publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Audiologie

Publié le 28 mai 2019Lecture 7 min

Le syndrome de Minor

Anne CHARPIOT et coll.*, CHU Strasbourg

« J’entends mes yeux bouger », « Le bruit me fait basculer ». Continuez à écouter votre patient, il présente peut-être un syndrome de déhiscence du canal semi-circulaire supérieur (SDCSS).
Ce syndrome clinique associe à différents degrés des signes cochléaires et vestibulaires, unilatéraux ou bilatéraux souvent d’apparition asynchrone. Le lien entre les symptômes cliniques et la présence d’une 3e fenêtre de l’oreille interne par déhiscence du CSS a été décrit pour la première fois en 1998 par Lloyd B. Minor(1). Il s’agit d’une anomalie rare, 0,5 % sur coupes anatomiques(2). Le canal postérieur est encore plus rarement atteint.

Patients et médecins continuent à errer parfois des années avant le diagnostic. Un diagnostic reconnu et expliqué suffit le plus souvent à aider le patient. Le traitement, chirurgical, est réservé aux formes invalidantes. Présentations cliniques Les signes cliniques évocateurs ou typiques du SDCSS sont présentés dans le tableau(3-5). Les signes cliniques apparaissent en général à l’âge adulte. Le contexte le plus courant est une surdité de transmission à tympan normal : diagnostic différentiel de l’otospongiose qui est beaucoup plus fréquente (5 % des syndromes otospongieux cliniques sont, après scanner, des DCSS)(6). Signes cliniques en faveur d’un syndrome de Minor et absents dans l’otospongiose • Oscillopsies (mauvaise acuité visuelle en marchant, nécessité de s’arrêter pour lire un panneau ou reconnaître un visage, dans les formes bilatérales). • Vertiges ou instabilité au bruit. • À l’audiométrie : trop bonne courbe osseuse avec seuils à rechercher en deçà de 0 dB, notamment sur les graves (figure 1). • Vertiges ou déviation de la tête lors du réflexe stapédien (Tullio), réflexe stapédien présent. Figure 1. Audiométrie typique (femme de 60 ans, symptomatique à droite) montrant une surdité de transmission sur les graves avec seuils < 0 en conduction osseuse. Les réflexes stapédiens sont présents des deux côtés. Diagnostics différentiels Les signes vestibulaires peuvent faire évoquer une fistule périlymphatique, mais celleci survient toujours dans un contexte évocateur (baro-traumatisme, cholestéatome, etc.). Les malformations mineures d’oreille interne sont un autre diagnostic différentiel. Examens complémentaires Potentiels évoqués otolithiques myogéniques (PEOM) On note un abaissement du seuil (< 90 dB, souvent présents dès 80 dB et uniquement du côté atteint) et une amplitude augmentée : PEOM « trop beaux » (figure 2)(7). Cet élément typique et constant (quand les PEOM peuvent être recueillis) avait déjà été décrit et associé au phénomène de Tullio avant que Minor ne fasse le lien avec l’absence de couverture osseuse du canal supérieur. Figure 2. PEOM potentiels évoqués otolithiques myogéniques cervicaux par clics, à 100 dB (femme de 60 ans, symptomatique à droite). Amplitude élevée réalisant une trop belle image des PEOM à droite. Seuil abaissé, P13 et N23 détectables dès 80 dB (non représenté ici). Nystagmus induit par vibration NIV Le vibrateur à 100 Hz révèle l’asymétrie de fonctionnement du système vestibulaire avec un nystagmus induit vertical, le plus souvent supérieur et rotatoire (atteinte du canal supérieur) dans 65 % des cas, mais aussi horizontal dans 94 % des cas, battant du côté atteint (« Weber vestibulaire »)(8,9). L’examen de choix est le scanner ou mieux Cone-Beam des rochers. Des coupes infra millimétriques chevauchantes sont indispensables (0,6 mm tous les 0,2 mm), avec reconstructions dans le plan du canal supérieur (plan de Pöschl) (figures 3 et 4)(10,11). Figure 3. Imagerie en coupes fines pour recherche d’une déhiscence canalaire supérieure symptomatique à droite. A,B,C,D : Cone Beam en coupes frontales (2018) ; E, F : Scanner antérieur du même patient en coupes frontales (2016). À droite, déhiscence du canal semi-circulaire sur environ 6 à 7 mm (A, B, C, E). À gauche, la partie supérieure du canal semi-circulaire est amincie mais sans déhiscence (D, F). Figure 4. Scanner, reconstruction oblique dans le plan du canal supérieur droit. Pointillés : position du canal supérieur ; flèches : absence de couverture osseuse, zone déhiscente. Il est souvent difficile d’affirmer l’absence totale de couverture osseuse d’un canal supérieur, la couverture osseuse étant parfois de 0,2 mm ou moins. Deux cas de figure sont retrouvés : déhiscence du toit du rocher (associée dans ce cas à une méningocèle) se prolongeant par une absence de couverture du canal supérieur ou déhiscence en regard du sinus pétreux supérieur touchant la convexité médiale du canal supérieur. Le problème de la 3e fenêtre Cette 3e fenêtre est à différencier d’une fistule labyrinthique : il n’y a pas d’ouverture à proprement parler de l’oreille interne et pas d’écoulement de périlymphe en dehors du labyrinthe membraneux. C’est la couverture osseuse du labyrinthe qui est manquante, en général au niveau du canal supérieur. Il n’y a pas de communication entre les liquides labyrinthiques et l’oreille moyenne ni le liquide cérébrospinal (en dehors des échanges normaux via les aqueducs), pas de risque majoré de méningite. La persistance d’une très fine coque osseuse suffit à éviter ce phénomène de 3e fenêtre dont la physiopathologie soulève encore de nombreuses questions tant sur les phénomènes physiques sous-jacents que sur le caractère évolutif de la perte osseuse (liens évoqués mais controversés avec l’obésité, l’ostéoporose, la pression intracrânienne, etc.)(12-14). Les théories communément admises pour expliquer les symptômes en rapport avec une 3e fenêtre sont présentées dans le tableau. Devant l’association d’un syndrome de Minor et d’une déhiscence du canal supérieur, vous pourrez informer votre patient de l’évolution naturelle de la maladie et sa physiopathologie, ce qui l’aidera à identifier les circonstances pénibles à éviter et à surmonter les symptômes au quotidien. Evolution Une fois la déhiscence devenue parlante, les symptômes sont en règle générale peu évolutifs. Certains facteurs de risque de survenue d’un syndrome de Minor en cas de déhiscence ou prédéhiscence ont été évoqués, notamment l’obésité. La prise en charge Selon les symptômes et leur intensité, la prise en charge peut aller de la surveillance (assortie d’informations précises) à la chirurgie. Les symptômes qui peuvent être au premier plan sont variables d’un patient à l’autre : • Surdité au premier plan : l’aide auditive est possible mais rendue délicate par le phénomène de Tullio. Les réglages devront être progressifs et l’accompagnement de qualité. • Tullio au premier plan : si le patient parvient à identifier les situations les plus courantes le mettant en difficulté, l’éviction est parfois possible. Les bouchons antibruit sont à réserver à des moments particuliers et ne devraient pas être utilisés de manière systématique et régulière. Les vertiges déclenchés par le bruit peuvent être à l’origine de situations épuisantes voire dangereuses et peuvent conduire à une indication chirurgicale (30 % des patients)(3). • Acouphènes au premier plan : il s’agit souvent de perception des bruits du corps qui, lorsqu’ils sont expliqués, ne prennent pas toujours une ampleur gênante. • Vertiges en dehors du phénomène de Tullio : c’est le symptôme le plus difficile à maîtriser et qui peut conduire à un traitement chirurgical. L’évaluation de la gravité des troubles de l’équilibre et des répercussions personnelles, sociales et professionnelles est fondamentale, puisque c’est le symptôme qui peut pousser à une décision chirurgicale. Les échelles d’évaluation du vertige peuvent être utilisées, mais quelques questions simples aident médecin et patient à se décider : – Pouvez-vous mener votre vie per sonnelle ? – Combien de projets ont été annulés ces derniers mois ? – Pouvez-vous mener votre vie professionnelle ? – Combien de jours d’arrêt de travail ces derniers mois, remarques des collègues ou employeur ? – Pouvez-vous conduire ? Identifier le diagnostic et reconnaître les plaintes du patient suffit souvent à lui permettre de surmonter les symptômes. Dans le cas con traire, il faut s’assurer qu’il n’y a pas un autre facteur aggravant (pathologie vestibulaire surajoutée notamment, rechercher un vertige paroxystique positionnel bénin [VPPB] de principe, etc.) qui serait à traiter. La kinésithérapie vestibulaire peut être proposée (10 séances, basées sur l’habituation aux symptômes et l’identification des situations pénibles pour favoriser l’adaptation), mais il n’y a pas d’étude clinique sur son efficacité dans cette pathologie. La chirurgie La seule option à considérer alors est la chirurgie, proposée en cas de signes vestibulaires invalidants. Deux techniques principales ont été décrites (figure 5) : le resurfaçage (capping) et l’occlusion (plugging) du ou des canaux concernés (en 2 temps, s’il faut envisager un geste bilatéral), par voie de la fosse cérébrale moyenne ou voie transmastoïdienne(3,15-17). Figure 5. Schéma illustrant la chirurgie de resurfaçage (A) et de comblement (B) Le patient doit être prévenu du risque de complication (11 % toutes complications confondues)(18), notamment d’aggravation auditive, voire de cophose (2,5 %)(18), même si on peut espérer une amélioration auditive dans certains cas (par disparition de la 3e fenêtre) ; du risque de VPPB postopératoire (4,5 %)(18) et du risque de paralysie faciale (rare mais décrite)(19). Le risque de complication neurologique non otologique est de moins de 2 %(18). L’efficacité sur les vertiges a été confirmée par de petites séries et 2 revues (disparition des symptômes 36 %, amélioration au moins partielle 80-94 %)(17-21). Une revue systématique portant sur 350 patients en 2017 souligne l’absence d’homogénéité dans la présentation des résultats, rendant toute méta-analyse impossible(22). Conclusion Suspecté cliniquement, confirmé par audiométrie, PEOM et scanner en coupes fines (pour lequel il reste difficile d’affirmer l’absence de couverture osseuse), le syndrome de déhiscence du canal supérieur est une cause rare de vertiges qui peut bénéficier d’un traitement chirurgical dans les formes invalidantes.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème