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Pneumologie

Publié le 03 mar 2016Lecture 13 min

Transplantation pulmonaire : où en est-on ?

P. MORDANT*, G. THABUT**, Y. CASTIER*, H. MAL** - *Service de chirurgie thoracique, vasculaire, et transplantation pulmonaire, **Service de pneumologie B et transplantation pulmonaire, hôpital Bichat, université Diderot, Paris

La transplantation pulmonaire est le traitement de référence de la plupart des maladies ûlmonaires chroniques arrivées au stade d'insuffisance respiratoire terminale. La fibrose idiopathique, l’emphysème et la mucoviscidose restent les principales indications de transplantation pulmonaire en France et dans le monde. Au fil des années, les critères de transplantation ont été assouplis jusqu’à greffer des patients pris en charge en réanimation, sous assistance par ventilation mécanique ou par ECMO.

Depuis 2010, le nombre de transplantations pulmonaires (TP) s’est stabilisé autour de 300 par an en France. On estime que plus de 1 500 patients étaient porteurs d’un greffon fonctionnel à la fin de l’année 2013. Afin d’entretenir ce succès et de lutter contrer la pénurie de greffons, les transplanteurs ont mené un travail de recensement des donneurs potentiels, d’utilisation de greffons marginaux, et de développement des techniques d’évaluation ex vivo. Ces démarches ont permis d’améliorer significativement l’accès à la greffe des patients insuffisants respiratoires. La principale complication de la greffe reste la dysfonction chronique du greffon, qui touche environ 50 % des patients à 5 ans. Malgré ces difficultés, la transplantation reste un traitement efficace et en pleine expansion des pathologies pulmonaires chroniques arrivées au stade d’insuffisance respiratoire terminale. Sélection des candidats Indications Toutes les maladies pulmonaires se compliquant d’insuffisance respiratoire grave sont des indications potentielles de TP(1). Dans le monde, les trois principales indications de TP sont la BPCO (35 %), la fibrose pulmonaire (23 %) et la mucoviscidose (17 %). En France, les trois principales indications de TP sont la BPCO (31 %), la mucoviscidose (31 %) et la fibrose pulmonaire (20 %)(2). Les pathologies respiratoires survenant dans un contexte de pathologies systémiques (sclérodermie, lupus érythémateux disséminé) ne constituent pas une contre-indication formelle à la transplantation. De même, l’adénocarcinome à extension lépidique (anciennement bronchiolo-alvéolaire) arrivé au stade d’insuffisance respiratoire peut bénéficier d’une TP chez des patients très sélectionnés (figure 1)(3). Ces indications plus rares de TP peuvent faire l’objet d’une évaluation au cas par cas par les équipes de transplantation, qui décideront d’avancer dans le bilan et l’inscription sur liste en fonction de la sévérité de l’atteinte extra-respiratoire et des comorbidités de chaque patient. En pratique, les candidats potentiels à une TP font l’objet d’une évaluation complète par les équipes de transplantation, qui peuvent ensuite proposer une inscription sur liste d’emblée, suggérer la prise en charge de certaines comorbidités, ou récuser un patient chez qui une contre-indication formelle aura été décelée. La période d’évaluation permet de rechercher des comorbidités nécessitant un traitement préalable voire contre-indiquant la TP(4).   Figure 1. Transplantation bipulmonaire pour adénocarcinome lépidique, arrivé au stade d’insuffisance respiratoire terminale. En pratique, cette indication rare est discutée au cas par cas en fonction de l’état général du receveur. A : pré-transplantation. B : 3 mois post-transplantation. Contre-indications Si les critères de sélection peuvent varier d’un centre à l’autre, il existe un accord sur les principes généraux(5). Il faut notamment que le patient soit motivé pour un projet de transplantation, qu’il soit soutenu par des proches, et que son état général soit compatible avec une intervention chirurgicale lourde, associée à un séjour parfois prolongé en réanimation. La TP est actuellement possible après 65 ans chez des patients sélectionnés. Aux États-Unis, les patients de plus de 65 ans représentent plus de 20 % des transplantés pulmonaires(6). Deux études récentes incluant respectivement 50 et 78 patients âgés de plus de 65 ans ont retrouvé des survies à 1 et 3 ans similaires à celles des patients âgés de moins de 65 ans. En France, la transplantation de patients de plus de 65 ans reste rare — alors que les donneurs de plus de 65 ans représentent 8 % des donneurs. La plupart des centres acceptent donc de prendre en compte l’âge physiologique des patients et de discuter d’une transplantation jusqu’à 70 ans si le patient n’a pas de comorbidités.   Les pathologies suivantes restent des contre-indications absolues à la TP(4) : • pathologie maligne < 5 ans en dehors des carcinomes cutanés ; • défaillance d’un autre organe — sauf en cas de TP combinée ; • artériopathie coronaire ou périphérique non revascularisable ; • infection active non contrôlée ; • hépatite B ou C active ; • obésité morbide avec IMC > 35 ; • non-compliance aux traitements médicaux ; • toxicomanie, tabagisme ou alcoolisme actif ; • pathologie psychiatrique décompensée.   À quel moment adresser un patient au centre de greffe ? Il y a quelques années, le débat était focalisé sur la date d’inscription sur liste, le système nord-américain d’attribution des greffons étant basé sur la durée d’attente après inscription. Ce système a heureusement changé pour mieux prendre en compte la gravité du receveur, et le débat s’est déplacé de la date d’inscription à la date de premier contact entre un candidat potentiel et un centre de greffe. Il est maintenant établi qu’une évaluation précoce dans un centre de greffe est toujours souhaitable, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que le projet de greffe est un projet ambitieux qui doit être mûri par le patient comme par l’équipe de greffe. Ensuite, parce que certains examens invasifs nécessaires à l’évaluation prégreffe ne peuvent être pratiqués chez un patient insuffisant respiratoire sévère. Et enfin, parce que les pathologies pulmonaires exposent à un risque d’aggravation brutale qu’il convient d’anticiper. Ce risque d’aggravation brutale justifie que les patients atteints de fibrose pulmonaire et potentiellement candidats à une TP soient vus dans le centre de greffe dès le diagnostic posé. Cette recommandation a été récemment confirmée par l’International Society for Heart and Lung Transplant (ISHLT)(5). Une telle anticipation pourrait probablement bénéficier aux patients atteints d’autres pathologies pulmonaires. À quel moment inscrire un patient sur liste ? La dégradation de la fonction respiratoire et la conservation de l’état général sont les deux critères majeurs pour décider de l’inscription d’un patient sur liste d’attente de TP. Le tableau 1 résume les recommandations internationales actualisées récemment par l’ISHLT(5). En pratique, la date d’inscription dépend également de la politique de chaque équipe, certaines équipes choisissant de favoriser une inscription tardive et donc un délai d’attente court, d’autres préférant une inscription précoce et un délai d’attente plus long. Au final, il ne semble pas exister de différences significatives entre les centres en ce qui concerne la gravité des patients au moment de la greffe (tableau 2).   Sélection et répartition des greffons Donneurs en état de mort encéphalique La grande majorité des organes provient de donneurs en état de mort encéphalique, à cœur battant. La fonction pulmonaire de base du donneur est souvent inconnue. De plus, les causes du décès, les conséquences de la mort encéphalique et les mesures de réanimation sont autant d’agressions pour le poumon. Des critères ont été définis dès les origines de la TP, afin de guider les transplanteurs au moment d’accepter un organe (tableaux 3 et 4). Ces critères ont été définis de façon empirique, et de nombreuses études suggèrent qu’ils sont beaucoup trop restrictifs(7). L’amélioration des techniques de réanimation et l’assouplissement progressif de ces critères ont progressivement permis d’augmenter la proportion de donneurs d’organes dont les poumons sont prélevés : cette proportion est ainsi passée de 7 % en 2002 à 20 % en 2012(2).     Évaluation des greffons pulmonaires ex vivo Actuellement, la perfusion ex vivo des greffons pulmonaires (Ex Vivo Lung Perfusion – EVLP) est une technique validée d’évaluation des greffons pulmonaires qui ne rempliraient pas les critères historiques de prélèvement. Au lieu de s’affranchir de ces critères au cas par cas, les promoteurs de l’EVLP ont choisi d’évaluer les greffons dans le cadre contrôlé d’un banc de ventilation/perfusion, et selon des critères préétablis chez l’animal(8). Cette technique permettrait d’augmenter le pool des donneurs de 10 à 20 %, tout en parvenant à des résultats comparables à ceux obtenus avec des greffons remplissant les critères historiques de prélèvement(9). Règles standards de répartition en vigueur en France Dans la procédure standard, les greffons sont proposés par l’Agence de la biomédecine à une équipe — il est ensuite de la responsabilité de l’équipe de choisir le receveur qui conviendra le mieux en fonction de sa gravité, de son gabarit et de son profil évolutif. Le greffon est proposé localement au centre de prélèvement, puis au niveau de l’interrégion selon le tour des équipes, puis au niveau national selon le tour des interrégions. Sur la période 2010-2012, la durée médiane d’attente avant transplantation était de 2,7 mois, et 95 % des patients ont été greffés entre 2,4 et 3,0 mois après leur inscription sur liste(2). Procédure de « super urgence » À côté de ces règles standards, il a été décidé, en 2006, de créer une priorité nationale pour les receveurs dont la gravité clinique abaisse l’espérance de vie et en deçà d’une semaine. Historiquement, ces receveurs présentaient un risque élevé de décès sur liste, sans avoir pu bénéficier d’un greffon. Depuis la mise en place de la règle de priorité nationale thoracique « super urgence poumon », ces receveurs peuvent bénéficier de tout greffon disponible en France sur une durée limitée à une semaine, renouvelable une fois. Les critères d’inscription en « super urgence » sont stricts et sont résumés dans le tableau 5. Parmi les 320 malades greffés d’un poumon en 2012, 50 (15 %) l’étaient selon une procédure de « super urgence ». La proportion de greffes réalisées en « super urgence » reste stable depuis 2008(2).   En pratique, les greffons pulmonaires sont le plus souvent proposés à une équipe de transplantation, qui choisit sur sa liste d’attente un receveur à groupe sanguin compatible. L’organisation de la transplantation synchronise ensuite le prélèvement dans le centre du donneur et la transplantation dans le centre du receveur (figure 2). Après la transplantation, le receveur reçoit une immunosuppression et reste exposé à des complications spécifiques de la TP.   Figure 2. Organisation d’une transplantation bipulmonaire. En pratique, l’heure d’entrée du donneur au bloc opératoire est fixée par le centre de prélèvement. Le prélèvement et la transplantation sont ensuite organisés autour de cet horaire. Complications spécifiques Dysfonction primaire La dysfonction primaire du greffon (DPG) est un œdème lésionnel lié aux phénomènes d’ischémie-reperfusion et se développant sur le greffon dans les 72 premières heures suivant la transplantation. Le diagnostic de DPG repose sur la survenue d’opacités alvéolaires dans les 72 heures suivant la transplantation, associées à une hypoxémie, et en l'absence d’autres causes (infection, surcharge vasculaire, rejet ou atélectasie). Des grades de sévérité basés sur le rapport PaO2/FiO2 ont été définis(10) (tableau 6). La dysfonction primaire du greffon touche de 30 à 50 % des patients, avec une atteinte sévère chez 10 à 20 % des patients(11,12). La DPG est associée à une augmentation de la durée de ventilation, de la durée de séjour, de la mortalité précoce et de l’incidence de la dysfonction chronique du greffon. Les patients survivants à long terme auraient un risque accru de dysfonction chronique du greffon(13,14).     Rejet aigu Le rejet aigu correspond à deux mécanismes physiopathologiques distincts, selon qu’il est médié par les cellules ou par les anticorps. Le rejet aigu cellulaire, médié par les lymphocytes T, est connu depuis les débuts de la transplantation pulmonaire : son diagnostic (tableau 7) et son traitement sont bien codifiés. Le diagnostic repose sur l’analyse histologique des biopsies transbronchiques(15). Le traitement du rejet aigu repose sur des bolus de méthylprednisolone hémisuccinate administrés 3 jours de suite. Dans la plupart des cas, ce traitement entraîne une résolution spectaculaire des symptômes, de la fonction respiratoire et des anomalies radiologiques. Le rejet humoral, médié par des clones lymphocytaires B, n’a été mis en évidence que récemment : les outils diagnostiques et thérapeutiques disponibles sont moins établis(16,17).   Dysfonction chronique La dysfonction chronique du greffon pulmonaire (Chronic lung allograft dysfunction – CLAD) est devenue la dénomination générique du rejet chronique(18). La dysfonction chronique du greffon peut être obstructive et prendre la forme de syndrome de bronchiolite oblitérante (Bronchiolitis obliterans syndrome – BOS) ou être restrictive et prendre la forme de syndrome restrictif du greffon (Restrictive allograft syndrome – RAS). La CLAD survient chez plus de 50 % des survivants après transplantation pulmonaire(19). La survie médiane à partir du diagnostic est de 1,5 an après le diagnostic pour les formes précoces survenant dans les deux premières années après la greffe ; elle est de 2,5 ans après le diagnostic pour les formes plus tardives(20). Les traitements actuellement disponibles impliquent une augmentation de l’immunosuppression avec des risques infectieux importants et des résultats souvent décevants. Chez des malades bien sélectionnés, la retransplantation est une option possible, avec des résultats à 5 ans comparables à ceux d’une primo-transplantation(21). Résultats Survie D’après le registre de l’ISHLT qui collige les données de plus de 25 000 greffes depuis 1994, la survie médiane est de 5,3 ans(3). La survie après transplantation pulmonaire s'est améliorée au cours du temps et dépend de l’indication de la transplantation. La survie médiane est ainsi de 7,1 ans pour la mucoviscidose, 6,1 ans pour le déficit en alpha-1 antitrypsine, 5,2 ans pour la BPCO, 5,1 ans pour la sarcoïdose, 4,6 ans pour l’hypertension artérielle pulmonaire et 4,3 ans pour la fibrose pulmonaire idiopathique.   Fonction respiratoire La survie après greffe ne résume pas le bénéfice apporté aux patients. La fonction respiratoire et la qualité de vie sont des paramètres essentiels à l’appréciation du bénéfice de la TP. Après une transplantation bipulmonaire (TBP), les tests spirométriques retrouvent des valeurs normales ou subnormales de la CPT et du VEMS dans les mois suivant la greffe et en dehors de toute complication(22). Après une transplantation monopulmonaire (TMP), le VEMS se situe entre 50 et 80 % de la théorique, mais la tolérance à l’effort est comparable à celle observée après TBP(23,24).   Qualité de vie Plusieurs études démontrent que la TP, quel qu’en soit le type, est associée à une amélioration de la qualité de vie(25). Les tests utilisés ont été en général des tests génériques et l’amélioration a été mise en évidence sur des études comparant des patients transplantés à des patients en liste d’attente, mais aussi de façon longitudinale en étudiant les patients avant et après transplantation. L’amélioration de la qualité de vie se maintient en règle pendant toute la durée de suivi des patients. Néanmoins, en cas de survenue d’un BOS (syndrome de bronchiolite oblitérante), une dégradation de la qualité de vie est notée, ce qui n’est pas vraiment étonnant car les patients voient se développer un syndrome obstructif de sévérité variable(26).  

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