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Allergie alimentaire

Publié le 04 sep 2016Lecture 11 min

Les réactions aux aliments non-IgE-médiées

P. MOLKHOU, ancien chargé d’enseignement, Université René-Descartes, Paris

Les hypersensibilités alimentaires se développent chez des sujets génétiquement prédisposés lorsque la tolérance orale ne s’est pas manifestée. Les allergies alimentaires peuvent être IgE- ou non-IgE-dépendantes. Les premières, qui vont de l’urticaire localisée au choc anaphylactique, ont été largement étudiées, alors que les secondes qui ont fait l’objet de moins de recherches sont actuellement de plus en plus fréquentes. Elles sont en principe à médiation cellulaire et intéressent principalement la sphère digestive, mais aussi l’appareil cutané et respiratoire. Sont abordés ici deux aspects des formes digestives : l’œsophagite allergique à éosinophiles et la gastroentérite à éosinophiles. Dans un prochain numéro, seront traités l’entérocolite allergique non-IgE, la rectocolite IgE-non dépendante d’origine alimentaire, l’entérocolite alimentaire chronique et l’allergie au lait de vache non-IgE.

L'œsophagite allergique à éosinophiles(1,8) L’OAE a subi une augmentation drastique depuis deux décades. Survenant aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte, elle est liée à une inflammation muqueuse à éosinophiles entraînant une dysphagie, puis des phénomènes de blocage alimentaire. Résistant aux IPP, son diagnostic repose sur la biopsie œsophagienne montrant plus de 15 éosinophiles par champ 400. Elle évolue vers des structures pouvant nécessiter la chirurgie. Décrite pour la première fois en 1981 dans une population d’enfants, c’est en 1995 qu’une équipe pédiatrique américaine de John Hopkins (Baltimore) avec K.J. Kelly et H.A. Sampson(9) a différencié l’OAE du reflux gastro-œsophagien (RGO) après l’échec d’un traitement classique anti-acide, et même intervention chirurgicale. Cette même équipe a mis alors en évidence la présence en nombre important d’éosinophiles infiltrés tout le long de l’œsophage, et après investigation allergologique, un terrain atopique chez 12 enfants. Elle a utilisé une formule à base d’amino-acides comme unique thérapeutique sur 6 semaines. Cet essai a été couronné de succès avec l’amélioration des symptômes cliniques apparemment identiques à ceux du RGO, et la réapparition des symptômes après la réintroduction des aliments. Cette forme d’œsophagite à éosinophiles a alors été considérée d’origine allergique. L’OAE est fréquente, bien que son existence soit encore souvent méconnue, aussi bien chez le nourrisson que chez l’adolescent et l’adulte jeune. Elle est souvent associée au RGO(10). Chez le nourrisson suspecté de RGO, il faut rechercher d’abord une allergie aux protéines lactées bovines et un terrain atopique(11). Cliniquement, cette affection est marquée chez le nourrisson par des troubles digestifs multiples, un refus d’alimentation, des troubles du sommeil et une stagnation pondérale. Chez le grand enfant et l’adolescent, ce sont des douleurs abdominales récurrentes et épigastriques qui sont signalées, des vomissements, de la diarrhée, des douleurs laryngées, une dysphagie après l’ingestion d’aliments solides et une impaction alimentaire dans 10 à 20 % des cas. Les éléments qui vont orienter le diagnostic sont de trois ordres : – l’échec thérapeutique antiacide à base d’IPP ; – la recherche d’allergènes alimentaires par les tests cutanés (prick-test et atopy patchtest)(13) ; – l’examen endoscopique de l’œsophage avec biopsies pratiquées dans la partie haute et basse de l’œsophage, même si l’apparence macroscopique est normale, comme dans plus de la moitié des cas. L’endoscopie et les biopsies permettent de mettre en évidence une hypertrophie de la muqueuse avec présence d’une hyperéosinophilie intraépithéliale diffuse, dont le compte est > 15 éosinophiles par champ au fort grossissement. Ces anomalies sont retrouvées sur toute la hauteur de l’œsophage, ce qui permet de les distinguer de l’œsophagite par reflux, caractérisée par un infiltrat d’éosinophiles moins dense et siégeant uniquement au tiers inférieur de l’œsophage (figure)(12-14). Des études ont montré que le diagnostic d’OAE varie avec les saisons, avec une recrudescence de cas enregistrés au cours du printemps pendant la saison pollinique(15).     Physiopathologie de l’OAE Elle est encore mal connue. Il s’agit d’une réaction retardée à médiation cellulaire de type Th2, avec intervention de lymphocytes B et une production d’IgE. La réponse immunitaire à des allergènes exogènes, récemment étudiés, est médiée par les lymphocytes Th2, avec une augmentation des médiateurs pro-inflammatoires (interleukine 4, 5, 13) et de l’éotaxine 3, agent chimiotactique pour les éosinophiles, ce qui entraînerait une infiltration de la muqueuse œsophagienne par des cellules exprimant IL5 et une hypersécrétion de tumor necrosis alpha (TNF) par les cellules de l’épithélium pavimenteux œsophagien et l’existence d’une association entre changements dans les gènes d’une région du Chr 5. L’OAE est présente dans 8 à 10 % des cas de RGO. Ces changements modifient le niveau d’expression d’une protéine appelée lymphopoietin stromales thymiques (TSLP) pouvant être impliquée dans d’autres maladies allergiques(16). Cette cytokine produite en abondance par les épithéliums active les cellules dendritiques pour orienter vers une orientation Th2, qui favorise la production d’IgE et déclenche l’expansion d’une population de basophiles. J. Spergel a publié en 2009 un travail sur 330 cas réunis en 14 ans(17). Au total, 68 % des patients étaient âgés de moins de 6 ans. Chez les plus jeunes, ont été observés des retards de croissance, de l’anorexie, un RGO et des vomissements. Chez les plus âgés, des douleurs abdominales, une dysphagie, un blocage alimentaire. Les aliments les plus fréquemment rencontrés étaient le lait, l’œuf, le blé, le soja, le maïs, le bœuf et le poulet. Au bout d’un an, on a observé sur cette population 5 % de guérison. Trois phénotypes d’OAE ont été identifiés : – avec une sensibilisation retardée étudiée chez l’enfant par patch-tests ; – par allergie IgE-dépendante, assez fréquente mais avec une moindre probabilité de guérison et un risque d’évolution vers une forme typique d’allergie alimentaire IgE-dépendante ; – avec sensibilisations alimentaires multiples (graines, légumineuses, pollens, moisissures). En 2011, P. Molkhou et J.C. Waguet, à propos de quelques observations d’OAE chez l’enfant, ont attiré l’attention sur le pourcentage (8 à 10 %) chez des enfants suivis pour RGO, et sur le diagnostic de plus en plus fréquent grâce à une fibroscopie œso-gastroduodénale complète, ainsi que sur l’expression clinique multiforme qui ne facilite ni son diagnostic, ni son traitement(18).   Traitement de l’OAE Trois grandes options s’offrent au praticien : les médicaments, le régime alimentaire et l’œsophagoscope (pour l’ablation d’un bolus alimentaire ou pour une dilatation en cas de sténose). Concernant les médicaments, il faut signaler le cas particulier des IPP. Ils sont en principe utiles pour différencier l’OAE du RGO, mais on peut observer avec un long traitement une amélioration des symptômes, sans régression de l’éosinophilie mais sans complication, avec persistance d’une fibrose sous-épithéliale, comme dans un travail récent chez 38 patients atteints d’OAE suivis et traités pendant 2 à 3 ans(19). La corticothérapie représente la deuxième alternative, certes avec les risques de rechute en cas d’arrêt prématuré : – fluticasone inhalée puis avalée (en moyenne, chez l’adulte, 440 µg 2 fois/j) ; la posologie se fait en fonction de l’âge et du poids (durée de 50 semaines pour un adulte) ; – ou budésonide (même posologie, y compris sous forme visqueuse pour les jeunes enfants) ; – et, plus récemment, en cas d’échec, la ciclésonide a été proposée par S. Schroeder. L’efficacité de ce composé non halogéné comme stéroïde local est due à sa conversion par les estérases épithéliales en une substance beaucoup plus active à la surface muqueuse(20). Quant aux biothérapies (mepolizumab, un anticorps anti-IL5 entre autres utilisé par Rotenberg), elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité à long terme(21). Le recours aux IPP est optionnel en fonction de la sévérité du reflux. La 2e grande option thérapeutique est le régime alimentaire. Trois régimes ont été comparés par statistiques : – une solution d’acides aminés digestibles avec vitamines, sucres et graisses (elemental diet) utilisée dans la maladie de Crohn – (à vrai dire peu appétissante et peu utilisable chez l’enfant) ; – un régime basé sur l’éviction des 6 principaux allergènes alimentaires : lait, œuf, soja, blé, arachide et noix, poissons et crustacés. Un régime basé sur les prick- et patch-tests. La rémission contrôlée par biopsie a montré que les 3 régimes étaient efficaces, mais le premier était statistiquement supérieur aux deux autres, euxmêmes d’efficacité équivalente. Néanmoins pour les auteurs, les tests cutanés ne sont pas suffisamment fiables pour établir un régime d’exclusion personnalisé valable(22). D’autres auteurs comme J.M. Spergel ont également insisté sur l’intérêt d’identifier les aliments responsables chez les enfants atteints d’OAE par l’emploi des tests cutanés (prick- et patch-tests), afin de les éliminer et d’obtenir ainsi une guérison dans certains cas sans autre traitement(23).  En 2014, Christophe Dupont et son équipe de Necker ont publié une mise au point sur l’avantage d’un pur régime alimentaire sans autre traitement chez des enfants atteints d’OAE, régime excluant pendant deux mois les 6 aliments allergiques les plus fréquents et les aliments testés positifs à des formules à base d’acides aminés. Les résultats ont été concluants, avec une amélioration de l’ordre de plus de 90 % sur les symptômes digestifs, cutanés et respiratoires sans atteinte de l’état nutritionnel(24). En résumé : en pratique sur le plan clinique, le diagnostic d’une OAE peut être posé grâce à un régime synthétique alimentaire (Neocate®) (≤ 8 semaines) basé sur l’administration d’une formule à base d’acides aminés, et par la récidive des symptômes après réintroduction du ou/des aliments suspectés.   La gastroentérite à éosinophiles Décrite pour la première fois en 1937 par R. Kaijser(27), son diagnostic a été accepté après les travaux de N.C. Klein et coll.(28) et confirmé après une mise à jour en 1990 par N.J. Talley et coll.(29). Cette affection peut apparaître à n’importe quel âge et se manifester comme une œsophagite ou une gastrite : perte de poids et retard staturo-pondéral sont les éléments les plus marquants. En général, 50 % des patients sont atopiques et une minorité d’entre eux est porteuse d’IgE spécifiques alimentaires. Cette affection peut  être confondue avec une sténose hypertrophique du pylore chez les jeunes nourrissons. • Diagnostic : biopsie intestinale (infiltration) > 10 éosinophiles par champ. • Traitement : éviction du ou des aliments responsables et corticostéroïdes le plus souvent. La chirurgie est limitée en cas d’obstruction ou de perforation de l’intestin grêle.   Conclusion L’OAE diagnostiquée dans l’enfance demande une surveillance permanente et un traitement médicamenteux chez l’adulte associé à un régime alimentaire(25). Un très récent article, publié par C.A. Liacouras et J. Spergel(26), résume et précise nos connaissances actuelles sur l’OAE, affection en augmentation dans les nations occidentales. Les symptômes chez les nourrissons et les jeunes enfants sont caractérisés par des difficultés d’alimentation, un retard de croissance et un reflux gastroœsophagien. Les enfants d’âge scolaire peuvent vomir, avoir des douleurs abdominales et des régurgitations. Les adolescents et les adultes souffrent de dysphagie et d’impact alimentaire. Un retard du diagnostic augmente le risque de sténose. Les enfants atteints d’une OAE non traitée ont des tissus qui ressemblent aux votes respiratoires remodelés. L’endoscopie ne correspond pas toujours. Des centres d’éducation pour les régimes alimentaires ont été créés. Les démarches comprennent les prick- et patch-tests, la suppression des aliments responsables ou l’usage d’une formule à base d’aminoacides. Les régimes alimentaires de longue durée peuvent entraîner des déficiences nutritionnelles et ont peu de succès.

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