Publié le 16 jan 2020Lecture 7 min
Halte aux bronchiolites en station de ski !
Dominique JEAN, Pédiatre infectiologue, CHU Grenoble-Alpes, Vice-présidente de l’ISMM (International Society for Mountain Medicine), Membre du CA de la SMV (Société de médecine des voyages)
Le mois de décembre voit éclore chaque année les épidémies de bronchiolite, avec une convergence de nourrissons atteints vers les stations de ski pendant les vacances de Noël, et cette migration virale se poursuit jusqu’au printemps, avec un nouveau pic dans ce contexte pendant les vacances de février. Le risque d’aggravation lié à l’altitude est inconnu des familles et malheureusement, il est aussi très souvent méconnu des médecins, qui doivent oublier le message trop souvent entendu : « Le bon air de la montagne lui fera du bien ».
Ce problème avait déjà été évoqué dans un article de Pédiatrie Pratique en décembre 2013, mais il était inclus dans une thématique plus générale sur l’enfant en montagne, ce qui a probablement dilué son importance(1). Une augmentation des taux d’hospitalisation pour bronchiolite a été rapportée dans les régions de haute altitude chez les nourrissons et jeunes enfants résidents(2). Mais il n’y a pas d’études publiées chez les visiteurs. De plus, les études réalisées chez les résidents concernent des populations vivant à des altitudes supérieures à 2 500 m(définition de la haute altitude) et le niveau socio-économique joue un rôle important dans l’épidémiologie.
Une étude à l’hôpital d’Albertville
Selon cette définition de la haute altitude, les stations de ski françaises, même les plus hautes, sont situées à moyenne altitude, et les familles qui y passent leurs vacances d’hiver font partie des catégories socio-économiques favorisées, ce qui rend les comparaisons difficiles.Une étude rétrospective réalisée sur deux hivers consécutifs à l’hôpital d’Albertville et présentée récemment dans un congrès international(3) a répertorié les cas de bronchiolite concernant les vacanciers. L’hôpital d’Albertville, situé à 300 m d’altitude, reçoit les patients en provenance des plus hautes stations de ski des Alpes françaises : les 3 Vallées (Courchevel, Méribel, Les Menuires, Val Thorens), l’Espace Killy (Tignes, Val d’Isère) et le domaine La Plagne-Les Arcs. Pour l’ensemble de ces stations, l’altitude de résidence est comprise entre 1 800 et 2 300 m, et l’altitude maximale du domaine skiable est de 3 400 m. Même si les nourris-sons ne montent évidemment pas(en principe !) à 3 400 m, il faut savoir que la pression partielle d’oxygène baisse parallèlement à la pression atmosphérique et que,par exemple, à 2 000 m d’altitude,la pression d’O2 dans l’air inspiré diminue d’environ 23 % par rapport au niveau de la mer. Pour cette étude, les cas ont été identifiés via le département d’information médicale de l’hôpital d’Albertville : ont été retenus les nourrissons et jeunes enfants sortis avec le diagnostic de bronchiolite et identifiés comme visiteurs grâce au code postal pour les Français ou au nom du pays pour les étrangers. Les dossiers médicaux ont été revus pour collecter les données médicales, l’altitude de résidence habituelle et celle de la station de ski, la SpO2 en station et à l’arrivée à l’hôpital, le résultat de la recherche nasale de VRS (virus respiratoire syncytial) et virus grippal, les besoins en oxygène et autres traitements éventuels, la durée d’hospitalisation, le mode de transport de la station à l’hôpital et pour le retour à domicile. Sur les deux hivers étudiés, 28 patients remplissaient les critères d’inclusion, 11 durant l’hiver 2014-2015 et 17 durant l’hiver 2015-2016. Tous étaient originaires de basse altitude. Il y avait 17 Français et 11 étrangers (Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Danemark). L’âge moyen était de 8,9 mois (1,5-33 mois). Dix-neuf enfants étaient arrivés en station avec une infection des voies respiratoires supérieures (IVRS) ou une bronchiolite débutante (dont 3 bronchiolites diagnostiquées parleur médecin avant le voyage) et ont été envoyés à l’hôpital d’Albert-ville par le médecin de station ou les services de secours, pour des signes de détresse respiratoire et/ou une hypoxémie, généralement dans les 24 h suivant l’arrivée en altitude. Les autres enfants, qui n’étaient pas malades en arrivant,étaient en incubation ou ont attrapé le virus en garderie pendant que les parents et fratries profitaient de leur séjour sur les pistes de ski. L’incubation étant courte, ils arrivaient à l’hôpital dans ce cas au 4e ou 5e jour de vacances. Sur cette petite série, la plupart des enfants sont arrivés à l’hôpital en véhicule particulier, mais 8 ont été transférés en ambulance et 1 en hélicoptère.
En moyenne, la SpO2 en station était à 87 % (82-95 %), et à l’arrivée à l’hôpital à 92 % (85-100 %). La recherche de VRS était positive chez 9 enfants sur 26, mais 2 patients négatifs étaient positifs avant le voyage ! Certains enfants ont eu besoin d’oxygène pendant l’hospitalisation mais pas tous, car ils vont généralement beaucoup mieux dès qu’ils arrivent à basse altitude. Cependant, il n’est jamais possible d’autoriser la remontée en altitude dans ce contexte, d’autant que les familles ne passent généralement qu’une semaine en station. La durée moyenne d’hospitalisation était de 2,7 jours (1-5 jours). Indépendamment du problème strictement médical, ces hospitalisations entraînent des situations compliquées : selon le contexte, les familles écourtent leurs vacances et rentrent à la maison, en essayant parfois de négocier un remboursement partiel du séjour, ou bien prennent une chambre d’hôtel à Albertville en attendant que l’enfant aille mieux, ou bien les parents se relaient auprès de l’enfant à l’hôpital pendant que les plus grands font du ski, les étrangers font appel à leur assistance, etc. Sur cette petite série, la plupart des familles ont pu rentrer à la maison par leurs propres moyens, mais 6 enfants ont dû être rapatriés : 3 étrangers dont 2 par avion et 1 par ambulance, et 3 Français par ambulance vers leur hôpital de proximité. Tout ceci est évidemment très coûteux, à la fois pour le système de santé français,mais aussi pour les familles et leurs assurances. D’autre part, du fait des contraintes de réservations touristiques, les familles arrivent presque toujours en station le samedi, et les enfants arrivent donc le plus souvent à l’hôpital d’Albertville le samedi ou le dimanche, dès la montée en altitude en début de séjour, quand il y a un seul pédiatre de garde pour couvrir les 3 services de pédiatrie,néonatologie et maternité, plus les appels éventuels aux urgences,c’est donc vraiment très lourd à gérer !
Une augmentation régulière
Les chiffres rapportés peuvent paraître faibles, et les autres hôpitaux de l’Arc alpin n’ont jamais signalé ce risque : l’hôpital d’Albertville est vraiment en première ligne, à la convergence des stations de ski les plus hautes. D’autres hôpitaux plus importants (Annecy, Chambéry ou le CHU de Grenoble) sont à la fois plus loin des stations les plus hautes mais reçoivent aussi beaucoup plus d’enfants dans leurs services d’urgences, ce qui ne permet pas de faire émerger ce risque.D’après la conférence de consensus de la HAS, qui date de septembre 2000 et devrait être mise à jour prochainement, 30 % des nourrissons de 1 mois à 2 ans sont atteints chaque année et le nombre d’enfants atteints a augmenté de 9 % par an entre 1996 et 1999. Bien que la petite étude réalisée à Albertville récemment n’ait pas de valeur statistique, l’impression générale est la même, d’où ce cri d’alarme : à titre anecdotique, le samedi 29 décembre 2018, en pleines vacances de Noël, il y avait 11 enfants hospitalisés pour bronchiolite (dans un service de 14 lits) :3 étaient des nourrissons résidents de basse altitude (300 à 700 m), très jeunes, dont deux positifs à VRS et qui auraient de toute façon été hospitalisés. Trois étaient des résidents en station (1 800 à 2 300 m) : on ne peut évidemment pas inter-dire aux familles qui résident et travaillent en station d’y vivre, mais la durée d’hospitalisation est plus longue dans ce cas, puisque les nourrissons ne peuvent pas remonter en altitude. Mais 5 enfants étaient des vacanciers : 4 Français de 3 mois ½ à 13 mois, originaires de différents départements. Un avait eu une bronchiolite guérie peu de temps avant de partir, 1avait un diagnostic de bronchiolite avant de monter en altitude et 1 avait une IVRS (infection des voies respiratoires supérieures) avant le départ. Le 5e cas était une petite Anglaise de 28 mois, née à 27 SA, sous oxygénothérapie à domicile pendant 1 an pour dysplasie broncho-pulmonaire et traitée régulièrement par bronchodilatateurs depuis. Arrivée pour Noël à Courchevel (1 850 m) dans un contexte d’infection virale maternelle, elle a été hospitalisée à Albertville le 28 décembre. Un retour familial en avion était prévu le 31 décembre, mais évidemment impossible du fait d’une oxygéno-dépendance, sauf rapatriement sanitaire avec oxygène, etc.
Informer les médecins et les familles
Il faut donc retenir que même les altitudes modérées sont suffisamment hautes pour précipiter l’aggravation d’une bronchiolite débutante dès l’arrivée en station, et d’autant plus que les enfants ont plus jeunes ou avec des antécédents à risque. La plupart de ces nourrissons n’auraient pas eu besoin d’hospitalisation s’ils n’étaient pas montés en altitude. Il est nécessaire d’informer les médecins et les familles sur le risque d’emmener les nourrissons en station de ski en période hivernale, surtout en cas d’IVRS préexistante et à la pleine saison des bronchiolites. Un nourrisson de moins d’un an (âge le plus à risque) n’a aucun intérêt à aller passer Noël en station de ski en pleine période d’épidémie de bronchiolite, a fortiori s’il est déjà malade avant de partir ! Sans parler des autres risques liés à l’altitude(4). Les prochaines recommandations de la HAS devraient prendre en compte ce risque.
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