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Allergie alimentaire

Publié le 07 juil 2016Lecture 11 min

Allergie au soja et autres légumineuses

J. NÉRÉE, F. BIENVENU, S.-A. ANDRÉ-GOMEZ, Z.E. LARAQUI, centre médical Fort-de-France

L’allergie au soja et autres légumineuses est rare, mais les dernières données d’allergovigilance placent le soja comme un des principaux allergènes émergents. L’apport de la biologie moléculaire est une avancée notable pour confirmer le diagnostic en établissant le profil de sensibilisation des patients. Quatre cas cliniques ont été proposés et commentés par les experts permettant d’acquérir les données actuelles sur l’allergie au soja et autres légumineuses, cela de façon interactive.

Premier cas clinique Julien, 7 ans, est adressé pour faire le bilan d’un accident anaphylactique survenu 1 heure après un repas ayant comporté : boulettes de viande, spaghetti sauce tomate et liégeois au chocolat. Il a présenté une urticaire généralisée avec somnolence, puis pâleur et crise d’asthme brutale. Il a été pris en charge au CHU après administration par sa mère d’Aerius®, Solupred® et Ventoline®. Ses antécédents sont un asthme persistant sévère traité par Sérétide® 250 et une allergie alimentaire (AA) à l’arachide, diagnostiquée à 4 ans après absorption d’un curly. Depuis l’éviction correcte de l’arachide, Julien n’avait pas eu de nouvel accident.   Discussion Quels aliments peuvent être impliqués dans cette réaction anaphylactique ? Après élimination des autres aliments (sauce tomate, chocolat liégeois), on a évoqué une réaction au soja contenu dans les boulettes de viande (25 % de protéines de soja). Les industriels utilisent le soja pour ses propriétés fonctionnelles (viscosité et gélification), ainsi que pour élever l’apport protéique. On pourra retrouver du soja dans des aliments tels que jambon, saucisses, boulettes de viande, nuggets, fromages, plats précuits, desserts industriels, biscuits apéritifs, chocolat, pâte à tartiner, etc.   Comment conduire l’enquête allergologique qui va confirmer l’hypothèse d’allergie au soja ? • Les prick-tests (PT) ont été : – négatifs pour les aéroallergènes et les fruits à coque ; – positifs pour le soja extrait commercial (EC) : 2 mm ; le lait de soja Bjorg : 10 mm ; la crème de soja : 12 mm. • Les dosages d’IgE spécifiques (IgEs) ont donné les résultats suivants : – arachide : 97,50 kUI/l ; rAra h1 : 24,80 kU/l ; rAra h2 : 32,90 kU/l; rAra h3 : 9,93 kU/l ; – soja : 5,83 kU/l ; rGly m 4 < 0,10 kU/l ; rGly m5 : 4,22 kU/l ; rGly m6 : 3,73 kU/l. Le bilan biologique confirme l’allergie à l’arachide sévère chez Julien avec positivité des 3 protéines de stockage (Ara h1, Ara h2, Ara h3), ainsi que l’allergie sévère au soja avec positivité des 2 protéines de stockage disponibles : Gly m5 et Gly m6. On observe une discordance, pour les prick-tests, entre l’extrait commercial soja et les tests natifs : le lait et la crème de soja, très riches en protéines, sont conseillés pour la réalisation des prick-tests (mauvaise valeur prédictive positive et négative de l’extrait commercial de soja).   Où trouve-t-on du soja ? Outre les aliments signalés plus haut, on retrouve le soja dans le jus de soja ou dans d’autres boissons, les desserts à base de soja (yaourts, crème), les flocons, farine de soja, etc. Cet « allergène caché » peut être également retrouvé dans des médicaments tels qu’un générique de l’Oméprazole® qui contient de l’huile de soja (responsable d’accidents récents), dans certains sirops antitussifs, dans l’Atarax®, et dans des compléments alimentaires (tableau). Le soja fait partie des 14 aliments à déclaration obligatoire. Il est important de noter que l’huile de soja contient des protéines, alors que la lécithine de soja est un corps gras qui n’en contient pas. Elle n’est donc pas à contre-indiquer dans le régime d’éviction. Deuxième cas clinique Adèle, 4 ans, est adressée pour un bilan suite à un angio-œdème palpébral et urticaire survenu après l’ingestion de nuggets et d’escalope de poulet achetés au supermarché. Depuis, le poulet et la volaille ont été supprimés de son alimentation. Dans ses antécédents, on note à l’âge de 2 ans des accès de toux et un angio-œdème des lèvres après ingestion de kiwi et de boulettes de viande. • Les tests cutanés ont donné les résultats suivants : – crème de soja : 10 mm ; – kiwi natif : 10 mm ; – poulet natif : négatif ; – arachide : négatif ; – acariens, pollens de graminées et bétulacées : négatifs. • Les dosages d’IgE spécifiques : – rGly m4 <  0,10 ; – nGly m5  : 6,87 kU/l ; – nGly m6 : 4,99 kU/l.   Discussion À quel allergène faut-il penser pour les réactions au poulet, et comment affirmer le diagnostic ? On pense au soja car les nuggets de poulet contiennent du soja et que les poulets sont volontiers nourris avec de la farine de soja. On éliminera la responsabilité du poulet fermier par un test de provocation oral, qui se révélera négatif pour 150 g de poulet fermier. Il s’agissait donc d’une allergie au soja isolée. Grâce à ses diverses qualités fonctionnelles, le soja a envahi l’industrie agroalimentaire mondiale : il donne de la cohésion à de nombreuses préparations alimentaires industrielles. Et surtout, le soja nourrit les volailles, les bovins et les porcins du monde, en particulier ceux d’Europe.   Quel test biologique pourrait être réalisé devant ce cas clinique complexe ? On pourrait réaliser une puce à allergènes moléculaires (ImmunoCAP ISAC®) qui permettrait d’établir le profil de sensibilisation du patient vis-à-vis de 112 allergènes moléculaires provenant de 51 sources allergéniques et éventuellement de découvrir une sensibilisation non soupçonnée. Chez cette patiente, le test ISAC a confirmé la sensibilisation à Gly m5 et 6 (sans sensibilisation à d’autres protéines de stockage), la sensibilisation à Act d2 du kiwi, un début de sensibilisation aux LTP et une sensibilisation pollinique. Cette patiente est susceptible de développer une allergie respiratoire.   Troisième cas clinique Clarisse, 16 ans, ayant des antécédents d’asthme intermittent avec pollinose active au bouleau accompagnée d’un syndrome oral aux rosacées, est adressée pour un bilan suite à un accident anaphylactique survenu 1 heure après un repas qui a comporté un verre de jus de soja, des tagliatelles au saumon et une crêpe à la confiture d’abricot. Elle a présenté des douleurs abdominales intenses, une raucité de la voix avec toux sèche, des sibilances audibles, un angioœdème des lèvres et une urticaire généralisée. Il s’agit du premier accident de ce type pour Clarisse qui a été prise en charge par les pompiers : oxygène, Polaramine®, Solumedrol® et Ventoline®, puis transfert au CHU.   Discussion Quelle sera l’enquête diagnostique ? À quelle famille moléculaire pourrait appartenir l’allergène. Les prick-tests ont donné les résultats suivants : – bétulacées : 10 mm ; – lait de soja : 10 mm ; – crème de soja  : 15 mm. Le dosage des IgE a montré : – rBet v1 > 100 kU/l ; rBet v2 < 0,10 kU/l ; – soja : 0,15 kU/l ; rGly m4 : 20,2 kU/l ; – kiwi : 3,3 kU/l ; – arachide : 9,88 kU/l ; rAra h1 < 0,10 kU/l ; rAra h2 : 0,11 kU/l ; rAra h3 < 0,10 kU/l ; rAra h8 > 100 kU/l. L’allergène en cause est donc Gly m4 qui appartient à la famille des PR-10. La famille des PR-10, famille de protéines détruites par la digestion et par la chaleur, est généralement responsable de syndromes oraux. La dose déclenchante de la réaction sévère observée chez Clarisse a été un grand verre de jus de soja. Il faut donc retenir la possibilité de réaction systémique lors de la consommation de grandes quantitésde soja peu transformé (boisson riche en soja) chez des patients allergiques au pollen de bouleau. Mais… La dose déclenchante pour le soja est plus importante que pour l’arachide. Pour le soja, la plus petite dose responsable de signes objectifs est de 454 mg cumulée de farine de soja (soit 240,6 mg de protéines). Pour l’arachide, 100 µg de protéines sont susceptibles de donner des signes subjectifs. Les sujets allergiques au soja seraient moins à risque de réactions aux petites doses que les sujets allergiques à l’arachide. Les procédés industriels modifient la teneur en Gly m4 des aliments : – il n’y a pas de Gly m4 dans les produits fermentés et/ou fortement chauffés (> 4 heures) ; – il y a peu de Gly m4 dans les produits texturisés ; – la concentration en Gly m4 croît avec le degré de maturité et le temps de stockage du grain de soja. Gly m4 est présent en faible quantité dans l’extrait naturel utilisé pour le dosage d’IgE (graine de soja) f14 : il est donc recommandé de compléter le bilan biologique avec le test rGly m4 pour les patients sensibilisés au pollen de bouleau chez lesquels on suspecte une allergie au soja, et/ou les patients avec une histoire clinique convaincante d’allergie au soja, mais avec un résultat négatif pour le test f14.   Quatrième cas clinique Jean-Baptiste est vu en consultation pour la première fois à l’âge de 2 ans car il a présenté un angioœdème des lèvres, un prurit nasal avec éternuements et une gêne respiratoire de type laryngée après avoir mangé des lentilles ou des petits pois. La mère rapporte, en outre, à l’interrogatoire, une urticaire et un angio-œdème des lèvres à l’âge de 18 mois après un biberon de jus de soja. Les tests cutanés réalisés ont été très positifs pour les petits pois et les lentilles en extraits natifs (12 mm).   Discussion Quels autres allergènes tester pour compléter le bilan ? On testera les légumineuses qu’il n’a jamais mangées en extraits natifs : fèves, arachide, soja, fenugrec, pois chiche, lupin. • Les prick-tests de Jean-Baptiste ont donné les résultats suivants : – crème de soja : 10 mm ; – extrait commercial soja : 2 mm ; – petit pois : 12 mm ; – lentilles : 12 mm ; – lupin : 8 mm ; – pois chiche : 8 mm ; – arachide : 4 mm. • Le dosage de ses IgE : – soja (f14) : 20,80 kU/l ; rGly m4 : 20,20 kU/l ; nGly m5 : 28 kU/l ; nGly m6 : 0,49 kU/l ; – lupin : 56,80 kU/l ; – pois > 100 kU/l ; – arachide (f13) > 100 kU/l. En reprenant l’interrogatoire, on note : – un accident récent sévère avec une part de tarte aux poires préemballée marque Leclerc®, qui contenait du lupin ; – des accidents de type anaphylactique récidivants mais la maman ne faisait pas attention aux « légumineuses cachées » : farine de lupin, farine de pois, fenugrec (à noter que certains currys peuvent contenir du fenugrec). Jean-Baptiste est-il allergique à l’arachide ?Son prick-test est à 4 mm et les IgE > 100 kU/l). Les résultats des allergènes moléculaires de l’arachide ont apporté une réponse : Ara h1 > 100 kU/l ; Ara h2 et Ara h3 < 0,10 kU/l. Un test de provocation oral à l’arachide a ensuite été réalisé et s’est révélé négatif. Dans notre expérience, Ara h1 semble un bon marqueur de sensibilisation/allergie aux légumineuses.   L’allergie isolée à une légumineuse est rare. On distingue des allergies associées et/ou croisées, telles que : – l’allergie arachide/soja surtout chez l’enfant ; – l’allergie bouleau/soja plus chez l’adulte ; – et l’allergie lentilles/soja. Les symptômes cliniques de l’allergie au soja peuvent aller du syndrome oral au choc anaphylactique. Ils sont résumés dans la figure 2. • Autres tableaux cliniques : Le test de provocation oral assure le diagnostic de l’entérocolite induite par les protéines alimentaires. Lors d’une dermite de contact, notamment à des cosmétiques contenant des protéines de soja, les patchs sont à pratiquer.   Conclusion La prévalence de l’allergie au soja et aux autres légumineuses est en nette augmentation du fait de son utilisation croissante dans l’industrie agroalimentaire pour sa viscosité, son faible coût et son fort apport protéique. Les symptômes cliniques peuvent aller du syndrome oral au choc anaphylactique. Dans la démarche diagnostique, l’histoire clinique doit être convaincante. Les extraits commerciaux ont une mauvaise valeur prédictive négative et positive, de même que les IgE en cas de sensibilisation à Gly m4. Il vaut mieux utiliser les aliments natifs, tels que la farine ou le jus de soja pour les tests cutanés. L’apport des allergènes recombinants (rGly m4) ou naturels purifiés (nGly m5, nGly m6) est un réel progrès dans le diagnostic de l’allergie au soja.

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