Porteurs asymptomatiques : les catalyseurs de pandémie ?

Du 7 au 23 février le plus gros cluster de COVID-19 en dehors de la Chine est survenu sur le Diamond Princess, un bateau de croisière mis en quarantaine dans le port de Yokohama. Avec 3 711 passagers et hommes d’équipage à bord, cet épisode a réalisé un modèle épidémiologique susceptible de fournir des informations sur la dynamique de l’épidémie. Le CDC d’Atlanta a publié la semaine dernière les données consolidées collectées sur le paquebot(1). Après avoir testé l’ensemble des personnes présentes sur le navire, 712 d’entre elles (19,2 %) étaient positives au SARS-CoV-2 et parmi celles-ci 381 (46,5 %) étaient asymptomatiques. Parmi les 381 patients symptomatiques, 37 (9,7 %) ont nécessité un séjour en réanimation et 9 (1,3 %) sont décédés. Le premier test positif avait été réalisé le 25 janvier chez un passager qui était descendu à Hong Kong. Le 3 février les consignes de distanciation sociale et de surveillance des symptômes étaient diffusées à bord, et le 5 février le bateau était mis en quarantaine. Quelles leçons tirer de ces chiffres ? Une semaine s’est écoulée entre le premier diagnostic et la mise en place de mesures de distanciation, et environ 20 % des personnes avaient une rtPCR positive pour le SARS-CoV-2, ce qui signifie que le virus diffuse très vite. D’autant que si l’on admet un taux de faux négatif d’environ 30 %, c’est environ 600 personnes qu’il faudrait ajouter à ce compte, soit au total plus de 54 % des passagers et membres d’équipage qui seraient infectés. Par ailleurs, le taux de mortalité de 1,3 % dans une population avec une forte proportion de personnes âgées, est plus faible que celui annoncée régulièrement sur les antennes car ce dernier ne tient pas compte des cas asymptomatiques, inconnus faute d’un dépistage systématique. Et c’est surtout sur ce dernier point que les chiffres du CDC sont particulièrement intéressants. Plus de 46 % de patients asymptomatiques (voire plus si on prenait en compte les faux négatifs) à bord du Diamond Princess dans une population sensible, et donc plus susceptible de développer des signes cliniques, laisse augurer du nombre de ces cas non diagnostiqués en population générale. Notons que parmi les asymptomatiques il faut distinguer les présymptomatiques en phase d’incubation, qui développeront ultérieurement des signes, de ceux qui n’en présenteront jamais. Selon des projections effectuées à partir des données du Diamond Princess, il semble que 17,9 % des sujets infectés ne présenteront jamais de symptômes(2). Quatre personnes infectées sur 5 seraient asymptomatiques Depuis qu’elle se targue de maîtriser l’épidémie, la Chine teste systématiquement les nouveaux entrants sur son sol afin d’éviter une nouvelle vague de COVID-19 importée. Le 1er avril les autorités chinoises ont identifié 166 nouveaux cas en 24 h, parmi lesquels 130 étaient asymptomatiques, soit 4 cinquièmes des personnes infectées(3). Dans l’article publié par le British Medical Journal, Tom Jefferson, un épidémiologiste de l’Université d’Oxford, explique que si ces résultats sont fiables, et même en retranchant 10 % à cette estimation de 75 % de porteurs asymptomatiques, on peut alors considérer que le virus est d’ores et déjà partout. Dès lors, interroge-t-il, à quoi sert le confinement à part à mettre l’économie à genoux ? Un débat qui se prolongera sans doute après la crise. G. L. Références 1. Moriarty LF et al. Public health response to Covid-19 outbreaks on cruise ships – worldwide, february-March 2020, Morbidity and Mortality Weekly Reports 2020 ; 6(12) : 347-52. https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6912e3.htm 2. Mizumoto K et al. Estimating the asymptomatic proportion of coronavirus disease (Covid-19) cases on board the Diamond princess cruise ship, Yokohama, Japan 2020. Eurosurveillance 2020 ; 25 (10), 12 avril, https://eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.10.2000180 3. Day D. Covid-19: four fifths of cases are asymptomatic, China figures indicate. BMJ 2020, 2 avril, doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m1375 Avec le soutien institutionnel du laboratoire