des accidents vasculaires cérébraux ou des tumeurs intracrâniennes. Dans ces cas, il peut exister une hypo ou une hyperactivité avec impulsivité, désinhibition, agressivité ou, au contraire, une moria (comportement caractérisé par une excitation psychomotrice avec euphorie joviale et tendance aux blagues puériles). La plupart des patients présentant des troubles olfactifs se plaignent aussi de « perte de goût », dénomination souvent impropre. Les bourgeons gustatifs sont fonctionnels, mais la perception des flaveurs est pathologique. Ainsi, l’olfaction rétronasale (figure 1) est inexistante ou fortement diminuée. Figure 1. Olfaction ortho- et rétronasale. Influence du nerf trijumeau sur les perceptions chimiosensorielles. Les odeurs atteignent l’épithélium olfactif par deux voies : orthonasale et rétronasale (arôme, saveur ou « palais »). L’ensemble active les aires du cortex olfactif primaire. Une information complémentaire provient du nerf trijumeau. En effet, la grande majorité des odeurs présente aussi une composante piquante, fraîche, etc. ; ces informations parviennent aussi bien de la bouche que de la muqueuse nasale. Elles sont transmises par l’intermédiaire des nerfs trijumeaux au thalamus. Ainsi, s’intègrent en même temps les informations sur la consistance et la température des aliments, et se constitue « la conscience de l’alimentation », souvent appellée « palais » par les patients. Parmi d’autres causes fréquentes, les troubles de l’odorat peuvent entrer dans le cadre des agénésies isolées des bulbes olfactifs ou des syndrômes comportant un hypogonadisme hypogonadotrope. L’association constitue alors le syndrome de Kallmann de Morsier, dont l’étude génétique est très active. Les patients agénésiques « n’ont jamais eu d’odorat » et le disent bien. Mais leur entourage ne les croît pas, d’autant qu’ils sont capables de percevoir la saveur des aliments sans se tromper. Il faut reconnaître que cette notion est surprenante et qu’elle peut faire douter de l’affirmation du patient. Cependant, l’évidence IRM sera incontestable. L’examen ORL et endoscopique L’examen clinique et ORL doit être complet, en ayant à l’esprit aussi bien une cause loco-régionale infectieuse, tumorale ou inflammatoire (nez, sinus, cavum, pharynx, dentition), qu’une pathologie neurologique ou psychiatrique, voire une cause traumatique, professionnelle ou endocrinologique. Au plan ORL, l’examen endoscopique endonasal permet d’identifier une cause locale et peut être réalisé au fibroscope souple ou en utilisant un endoscope rigide. Il est souvent nécessaire de pratiquer une vasoconstriction pour cet examen. Les zones particulièrement importantes sont situées dans la partie étroite, haute et postérieure des deux fosses nasales. C’est là l’emplacement de l’épithélium olfactif. Il est cependant admis que les neurones olfactifs primaires portant les récepteurs olfactifs, débordent cette région vers l’avant, sous le auvent de la pyramide nasale (en avant de la tête du cornet moyen) et vers le bas, le long du corps du cornet moyen et de la cloison nasale. L’examen recherche et doit localiser un aspect obstructif, tumoral, inflammatoire ou un polypoïde local. Les écoulements ou la présence de croûtes (évoquant un ozène) peuvent être identifiés. Ces aspects imposent la réalisation d’une imagerie adaptée scanner et/ou IRM en fonction de l’étiologie suspectée. Des avis spécialisés sont parfois nécessaires et le diagnostic étiologique est ainsi porté dans environ 70 % des cas. Le screening olfactif en consultation le praticien peut en consultation réaliser un screening d’odeurs connues et facilement accessibles (figure 2). Figure 2. Screening simple, stimulation olfactive et trigéminale en consultation : détection, discrimination, identification, trijumeau, latéralisation. Sur la photo : cannelle, vanille, aneth, clous de girofle. Ce moyen simple permet de savoir si le patient perçoit, discrimine les odeurs et s’il les identifie ; on peut s’aider d’une liste écrite, en plus des informations visuelles. Par exemple, l’odeur de vanille ne comporte aucune stimulation trigéminale. Si le patient perçoit « une odeur » dans ce flacon, on constate que son nerf olfactif est fonctionnel, ce qui ne veut pas dire qu’il fonctionne correctement pour autant. Le patient ajoute : « non : ce n’est pas la vanille que je connaissais… ». Seule une identification de plusieurs odeurs à des concentrations contrôlées et validées permet de conclure sur la qualité de la fonction olfactive (figure 3). Figure 3. Odoratest : score moyen de détection (courbe bleue) et identification (courbe rouge) de 5 odeurs pour 87 sujets sains, sans troubles de l’odorat. Détection : 50 % des sujets détectent les odeurs à la concentration 103. Identification : 50 % des sujets identifient les odeurs à une concentration 15 fois plus élevée. 100 % des sujets détectent et identifient les 5 odeurs à la concentration 107. Ce screening simple permet également de savoir si l’anosmie est uni ou bilatérale : les flacons peuvent être sentis en fosses nasales séparées. Les odeurs comportant une composante trigéminale sont latéralisées contrairement à celles qui n’en comportent pas. Ainsi, en ferment les yeux, le patient peut dire de quel côté l’odeur de cannelle ou de clou de girofle lui est présentée, contrairement à celle de la vanille. En l’absence de perception olfactive, le trijumeau reste fonctionnel. Un patient « coopérant » peut latéraliser les stimulants à composante trigéminale. Cependant, il est dangereux et inutile d’utiliser des produits à forte composante trigéminale. Le rythme respiratoire, ainsi que le rythme cardiaque sont modifiés par la stimulation du trijumeau, qui par ailleurs peut entraîner un spasme laryngé ou une forte irritation des muqueuses respiratoires. Si l’on tient absolument à tester un produit trigéminal « fort », on peut recourir au vinaigre. Le fonctionnement trigéminal reste cependant à préciser en particulier dans les traumatismes crâniens, où le seuil de stimulation du trijumeau pourrait être pathologique. Olfactométrie psychophysique L’olfactométrie psychophysique (branche de la psychologie expérimentale) cherche à déterminer les relations quantitatives entre le stimulus physique – l’odeur – et la perception de ce stimulus. Figure 4. Odoratest : scores cliniques par classes d’âge. L’âge a une influence certaine sur le seuil de détection et le seuil d’identification des odeurs. Cette investigation précise mieux le trouble ressenti dans « la vie de tous les jours », c’est-à-dire ce qui importe le plus au patient. Quelle que soit la présentation des stimuli (figure 5), trois notions sont considérées pour établir des seuils reproductibles et permettre de quantifier et de comparer les résultats : • le seuil de détection (figures 3 et 4) ou concentration limite, à partir de laquelle un individu est capable de dire si une stimulation est présente ou non ; • la discrimination ou la capacité du sujet à différencier des odeurs, peut être réalisée lors d’un test dit à « choix forcé ». Trois flacons identiques sont présentés. Deux d’entre eux contiennent un même produit à la même concentration, le troisième contient uniquement le solvant. Le patient doit alors choisir impérativement le flacon différent des autres ; • le seuil d’identification (figures 3 et 4) ou de concentration, à partir duquel l’individu peut nommer l’odeur qui lui est présentée. Il faut tenir compte ici des difficultés de la sémantique des perceptions olfactives et permettre un apprentissage pour « nommer les odeurs » ou un support proposant un choix de dénominations ou d’images correspondant aux odeurs. C’est par ce moyen que les plus petits peuvent aussi être testés. La plupart des tests olfactifs actuellement disponibles sur le marché reposent sur ces données (tableau). Ils ont chacun des particularités correspondant aux populations auxquelles ils s’adressent. L’accompagnement et la surveillance par un personnel qualifié sont souvent nécessaires, ce qui restreint leur distribution dans la pratique médicale. De plus, il n’y a pour l’instant pas de cotation pour ces examens en France, alors que l’olfactométrie avant et après chirurgie nasosinusienne est requise dans d’autres pays à titre médico-légal. Ces examens olfactométriques psychophysiques sont accusés d’être « subjectifs » et de dépendre de la bonne coopération des patients. Bien entendu, tous les examens psychophysiques le sont, l’audiométrie en tête. À moins de montrer une attitude totalement non coopérante, un patient ne peut « tricher » lors d’un examen qui repose sur des séquences de présentation aléatoires pour les odorants euxmêmes et leurs concentrations. Les résultats obtenus pour chacun des tests commercialisés sont validés et il apparaîtrait un résultat aberrant en cas de mauvaises réponses intentionnelles. Par ailleurs, comme pour tous les autres examens psychophysiques, ces tests font partie d’un ensemble d’examens qui permettent de construire le diagnostic : endoscopie, vérification de la perméabilité nasale par rhinomanométrie et imagerie selon l’étiologie suspectée (examens objectifs). Le test de latéralisation des odeurs, ainsi que le test de discrimination peuvent également faire partie de la batterie objective, dans la mesure où il est facile de vérifier la bonne foi sur le pourcentage de réponses justes obtenues. Olfactométrie objective L’évolution actuelle des travaux portant sur la régénération des neurones olfactifs chez la souris, mais aussi chez l’homme, donne une forte impulsion aux travaux d’enregistrement des potentiels évoqués olfactifs. Ces méthodes d’investigation nécessitent pour l’instant un environnement technologique hospitalier. Dans un avenir proche et probablement couplées à des imageries fonctionnelles, ces méthodes permettront d’identifier parmi les cas de destructions anatomiques partielles, lesquels pourraient présenter une récupération. Conclusion L’investigation des troubles de l’odorat est demandée par des patients de plus en plus nombreux, car il leur est difficile d’accepter un déficit sensoriel acquis et évolutif faisant l’objet d’un tel « déni » de la part du monde médical. La demande est d’autant plus forte qu’une dysosmie progressive constitue l’un des symptômes cliniques les plus précoces de maladies neurodégénératives, et permet leur prise en charge plus rapide. Mais le déficit olfactif « ne se voit pas », ne gêne que le patient luimême et pas son entourage. De plus, on ne sait pas le soigner… Alors, ce déficit caché, le reste. Les troubles de l’odorat sont une conséquence fréquente et une séquelle parfois définitive d’attaques virales, de traumatismes crâniens, d’expositions toxiques accidentelles ou professionnelles. L’évaluation olfactive quantitative est indispensable pour : • établir la validité de la plainte d'un patient ; • caractériser la nature spécifique du problème chimio-sensoriel ; • évaluer de façon fiable l'efficacité du traitement ; • détecter les simulateurs ; • et établir une compensation du handicap.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :