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Tabacologie

Publié le 10 mar 2021Lecture 7 min

Asthme et usage de cannabis

Michel UNDERNER(1), Gérard PEIFFER(2), Jean PERRIOT(3)

En France, le cannabis est la seconde substance la plus fréquemment inhalée après le tabac. Son mode de consommation le plus fréquent est le « joint » fumé (mélange de cannabis et de tabac), ce qui rend plus difficile l’évaluation de la toxicité du cannabis seul. Sa consommation par voie inhalée peut être responsable de symptômes respiratoires (toux, sifflements thoraciques), d’aggravation des symptômes d’asthme et même du développement d’un asthme.

L’asthme est une maladie hétérogène caractérisée par une inflammation chronique des voies aériennes aboutissant à une obstruction bronchique réversible. La complexité de sa prise en charge tient également dans la multiplicité des facteurs susceptibles d’induire et/ou d’aggraver l’asthme ; le tabagisme et la consommation de cannabis ou d’autres substances psychoactives (SPA) en font partie(1). En Europe(2), le cannabis est la seconde substance la plus fréquemment inhalée après le tabac. En 2019, parmi les pays d’Europe, la prévalence d’usage annuel en France demeure élevée à 22 %, en dépit d’une lente diminution de l’usage. Le cannabis (cannabis sativa) contient plus de 60 substances cannabinoïdes dont deux d’entre elles, le delta-9-tetrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol ont des propriétés psychoactives. Les modalités de consommation du cannabis sont variées. Il peut être fumé seul, sous forme de cigarettes (herbe, marijuana) ou de résine mélangée à du tabac (joints), de pipes, avec un narghilé (chicha) ou sous la forme de « bang », pipe à eau artisanale souvent confectionnée dans une bouteille en plastique dont l’usage accroît la toxicité du cannabis(3). Dans tous les cas, lors de la combustion, le cannabis délivre des cannabinoïdes (dont le THC) et d’autres substances responsables d’effets délétères sur l’appareil respiratoire(4). Alors que les effets du tabagisme sur les symptômes et les exacerbations d’asthme sont bien connus, ceux du cannabis le sont beaucoup moins. En outre, le mode de consommation le plus développé en France est le joint fumé, ce qui rend plus difficile l’évaluation de la toxicité du cannabis seul(5). La plupart des études expriment la consommation de cannabis en joint-années (1 joint-année [JA] correspond à 1 joint fumé par jour pendant 1 an). Ce mode de calcul ne prend pas en compte la quantité souvent variable de feuilles de cannabis utilisées pour fabriquer un joint. Il est donc difficile d’avoir des groupes de fumeurs purs de cannabis, sans consommation associée de tabac. Toutefois, les études menées en Nouvelle-Zélande sont intéressantes, car dans ce pays, le cannabis est le plus souvent fumé seul, sans association au tabac(6), ce qui permet de corréler les conséquences respiratoires de l’inhalation de cannabis et de distinguer les risques propres du tabac et du cannabis. Consommation de cannabis et symptômes respiratoires Il est constaté une augmentation significative de la prévalence de la toux et des sifflements thoraciques chez les fumeurs mixtes (de cannabis et de tabac) et chez des fumeurs exclusifs de cannabis, comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé ni tabac ni cannabis. Ces mêmes symptômes sont également observés dans la « bronchite chronique » liée au cannabis, qui représente la période précédant la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), définie par la présence de symptômes respiratoires chroniques et d’une obstruction bronchique permanente avec un trouble ventilatoire obstructif (rapport VEMS/CVF < 0,70 persistant après la prise de bronchodilatateurs). Ces symptômes respiratoires peuvent provoquer des pneumothorax(4). Effet de l'arrêt de la consommation de cannabis sur les symptômes respiratoires L’arrêt de la consommation de cannabis est associé à une diminution de la prévalence de ces symptômes, avec une prévalence identique à celle observée chez les sujets n’ayant jamais fumé(1). Développement de l’asthme En Nouvelle-Zélande, Aldington et coll.(6), notaient une association positive entre consommation exclusive de cannabis et développement d’un asthme après l’âge de 16 ans (OR = 1,7 ; IC95 % : 1,0-2,9). Consommation de cannabis et utilisation des médicaments de l’asthme D’autre part, il a été observé une association positive entre la délivrance des médicaments de l’asthme (bêta-2-adrénergiques et/ou corticostéroïdes inhalés) par les pharmaciens et l’usage de cannabis au cours des 12 derniers mois, comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé de cannabis(1). Cannabis et sensibilisation aux pneumallergènes La prévalence de la sensibilisation aux pneumallergènes est significativement augmentée chez les consommateurs de cannabis(7). Un cas d’asthme professionnel provoqué par l’exposition aux poussières de graines de cannabis sativa (utilisées pour la fabrication de nourriture pour les oiseaux) a été décrit chez un éleveur d’oiseaux. Lors de l’exposition à ces graines, cet éleveur présentait rapidement une rhinorrhée, une dyspnée avec toux et sifflements thoraciques et redevenait rapidement asymptomatique après l’arrêt de l’exposition. Les IgE sériques totales étaient augmentées (249 UI/ml). Le prick-test cutané et l’intradermoréaction avec des extraits de graines de cannabis sativa étaient positifs, ainsi que le test de libération d’histamine par les basophiles (hypersensibilité immédiate aux graines de cannabis sativa). Dix minutes après le début du test de provocation bronchique aux extraits de cannabis sativa, le VEMS chutait de 31 %, avec un retour à la valeur de base 45 minutes après l’arrêt du test. Il n’était pas constaté de réaction retardée(4). Cannabis et fonction respiratoire À court terme, l’inhalation de fumée de cannabis a un effet bronchodilatateur chez les sujets sains et chez les asthmatiques, comme le salbutamol, mais sans effet supplémentaire et donc sans autre intérêt. À moyen et long terme, la fumée de cannabis provoque une diminution de la conductance spécifique des voies aériennes et une diminution des résistances des voies aériennes, traduisant l’atteinte principale des grosses voies aériennes. Dans la limite des études disponibles, le cannabis ne semble pas provoquer d’atteinte des petites voies aériennes (peu d’anomalies significatives du VEMS et du rapport VEMS/CVF). Des études complémentaires sont toutefois nécessaires, car les résultats des études sur le déclin du VEMS sont discordants. Enfin, chez les fumeurs exclusifs de cannabis, le transfert du monoxyde de carbone n’est pas modifié et l’hyperréactivité bronchique à la méthacholine n’est pas augmentée(4,6). Différences entre consommation de cannabis et de tabac La technique d’inhalation d’un joint diffère de celle d’une cigarette de tabac : volume supérieurdes bouffées, inhalation plus rapide et plus profonde, apnée fréquente en fin d’inhalation pour augmenter l’absorption des cannabinoïdes et obtenir des effets psychoactifs plus importants. Ceci peut provoquer une brèche alvéolaire à l’origine d’un épanchement aérien (pneumothorax, pneumomédiastin, pneumopéricarde, pneumopéritoine, voire d’un pneumorachis)(1). Il en résulte une augmentation du temps de contact entre la fumée de cannabis et la muqueuse bronchique, une rétention pulmonaire plus importante des substances toxiques de la fumée (monoxyde de carbone [CO], carcinogènes). Même si la quantité consommée est 6 fois plus importante chez les fumeurs de tabac que chez les fumeurs de cannabis, chez ces derniers, l’exposition pulmonaire à la fumée est 4 fois plus élevée. Ainsi, un « joint » équivaudrait à 2,5 à 4 cigarettes de tabac en termes de conséquences respiratoires(6). Consommation de cannabis avec la cigarette électronique La cigarette électronique (CE), utilisée avec du matériel et des e-liquides respectant les normes AFNOR et CE (conformité européenne) peut représenter un nouveau moyen d’aide à l’arrêt ou à la réduction du tabac. Il existe toutefois une association positive entre les symptômes d’asthme, leur sévérité et l’usage actuel de la CE, chez les adolescents. Les résultats sont plus contrastés chez lesadultes asthmatiques usagers de la CE comparativement à l’usage de cigarettes conventionnelles(8). Un détournement de l’usage de la CE permet de consommer des SPA ilicites, en les plaçant dans l’e-liquide. Diverses SPA illicites peuvent être consommées en utilisant la CE : cannabis, cannabinoïdes de synthèse, cocaïne (crack), héroïne, ainsi que d’autres SPA (par exemple : méthamphétamine, ecstasy [MDMA : 3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine]), MDPV (3,4 méthylènedioxypyrovalérone)(8). L’association de cannabinoïdes aux produits de vapotage ayant été à l’origine aux États-Unis d’une épidémie de pneumopathies avec de nombreux cas de décès(9) a conduit à des recommandations de prudence en matière de vapotage. Des études sont nécessaires pour évaluer le risque d’asthme chez les utilisateurs de cannabis par l’intermédiaire de la CE. Cannabinoïdes de synthèse Des cannabinoïdes de synthèse, produits par des laboratoires clandestins sont apparus sur le marché des drogues illicites et sont vendus sur internet avec des noms divers (Spice, Magic, Fusion, Crazy Monkey, Buddha Blue, etc.) sous forme de poudre ou d’huile. Ces produits ont une très forte affinité pour les récepteurs CB1 et CB2(3). Toxique même à de faibles doses, le « Buddha Blues » ou « PTC » (pour « Pète Ton Crâne ») ou 5F-AKB48, peut provoquer une dépression respiratoire, parfois fatale(10). Des études sont nécessaires pour évaluer le risque d’asthme chez les utilisateurs de cannabinoïdes de synthèse.

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