Publié le 03 mar 2016Lecture 6 min
Hyperacousie : l'état des lieux
A. LONDERO, Consultation acouphène-hyperacousie, service ORL et CCF, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
L'hyperacousie est un symptôme déroutant et mal compris qui prend chez certains patients un caractère invalidant, voire dévastateur sur la qualité de vie. L’hyperacousie peut en effet conduire à une véritable désocialisation motivée par la volonté du patient de se prémunir contre toute exposition sonore, perçue comme agressive et souvent douloureuse.
Ce symptôme présente à l’évidence des caractéristiques communes avec l’acouphène subjectif, avec lequel il partage certaines étiologies et dont il émaille fréquemment l’évolution. L’objectif de cet article est de faire une courte revue de l’état des connaissances et des options thérapeutiques envisageables. Définitions Il n’existe pas de définition consensuelle de l’hyperacousie et de ses différentes dimensions psycho-acoustiques, émotionnelles et cognitives. On parle parfois d’inconfort, d’intolérance, d’hypersensibilité, voire de douleurs déclenchées par des bruits dont l’intensité est considérée comme supportable par les sujets non atteints (bruit de vaisselle, de trafic, cinéma, radio, etc.). Cependant, une classification récente(1) propose de distinguer quatre différentes composantes à l’hyperacousie. • La distorsion de la perception de l’intensité des sons avec, pour les sujets hyperacousiques, une évaluation plus intense de la sensation (dBSL) provoquée par une stimulation sonore donnée (dBSPL) en comparaison aux sujets normaux. Ceci se rapproche du phénomène de recrutement, bien connu des audiologistes, pour lequel une même variation de niveau sonore physique sera perçue différemment en fonction de la présence ou non d’un déficit auditif endocochléaire. • L’intolérance au bruit correspond à une réaction émotionnelle négative (gêne, tension, désagrément, etc.) lors de la perception d’une stimulation acoustique. • La peur du bruit coïncide avec une réaction adverse anticipatoire, un comportement d’évitement, survenant même en l’absence de bruit. • La douleur au bruit survient pour des sons d’intensité plus faible que le niveau de 120 dB qui déclenche habituellement une douleur chez les sujets normaux. Il convient également de souligner que la gêne provoquée par une perception sonore n’est pas directement et uniquement liée à l’intensité du signal acoustique, et peut varier en fonction des caractéristiques spectrales ou rythmiques du son, ou bien en fonction de critères plus subjectifs (personnels, sociaux ou envi ronnementaux). À titre d’exemple, il a été montré que pour l’intolérance générée par les bruits de trafic routier, seule 25 % de la variance dans l’évaluation de l’intensité de la gêne pouvait être expliquée par le seul niveau sonore. Un élément essentiel est constitué par la sensation de contrôle que l’on a, ou pas, sur son environnement acoustique. Épidémiologie : étiologies et symptômes associés Peu de données épidémiologiques sont disponibles mais, à des degrés divers, l’intolérance au bruit pourrait toucher environ 10 % de la population générale. L’hyperacousie peut même être rencontrée chez l’enfant, en particulier chez ceux présentant des troubles du spectre autistique ou certaines maladies génétiques comme le syndrome de Williams-Beuren (95 % des enfants atteints de ce syndrome sont hyperacousiques). Si de nombreuses pathologies peuvent s’accompagner d’hyperacousie, l’étiologie précise et les mécanismes physiopathologiques responsables de ce symptôme ne sont pas clairement élucidés. Le lien de fréquence entre acouphène et hyperacousie semble cependant clairement établi par des études qui ont montré que 40 à 85 % des patients consultant pour acouphène se plaignent aussi d’un niveau anormal de sensibilité au bruit. L’exposition sonore, même mineure, est d’ailleurs souvent responsable d’une augmentation de la perception de l’acouphène, ce qui s’apparente à de l’hyperacousie. Au contraire, l’association entre hyperacousie et déficit auditif semble moins certaine et conduit à mettre aussi en avant une possible origine neurologique ou centrale au phénomène (séquelles de traumatisme crânien, céphalées chroniques, maladies neurologiques inflammatoires, troubles cognitifs de la perception sonore, etc.). En ce sens, le modèle dit « de la douleur chronique » proposé par A.R. Möller(2) fait le lien entre allodynie (sensation douloureuse anormale déclenchée par une stimulation somato-sensorielle physiologique) et hyperacousie (sensation auditive anormale déclenchée par une stimulation sonore physiologique). Enfin, et même si nombre de patients présentent des troubles psychologiques, le lien de causalité entre ce symptôme auditif et les troubles psychiatriques n’est pas clairement déterminé. Les conséquences personnelles et sociales de l’hyperacousie peuvent en effet expliquer la survenue plus fréquente de troubles anxiodépressifs chez ces sujets. Tout comme un terrain psychologique défavorable pourrait expliquer la survenue préférentielle de ce type de problème auditif chez des sujets « à risque » de développer une réaction anxieuse phobique aux bruits. Des modèles cognitivo-comportementaux ont été développés pour rendre compte de ces liens complexes et bidirectionnels. Mesure et évaluation de l'hyperacousie Il n’existe pas de mesure objective de l’hyperacousie. L’imagerie fonctionnelle cérébrale (IRMf, PET Scan, MEG, etc.) pourrait apporter à l’avenir des progrès dans ce sens. L’évaluation reste donc essentiellement subjective et repose sur des mesures psycho-acoustiques (évaluation des niveaux d’inconfort pour sons purs ou complexes, courbes sensation/intensité) ou sur des questionnaires standardisés qui permettent d’apprécier le retentissement fonctionnel de l’hyperacousie(3). Traitements La prise en charge de l’hyperacousie est superposable à celle de l’acouphène et se développe selon 4 axes : – l’écoute et le conseil pour ces patients qui sont le plus souvent en grande demande de reconnaissance du problème complexe auquel ils sont confrontés et qui devront entrer dans un processus thérapeutique, qui peut leur paraître au départ contre intuitif ; – l’enrichissement sonore et l’exposition progressive par le biais de différents systèmes de générateurs de bruit (blancs, roses, fractals ou sons naturels) qui permettent de rendre plus facilement tolérables les sons environnants. La compensation prudente et progressive d’une éventuelle perte auditive associée est souvent indispensable, rendant souhaitable le concours de l’audioprothésiste. Ceci va bien évidemment de pair avec une utilisation prudente et raisonnée de protections auditives adaptées en cas d’exposition sonore intense ou prolongée ; – les thérapies cognitives et comportementales qui, si le patient en accepte le principe et les modalités, permettent de limiter les réactions d’hypervigilance et d’anxiété associées aux bruits. D’autres techniques de relaxation apparentées (sophrologie, hypnose, etc.) sont éventuellement envisageables mais manquent à ce jour de validation scientifique ; – les traitements médicamenteux (anxiolytiques, antidépresseurs, antiépileptiques) dont la prescription doit être réservée aux cas les plus difficiles après une évaluation correcte de la balance bénéfice/risque, en particulier chez les sujets âgés polymédicamentés.
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