ORL
Publié le 25 jan 2021Lecture 10 min
Paralysies récurrentielles : techniques mini-invasives au fauteuil - Des techniques efficaces, permettant une prise en charge dès les premiers jours ou semaines, à savoir proposer à nos patients parfois très gênés
Franck MARMOUSET, Sylvain MORINIÈRE, Service ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital Bretonneau, CHU de Tours
Les paralysies récurrentielles sont souvent très handicapantes, occasionnant des dysphonies parfois importantes et des fausses routes. Les techniques mini-invasives méritent d’être diffusées : ce sont des injections volumisantes au fauteuil sous anesthésie locale, particulièrement adaptées à des patients fatigués par une néoplasie pulmonaire, ou à des postopératoires, mais aussi des paralysies idiopathiques. Ces techniques sont réalisables dans des délais rapides, sans attendre une hypothétique récupération ou une prise en charge orthophonique parfois difficile et longue.
L e référentiel 2011 de la SFORL recommande pour les paralysies laryngées de l’adulte une rééducation orthophonique initiale « de courte durée ». La RCP de 2002(1) précisait qu’une « durée minimale de 3 mois semblait raisonnable » (accord professionnel). La recommandation indiquait déjà, néanmoins, que la chirurgie « est indiquée rapidement en cas de dysphonie sévère ou de troubles de la déglutition menaçants ». Depuis un certain temps, sont proposés des traitements sous anesthésie locale, plus simples et moins invasifs, popularisés aux États-Unis depuis déjà les années 2000(2), pour des raisons en grande partie culturelles et en lien avec l’organisation du système de santé.
La SFPL (Société française de phoniatrie et laryngologie) est active dans ce domaine. Un groupe de travail va être mis en place à l’automne 2019, à l’occasion du congrès de la SFORL, autour de ce sujet et de la fibroscopie interventionnelle en général. Les paralysies laryngées postopératoires ont fait l’objet d’une mise au point dans un article récent dans la même revue(3), et nous voudrions par cet article donner un coup de projecteur sur la réhabilitation précoce sous anesthésie locale des paralysies, que ce soit postopératoire, mais aussi liée à des problèmes oncologiques comme les néoplasies pulmonaires.
Légitimité de l'acte interventionnel précoce
La légitimation d’un acte précoce est double :
d’une part, pour améliorer rapidement certains paramètres du handicap du patient, voire de reprendre une activité professionnelle. Nombreuses sont les études ayant permis de prouver l’efficacité des injections de produit volumisant dans les paralysies hémilaryngées, depuis les années 1980. Plus précisément encore, citons l’étude de Lau, en 2010(4), sur 28 patients, qui montre une corrélation entre la diminution du handicap vocal et la qualité de la fermeture glottique (affrontement des cordes vocales, chiffré par des mesures spécifiques) obtenue après injection ;
d’autre part, car il a été montré qu’un acte précoce permet une meilleure récupération de la fonction vocale à long terme. Halderman, en 2014, a prouvé sur une série de 82 injections qu’une injection d’acide hyaluronique avant 6 mois diminuait de façon significative le nombre de gestes définitifs réalisés ensuite(5).
On peut agir dès les premiers jours ou semaines si on pense qu’un acte interventionnel peut être efficace.
On peut être amené à proposer un geste ultraprécoce, dans les premiers jours, si la gêne est très importante, en particulier aphonie avec handicap majeur et/ou fausses routes.
Figure 1. Paralysie de la corde vocale (pli vocal) gauche en ouverture. En bas, la corde vocale droite se rapproche de la ligne médiane en phonation, mais il persiste un espace intercordal important et un défaut de tension de la corde gauche.
Figure 2. Larynx après injection volumisante dans la corde vocale gauche, sur une paralysie en ouverture. On notera l’affrontement qui est correct. La corde vocale apparaît comme légèrement inflammatoire (image prise dans les jours suivant l’injection) et bombée (légère hypercorrection).
Figure 3. Injection de produit volumisant (acide hyaluronique) dans la corde vocale gauche à l’aiguille fine par voie transcutanée. De haut en bas : approche de l’aiguille, phase intermédiaire, fin de l’injection.
Buts de l'acte interventionnel
Du point de vue biomécanique, l’injection volumisante a pour but d’améliorer l’affrontement intercordal en diminuant l’espace entre les cordes vocales en phonation. La fuite d’air diminue, permettant une meilleure efficacité glottique, les conséquences pratiques étant un temps maximal phonatoire augmenté, une voix plus audible et une diminution de la dyspnée à la parole (cette dyspnée étant particulièrement marquée chez les patients présentant une pathologie pneumologique). Dans les cas de paralysies en ouverture, il n’y a tout simplement aucune vibration avant l’injection « voix de fuite », celle-ci permettant l’apparition d’une vibration vocale.
D’autre part, l’amélioration de l’affrontement agit sur la qualité de la synchronisation vibratoire intercordale et donc sur le paramètre perceptif de la « raucité ». Si les fausses routes sont importantes, nous injectons aussi dans la bande ventriculaire, dont nous connaissons le rôle fondamental dans l’étanchéité glottique.
Le but est de diminuer l’espace intercordal en phonation.
Conditions pratiques
La prise en charge précoce des PR, en particulier d’origine oncologique (carcinomes broncho-pulmonaires) ou postopératoires (thyroïdectomie, chirurgie vasculaire cervicale ou thoracique) nécessitait deux conditions, de matériel (produit) et de technique/organisation. La première était l’utilisation de produits résorbables. En effet, dans la majorité des cas, le potentiel de récupération de la PR n’est pas connu. Rares sont les comptes rendus opératoires mentionnant la section du nerf récurrent. D’autre part, l’EMG des cordes vocales n’a qu’une valeur indicative, la validité scientifique de l’EMG comme élément pronostique et de monitorage n’étant pas établie scientifiquement ; en particulier, une récupération EMG n’est pas nécessairement accompagnée d’une récupération clinique(3). Quant aux PR « spontanées », sans cause retrouvée, nul ne peut prévoir leur évolution. Dans ce cadre, il était nécessaire d’avoir dans notre arsenal thérapeutique des interventions « provisoires », ce que nous offrent les produits volumisants résorbables, que nous détaillerons plus loin. Nous précisons à notre patient le caractère provisoire du geste et la nécessité d’une réévaluation à moyen terme.
La seconde était la possibilité technique et organisationnelle de réaliser un geste peu invasif. Notre expérience de consultation et de suivi des patients présentant des pathologies oncologiques lourdes, ou de patients opérés récemment du cou, du thorax, nous enseigne que ces patients désirent en grande majorité une prise en charge légère, ce terme comprenant pour eux une absence d’anesthésie générale, de nuit dans un service, de cervicotomie. Les injections volumisantes sous anesthésie locale, par voie transcutanée ou par le canal opérateur du fibroscope, permettent de répondre dans la majorité des cas à leur conception de la prise en charge. Notre pratique, après une courbe d’apprentissage, permet par exemple un geste en fauteuil de consultation d’une vingtaine de minutes, sous naso-fibroscopie simple avec enregistrement vidéo, comprenant une anesthésie locale et une injection par voie transcutanée de quelques minutes, puis une surveillance en fauteuil en unité ambulatoire d’une heure. Ce type de prise en charge, assimilable à certains soins dentaires, dans notre cas en milieu sécurisé, apparaît comme souvent adapté à la demande de nos patients. Une autre technique consiste à injecter le produit par voie fibroscopique à l’aide d’une aiguille souple spécifique passée par le canal opérateur du fibroscope. Chaque technique a ses avantages et ses inconvénients, qui ne seront pas abordés dans cet article.
Le passage du patient sur le fauteuil dure moins de 20 à 30 minutes après une courbe d’apprentissage.
Nous allons détailler un peu plus les produits utilisés. Le bioplastic est non résorbable et a été quasiment banni de notre utilisation du fait de complications locales. La graisse est un excellent produit connu depuis 1991(6), mais n’est pas résorbable (malgré une résorption partielle imprévisible pendant les 3 premiers mois, due à la mort de lobules) et nécessite surtout un prélèvement en principe sous anesthésie générale. Les produits privilégiés sont actuellement l’acide hyaluronique et l’hydroxylapatite.
L’acide hyaluronique est utilisé dans notre expérience depuis 2012(7). Nous avons progressivement amélioré nos compétences dans l’utilisation de ce produit. Un des principaux inconvénients que nous avons notés est une diminution d’efficacité parfois très rapide, en quelques jours, qui nous paraît interprétable comme une extrusion du fait de la fluidité du produit (bien que nous utilisions une variante réticulée c’est-à-dire peu fluide, et à longue durée de vie, d’acide hyaluronique : Restylane®). La durée de vie du produit, ou d’efficacité, est entre 6 mois et 1 an, parfois supérieure chez certains de nos patients. L’hydroxylapatite est un produit dont la durée de vie est entre un et deux ans en moyenne ; notre expérience en est plus récente. Il est moins fluide, moins susceptible d’extrusion rapide, son potentiel vibratoire apparaît comme moins important du fait de propriétés viscoélastiques moins bonnes que l’acide hyaluronique et il doit donc être injecté en profondeur(8). Il existe actuellement deux produits sur le marché en France, dont le prix est équivalent, mais l’un est livré en doses de volume plus important, ce qui peut être un argument de choix.
Des produits efficaces entre 6 mois et 2 ans en moyenne.
Place de ce type de geste dans l'arsenal thérapeutique habituel
Concernant les problèmes aigus, une prise en charge orthophonique ne devra pas à notre sens retarder un geste si celui-ci est programmé avec une indication claire et une demande du patient. Par contre, le geste pourra être utilement encadré par celle-ci pour optimiser le fonctionnement laryngé après injection.
Dans d’autres cas, si la décision n’est pas évidente, elle pourra être reportée avec un nouveau colloque du praticien et du patient après ou non prise en charge orthophonique sur une durée courte ou moyenne.
À plus long terme, les gestes miniinvasifs sous anesthésie locale au fauteuil peuvent laisser leur place aux gestes classiques définitifs, bien que dans certains cas, des patients âgés ou fragiles puissent privilégier, à leur demande, des gestes itératifs tous les deux ans par exemple, pour éviter une anesthésie générale.
Indications
Il est important de proposer ce type de geste à des patients pouvant en espérer un bénéfice.
Le patient devra à la fois :
avoir une gêne fonctionnelle importante. L’utilisation d’une échelle de handicap type VHI (voice handicap index) permet d’évaluer celle-ci. Un patient en arrêt de travail du fait de son problème vocal devra faire l’objet d’une attention particulière et la possibilité de récupération d’une activité professionnelle pourra être un argument déterminant bien que nous devions nous garder de toute promesse de résultat ;
présenter des caractéristiques phonologiques et laryngées précises. Le cas le plus évident est le patient présentant une voix de fuite, sans vibration, avec à l’examen une paralysie en ouverture.
Progressivement, nous avons étendu nos indications aux raucités importantes, type voix bitonales, avec défaut de synchronisation intercordale net, sur une paralysie en position intermédiaire, voire paramédiane, avec important défaut de tension. Les caractères peu invasifs du geste et résorbables du produit nous ont facilité cette évolution(9) ;
être demandeur, compliant, et suffisamment peu anxieux pour accepter un acte sous fibroscopie avec une injection à l’aiguille fine dans la partie médiane du cou, ou par voie du canal opérateur. Nous montrons fréquemment au patient une vidéo d’un geste réalisé antérieurement, ceci permettant souvent de dédramatiser les choses.
Le patient type est très dysphonique ou aphone avec une gêne fonctionnelle importante. La reprise d’une activité professionnelle est souvent un tournant.
Complications
Une étude multicentrique réunissant les plus grands spécialistes aux USA en 2010(2) avait retrouvé, sur 451 patients répartis à parts égales entre injections sous AL et sous AG, un taux assez proche de complications (2 à 3 %) avec essentiellement des injections excessives ou superficielles. Un lieu d’injection et/ou de diffusion non conforme au projet initial est le problème le plus fréquemment rencontré, problème minoré par le caractère résorbable du produit. Sous AL, d’autres complications plus rares sont décrites : hématomes, saignements intratrachéaux, fausses routes, granulomes, rarissimes complications cardiovasculaires graves (un cas d’injection intracarotidienne). Ces complications des gestes sous AL sont à comparer avec les complications des gestes sous AG : problèmes dentaires, spasmes, complications des anesthésies générales.
Pour notre part, nous avons eu à gérer quelques malaises vagaux sans gravité.
Contre-indications et limitations
Les contre-indications comprennent : un état cardiovasculaire instable, un larynx difficilement exposable, des repères cutanés difficiles à définir(10), un cou très algique (pour la technique par voie transcutanée).
Concernant les anticoagulants, la plupart des équipes programment un relais des anticoagulants sauf impossibilité(11), ce qui est notre cas ; nous n’avons jamais eu de problème sous Kardégic®. Au-delà d’un espace intercordal de 3 mm, la correction par injection est plus difficile et des techniques différentes peuvent être en principe en concurrence(12), mais ces techniques sont plus invasives (thyroplastie) et trouvent plus difficilement leur place dans un délai rapide du fait du caractère définitif.
Le Kardégic® n’est pas une contre-indication.
Aspect administratif et remboursement
Le produit volumisant coûte entre 100 et 300 euros. Il n’est pris en charge, selon les données en notre possession, que dans le cadre d’une hospitalisation. En dehors de cela, il risque d’être facturé au patient. Dans notre pratique, le patient est hospitalisé une heure en service ambulatoire pour surveillance (du fait du risque théorique d’hématome, de dyspnée, de saignement) avec un dossier traçable. Le geste lui-même a une cotation CCAM. L’hospitalisation et le geste effectué permettent par ailleurs d’intégrer la pathologie dans un GHM avec une cotation, donc une rentrée financière, pour la structure. Nous n’avons eu jusqu’ici aucune difficulté de la part des caisses.
L’hospitalisation en ambulatoire est une bonne solution.
Suivi
Un contrôle entre J15 et J30 est organisé. Pour le suivi postopératoire tardif, nous privilégions un contact par mail de la part du patient ou de son médecin, du fait du caractère variable du délai de résorption.
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