ORL
Publié le 04 fév 2022Lecture 7 min
Acouphènes, stress et anxiété - Importance de la collaboration ORL/psychiatre
Nicolas BONFILS, Psychiatre, addictologue, docteur en neurosciences, Paris
Les acouphènes subjectifs seraient sous-tendus par une modification de l’activité neuronale, comme une hyperactivité et une élévation du taux de décharge spontané, dans le système auditif central, le plus souvent liée à des lésions du système auditif(1) périphérique . Les étiologies sont dominées par les traumatismes sonores, la presbyacousie et les maladies de l’oreille moyenne(2). Mais certains auteurs suggèrent que les acouphènes puissent parfois avoir une origine plus centrale, notamment lorsqu’on observe le profil des surdités congénitales et leur évolution après implantation cochléaire, mais aussi du fait de la persistance des acouphènes après une section du nerf auditif(3).
La plupart des personnes qui signalent la présence d’acouphènes ne consultent pas ou, après une première consultation rassurante, arrivent à gérer ce bruit permanent. Néanmoins, 20 % des patients déclarent que l’acouphène a un retentissement psychologique dans leur vie quotidienne (Heller, 2003). En outre, près de 2 % des patients assurent avoir une « détresse majeure » et 0,5 % est dans l’incapacité de mener une vie normale(3). Les données de la littérature montrent que les troubles psychiatriques préexistants ou concomitants avec les acouphènes seraient un facteur majeur de tolérance et d'inadaptation aux acouphènes(4). Le but de cet article est de proposer une mise au point sur ce sujet complexe et en pleine évolution : le lien entre acouphènes, stress et anxiété.
STRESS ET ACOUPHÈNES
Le stress est défini par le Larousse par un « état réactionnel de l’organisme soumis à une agression brusque ».
Le stress est caractérisé par une augmentation de l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien avec une libérationaccrue de glucocorticoïdes par le cortexsurrénalien. Ces hormones agissent aussi bien sur le système nerveux périphérique que sur le système nerveux central. Dans le cas particulier des acouphènes, le rôle du stress afait l’objet de nombreuses publications(5).
Est-ce que le stress induit ou aggrave les acouphènes ou est-ce que les acouphènes peuvent générer le stress ? L’association entre l’apparition ou l’aggravation des acouphènes et des environnements de stress (comme le stress professionnel ou un stress lié à la découverte d’une maladie, à des tensions familiales, à une mauvaise qualité du sommeil) a été soulignée depuis de nombreuses années. Chez des patients consultant pour des acouphènes à audition normale, le caractère handicapant de l’acouphène a été jugé plus important chez les patients ayant un niveau de stress élevé(6).
Hébert et Lupien(7) ont mis en évidence qu’une exposition sonore à une intensité inférieure aux normes usuelles de sécurité peut induire une élévation du taux de cortisol plasmatique plus importante chez les patients ayant des acouphènes par rapport à des sujets témoins Expérimentalement, au niveau périphérique, chez les rongeurs, une mise en situation de stress induit, deux jours après, une élévation du nombre de sites de libération (rubans) sous la cellule ciliée interne en association à une augmentation de la cortisolémie. La stabilité de la synapse sous la cellule ciliée interne, étudiée par l’enregistrement du potentiel d’action composite, est modifiée en situation de stress chez le rongeur lorsqu’une élévation de la cortisolémie est présente.
Au niveau cérébral, l’activité des récepteurs glucocorticoïdes peut être modifiée aussi bien par le stress que par des stimulations sonores, via les projections basolatérales de l’amygdale ; de tels récepteurs glucocorticoïdes sont exprimés dans l’hippocampe, l’amygdale basolatérale, mais aussi dans les cellules ciliées internes et les neurones du ganglion spiral, ce qui témoigne des interactions importantes entre les systèmes limbique et auditif.
Plusieurs études ont mis en évidence des anomalies de l’activité de l’axe hypothalamus-hypophyse surrénalien chez les patients consultant pour des acouphènes : élévation du cortisol salivaire de base chez les patients qui présentent une détresse élevée en rapport avec des acouphènes, une diminution de la sécrétion de cortisol lors d’un test à la dexaméthasone.
Ces éléments ont suscité l’hypothèse que chez les patients souffrant d’acouphènes, les systèmes de rétrocontrôle de l’axe hypothalamo-hypophysaire et surrénalien ont un fonctionnement altéré(8).
En conclusion, l’activation par une stimulation sonore des projections basolatérales de l’amygdale peut modifier l’activité des récepteurs glucocorticoïdes cérébraux. En outre, une élévation de la cortisolémie peut également affecter le fonctionnement cochléaire, au niveau de la synapse située sous la cellule ciliée interne et induire un certain degré de désafférentation. La dérégulation de cet axe dans les acouphènes pourrait être une source de la comorbidité des acouphènes et du stress.
ANXIÉTÉ ET ACOUPHÈNES
La cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles psychiatriques (DSM V, 2013) définit plusieurs types de troubles anxieux comme le trouble panique, l’anxiété sociale, l’agoraphobie, le trouble anxieux généralisé. Le trouble anxieux généralisé est la comorbidité la plus fréquemment retrouvée chez des patients ayant des acouphènes associés à une souffrance majeure et une difficulté d’adaptation.
Le trouble anxieux généralisé est défini par une anxiété et des soucis excessifs (attente avec appréhension) survenant la plupart du temps et incontrôlables, associés à des modifications cognitivo-comportementales (irritabilité, agitation, difficultés de concentration, troubles du sommeil). Le GABA, neurotransmetteur inhibiteur essentiel au niveau cérébral, est impliqué dans la physiopathologie de l’anxiété. L’action anxiolytique des benzo-diazépines, utilisées dans le traitement pharmacologique de l’anxiété, est médiée par le système GABAergique. Une hyper-réactivité du système limbique a été mise en évidence à la fois chez les patients présentant des acouphènes et chez les patients présentant des troubles anxieux.
Le lien passerait par le locus ceruleus qui est impliqué à la fois dans les réactions anxieuses, mais qui est aussi la cible de neurones efférents issus du noyau cochléaire dorsal. Dès lors, la voie du locus ceruleus au noyau cochléaire dorsal pourrait être impliquée, via les structures limbiques, dans l’apparition et la modulation des acouphènes : une hyperactivité dans le noyau cochléaire dorsal pourrait contribuer, via une stimulation du locus ceruleus, à accroître l’anxiété chez les patients acouphéniques. Guitton a créé un modèle expérimental d’acouphènes chez le rat : les effets de cet acouphène induit par les salicylates ont été nettement augmentés lors de la création expérimentale d’un état anxieux chez ce même rat par la m-chlorophénylpipérazine, un agoniste du récepteur 5-hydroxy-trytophane 2c de la sérotonine.
Une large étude sur 14 178 personnes du registre américain de la santé a permis d’estimer que 20,3 % des patients ayant des acouphènes avaient un trouble anxieux généralisé versus 3,1 % dans la population générale. Cette prévalence de patients acouphéniques avec un trouble anxieux généralisé varie dans les autres études épidémiologiques de la littérature de 29 % à 49 %. En outre, une prévalence élevée de trouble anxieux généralisé est particulièrement retrouvée chez les patients ayant des acouphènes invalidants, notamment chez les patients ayant eu des arrêts de travail répétés(3). Il est ainsi recommandé, en particulier chez les patients ayant des acouphènes sévères, une prise en charge spécifique du trouble anxieux généralisé(9).
Une question essentielle est de savoir si le trouble anxieux généralisé précédait l’apparition de l’acouphène ou a été induit par lui. Salviati et coll.(10) ont exploré l’approche psychiatrique sur une série de 240 patients présentant des acouphènes et ayant consulté en milieu hospitalier : pour 48 % des patients, le diagnostic d’une pathologie psychiatrique a pu être retenu. Les principaux diagnostics étaient trouble anxieux généralisé (17 % des patients), trouble anxieux non spécifique (20 %), trouble adaptatif (12 %), dysthymie (10 %), dépression (7 %), trouble obsessionnel-compulsif (6 %), trouble bipolaire (0,8 %). Les deux tiers des patients avaient eu un événement qualifié de stressant durant les six mois précédant d’apparition de l’acouphène. Enfin, 52 % des patients avaient des troubles psychiatriques avant l’apparition de l’acouphène dont 44 % avaient déjà bénéficié d’un traitement psychotrope. Parmi les patients ayant un trouble anxieux ou dépressif, moins de 10 % avaient des acouphènes avant l’apparition de leur plainte et la consultation ORL. Et pourtant, lorsqu’on demandait aux patients quelle était l’origine de leurs problèmes mentaux, une majorité a indiqué que ceux-ci étaient secondaires à l’apparition de l’acouphène, contredisant leurs affirmations antérieures selon lesquelles le trouble mental avait précédé l’acouphène. Ces éléments suggèrent qu’il existe une vulnérabilité mentale préexistante prédisposant un patient à l’expression d’une plainte d’acouphènes sévère et/ou invalidante.
Pour en savoir plus
Canlon B et al. Associations between stress and hearing problems in humans. Hear Res 2013 ; 295 : 9-15
Ciminelli P et al. Tinnitus : the sound of stress? Clin Pract Epidemiol Ment Health 2018 ; 14 : 264-9.
Elarbed A et al. Tinnitus and stress in adults : a scoping review. Int J Audiol 2021 ; 60 : 171-82.
Mazurek B et al. Association between stress and tinnitus : new aspects. Otol Neurotol 2019 ; 40 : e467-e473.
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