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ORL

Publié le 13 oct 2017Lecture 7 min

Conduite à tenir face à une épistaxis grave

Valentin FAVIER, Louis CRAMPETTE, Département d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, Centre hospitalier universitaire Gui de Chauliac, université de Montpellier

L’épistaxis est une pathologie fréquente dont la prévalence au cours de la vie atteint 60 % de la population générale. On estime que 6 % d’entre elles nécessitent une prise en charge médicale et 0,2 % requiert une hospitalisation(1). La gravité d’une épistaxis s’évalue par la fréquence et l’abondance des épisodes, ainsi que le retentissement sur l’état général du patient. Le traitement est une urgence pluridisciplinaire faisant appel aux ORL, neuroradiologues interventionnels et médecins anesthésistes-réanimateurs. Nous proposerons, ici, un algorithme de prise en charge de ces épistaxis graves.

Définition La gravité d’une épistaxis, saignement d’origine nasale ou sinusienne extériorisé par le nez ou la bouche, s’évalue par son abondance, sa durée ou la répétition de l’épistaxis et par les tares sous-jacentes du patient, qui peuvent être décompensées par la déprivation sanguine. Clinique L’interrogatoire du patient rend difficile l’estimation de la perte sanguine, qui est souvent majorée du fait de la part anxiogène du saignement ou, au contraire, minorée lors d’épistaxis postérieures dégluties. La notion de bilatéralité, ainsi qu’un écoulement antérieur et postérieur d’emblée plaident toutefois en faveur d’une épistaxis moyenne ou grave. Il est donc primordial de se fier à des symptômes cliniques objectifs d’hypovolémie(2), tels que la chute tensionnelle (pression artérielle systolique (PAS) < 90 mmHg ou diminuée de 30 % par rapport à la PAS habituelle), le pincement de la pression artérielle différentielle, la tachycardie et la polypnée, ainsi que les signes d’hypoperfusion périphérique cutanée (pâleur, froideur, marbrures), rénale (oligoanurie), digestive (diarrhées) et a fortiori neuro-sensorielle (confusion, troubles de la conscience, etc.). Une évaluation rapide de l’étiologie doit être menée à bien afin de ne pas méconnaître une complication traumatique, une prise de médicaments antithrombotiques ou une pathologie tumorale naso-sinusienne sous-jacente. Enfin, les antécédents et le terrain du patient sont à prendre en compte, avec la recherche de cardiopathie congestive ou ischémique, d’antériorités neurovasculaires ou de pathologie systémique (troubles de l’hémostase, maladie de Rendu-Osler). Paraclinique Comme pour tout état de choc, un bilan paraclinique est nécessaire pour compléter le diagnostic de gravité et évaluer le retentissement sur les organes. Il sera guidé par le médecin urgentiste ou réanimateur, et comportera au minimum un bilan biologique de base avec numération de la formule sanguine – plaquettes à la recherche de l’anémie, ionogramme sanguin et urinaire avec créatininémie pour le retentissement rénal, bilan de coagulation à la recherche d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), enzymes cardiaques (associé à un électrocardiogramme et éventuellement une échographie cardiaque transthoracique), gaz du sang artériel avec lactatémie, bilan hépatique et bilan prétransfusionnel (groupe ABO, rhésus x 2 , recherche d’agglutinines irrégulières). Prise en charge(3-6) L’épistaxis grave est une urgence médico-chirurgicale où la mise en place de moyens permettant de tarir le saignement prime sur le bilan étiologique. Ainsi, le bilan et le traitement de l’épisode seront réalisés de façon concomitante, avec l’aide du médecin urgentiste ou anesthésiste-réanimateur sans que cela retarde l’arrêt du saignement. Mesures réanimatoires La pose de deux voies veineuses périphériques permettra le remplissage vasculaire, essentiellement par cristalloïdes (NaCl : 0,9 %) avec un objectif de pression artérielle moyenne (PAM) > 65 mmHg, une baisse de la fréquence cardiaque et une reprise d’un débit urinaire. La transfusion de culots globulaires en urgence est à réaliser en cas d’anémie < 7 g/dl ou < 8 g/dl en cas d’antécédents cardiovasculaires (voire < 10 g/dl si insuffisance cardiaque évoluée). L’administration de plasma frais congelé (PFC) doit être réalisée de façon concomitante en cas de TP < 40 % pour la prévention et le traitement d’une CIVD. Une oxygénothérapie devra également être mise en place, et le patient sera maintenu à jeun. Traitement de l’épistaxis La prise en charge symptomatique de l’épistaxis grave nécessite une thérapeutique agressive d’emblée. Cas de l’anticoagulation(3) En cas d’hémorragie non contrôlable ou de signes de choc hypovolémique, un patient sous anti-vitamine K (AVK) devra bénéficier d’un arrêt du traitement, associé à une administration de 10 mg de vitamine K et une réversion par concentré de complexes prothrombiniques (PPSB) dont la dose dépendra de l’INR mesuré, s’il est disponible ou non. Chez un patient sous anticoagulants oraux directs (nouveaux anticoagulants oraux), l’arrêt du traitement après évaluation du rapport bénéfice/risque thrombotique, permet la cessation de ses effets biologiques en 24 heures. En cas d’hémorragie grave, le Groupe d’intérêt pour l’hémostase péri-opératoire (GIHP) préconise le dosage spécifique du dabigatran (Pradaxa®) ou du rivaroxaban (Xarelto®) s’ils sont disponibles. Un taux > 30 ng/ml nécessite l’administration de concentré de complexe prothrombinique (CCP). Si le dosage n’est pas disponible, ce seuil sera remplacé par un TCA > 1,2 et un TP < 70 %. Techniques d’hémostase Dans le cadre d’une épistaxis essentielle grave Le méchage antérieur simple peut être supplanté directement par la mise en place d’une sonde à double ballonnet. Cette technique est réalisable en préhospitalier par le médecin urgentiste. Après avoir vérifié l’étanchéité des deux ballonnets et avoir procédé au décaillotage de la fosse nasale, la sonde est introduite le long du plancher jusqu’à la garde. Le ballonnet postérieur est gonflé par 4 à 8 ml d’eau, permettant de le bloquer dans la choane, en prenant garde à l’absence de bombement du voile du palais qui témoignerait d’un remplissage trop important. Ensuite, le ballonnet antérieur est gonflé à l’eau (10-30 ml selon l’anatomie) L’heure de pose et le volume d’eau injecté dans les ballonnets seront consignés. Dans la fosse nasale controlatérale, un méchage antérieur ou antéro-postérieur est également réalisable. La sonde à double ballonnet est posée pour 72 heures, en dégonflant progressivement les ballonnets à partir de la 24e heure pour prévenir le risque de nécrose. L’antibioprophylaxie sera réalisée par l’association amoxicilline-acide clavulanique pendant le temps du méchage et les 5 jours suivant le déméchage(4). En cas d’échec du tamponnement antéro-postérieur bien conduit, une coagulation de l’artère sphéno-palatine est indiquée sauf s’il existe un traitement anticoagulant ne pouvant être suspendu en raison des risques thrombo-emboliques. Dans ce cas, l’embolisation est préférable (encadré 1 et figure). Figure. Arbre décisionnel pour la prise en charge d’une épistaxis grave essentielle (ATCD : antécédents). Dans le cadre d’une épistaxis postopératoire La reprise chirurgicale est la règle, sous anesthésie générale et guidage optique. Cependant, les épistaxis postopératoires de chirurgie orthognatique doivent être adressées aux radiologues interventionnels pour embolisation des artères maxillaires, difficilement accessible à une chirurgie d’hémostase. Dans le cadre d’une épistaxis post-traumatique grave Un saignement cataclysmique doit faire évoquer une rupture d’anévrysme de la portion intra-sphénoïdale de la carotide interne, nécessitant une embolisation en urgence(5). Lors de traumatismes centrofaciaux, ce sont principalement les artères ethmoïdales, branches de l’artère ophtalmique provenant de la carotide interne qui sont préférentiellement touchées. La ligature chirurgicale par voie externe est de mise (encadré 2). Enfin, il faut savoir dépister une fracture de la base du crâne devant une épistaxis qui s’éclaircit avec image en cocarde sur une compresse de recueil de l’écoulement sanglant.   Dans le cadre d’une maladie de Rendu-Osler La télangiectasie hémorragique héréditaire, à transmission autosomique dominante, plus connue sous le nom de maladie de Rendu-Osler, est responsable d’épistaxis abondantes et récidivantes. En cas d’échec des traitements de première intention avec déglobulisation aiguë, le traitement de choix est l’embolisation des artères faciales et maxillaires bilatérales, du fait de l’importance des anastomoses vasculaires.   Dans le cadre d’une pathologie tumorale Quand l’épistaxis grave fait découvrir une masse des fosses nasales, il est préférable de réaliser une embolisation du fait des difficultés d’hémostases chirurgicales inhérentes à une pathologie non bilantée. Contre-indications Elles sont relatives mais doivent être prises en compte dans le choix de la technique d’hémostase. Ainsi, un terrain athéromateux expose au risque de décrochage de plaque lors de l’introduction de matériel endovasculaire. De même, une allergie aux produits de contraste iodés ou une insuffisance rénale sont autant d’arguments allant à l’encontre d’une prise en charge en radiologie interventionnelle. A contrario, une anticoagulation active et des antécédents de fracas faciaux sont en défaveur d’une procédure chirurgicale. Conclusion L’épistaxis grave est une pathologie rare et constitue une urgence médico-chirurgicale où la mise en place de moyens permettant de tarir l’hémorragie prime sur la recherche de l’étiologie. En cas d’échec d’un tamponnement antéro-postérieur bien conduit, les thérapeutiques radio-interventionnelles et chirurgicales sont à discuter en fonction des comorbidités du patient, et de la disponibilité d’un tel plateau technique.

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