Publié le 08 juin 2022Lecture 14 min
Des allergènes et des allergies rares et insolites – Partie III
Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse
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LES ALLERGIES INDUITES PAR LE BAISER : DU GOOD NIGHT KISS ET DU PASSONNIATE KISSING AU KISS OF DEATH !
Le premier cas de syndrome d’allergie induite par le baiser (SAIB) est attribué Wüthrich en 1997(1),mais cette variété d’allergie par procuration a été décrite pour la première fois en 1964 par Thérond(2). Il s’agissait d’une allergie de contact au mercurochrome faisant suite à un baiser donné par un grand-père (qui venait de se badigeonner la gorge avec un collutoire au mercurochrome) à son petit-fils (qui avait une allergie au mercurochrome)(2).
Wüthrich a cependant décrit le premier cas de ce syndrome associé à une médiation par les IgE sous le titre de « Oral allergy syndrome to apple after a lover’s kiss ».
Il s’agissait d’une jeune femme de 24 ans atteinte de pollinose aux arbres et aux graminées depuis l’âge de 12 ans et d’un syndrome d’allergie orale (SAO) aux fruits et légumes crus (pomme, carotte, céleri et noisette). Quelques semaines avant de consulter, elle avait développé un œdème labial et un prurit buccal après avoir embrassé son ami qui venait de consommer une pomme(1).
Quelques années plus tard, Wüthrich et coll.(3) rapportaient un autre cas très spectaculaire impliquant l’arachide. Il s’agissait d’un médecin de 30 ans, atteint d’allergie connue à l’arachide, qui développa un angio-œdème des lèvres et un prurit buccal quelques minutes après le baiser amoureux de sa compagne qui venait de le rejoindre. Celle-ci avait consommé des cacahuètes 2 heures plus tôt, et, connaissant l’allergie de son compagnon, elle s’était brossé vigoureusement les dents, rincé la bouche et avait mâché du chewing-gum, mais cela n’avait pas suffi !
Par la suite, plusieurs autres cas ou séries ont été publiés(4), mais leur fréquence est probablement sous-évaluée, estimée de 1 à 10 p. 100 dans des populations d’individus suspects d’allergie alimentaire ou réellement atteints de cette affection(in 4).
Les symptômes du SAIB sont le plus souvent (70 % des cas) locaux ou régionaux, légers à modérés dans 70 % des cas. Toutefois, ils sont parfois graves à type d’angio-œdème, de bronchospasme, de détresse respiratoire aiguë ou d’anaphylaxie(5-7).
À l’aide de 17 observations d’allergies aux fruits à coque, Hallet et coll.(8) ont analysé les principales caractéristiques de SAIB. Les baisers sont donnés sur les lèvres le plus souvent (9 fois), mais aussi les joues (5 fois), les lèvres et le cou (2 fois), le visage (1 fois), les lèvres et les yeux (1 fois), le visage et le cou (1 fois). Le baiser est donné par la mère (4 fois), le père (1 fois), le fils (1 fois), la fille (1 fois), un fiancé (7 fois), un partenaire (2 fois), le mari (7 fois), ou l’épouse (1 fois). Vingt-cinq aliments étaient en cause : arachide (11 fois), noisette (4 fois), pistache (2 fois), amande (1 fois), pois (1 fois), noix du Brésil (2 fois), noix de pécan (2 fois), noix de Macadamia (1 fois)(8).
En dehors de l’arachide et des fruits à coque, on retrouve dans la littérature d’autres aliments : pomme, kiwi, poisson, crevette, lait de vache, antibiotique (ampicilline)(in 4).
La physiopathologie fait intervenir une régénération aberrante des fibres du nerf auriculo-temporal lésé par un traumatisme ou une infection, donnant lieu à la formation préférentielle de fibres sympathiques, expliquant une stimulation des glandes sudoripares et des vaisseaux sous-cutanés à la suite de l’ingestion d’aliments ou de boissons(9,10). La régénération aberrante du tissu composant les fibres nerveuses du nerf auriculo-temporal sectionné est à l’origine de l’ensemble des symptômes survenant lors de ces syndromes : érythème (flushs gustatifs unilatéraux), sudation (syndrome de Frey), larmes (syndrome des lames de crocodile ou syndrome de Bogorad)(9,10).
En pratique, il faut systématiquement rechercher un SAIB chez les patients allergiques aux pollens et atteints d’un SAO aux fruits et aux légumes, chez ceux qui ont une AA sévère à seuil réactogène faible, quel que soit l’allergène, et aussi au cours des anaphylaxies dites idiopathiques. Le diagnostic est clinique, reposant sur un interrogatoire soigneux : les symptômes apparaissent quelques minutes après le baiser. Le temps entre la consommation de l’allergène et le baiser est très variable, de quelques minutes à plus de 2 heures, durée de persistance des allergènes dans la salive. Tous les âges sont concernés par le SAIB. Selon les circonstances du baiser, on distingue le SAIB par baiser d’amour (lover’s kiss), par baiser affectueux (good night kiss) et celui qui peut menacer le pronostic vital (kiss of death). L’information des patients atteints d’AA à seuil réactogène bas est capitale. Dans les formes graves, chez l’enfant, il faut organiser un projet d’accueil individualisé en milieu scolaire, et, à tout âge, préconiser l’emploi d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline.
Références
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Thérond C, Dutau G. Le premier cas d’allergie par procuration induite par le baiser date de 1964. Rev Fr Allergol Immiunol Clin 2007 ; 47(1) : 35-6.
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SYNDROME DES FLUSHS GUSTATIFS UNILATÉRAUX
La description du syndrome auriculo-temporal (figure 1) est attribuée à Lucje Frey, née en 1889 à Lwow (Pologne) et morte en 1943 dans le ghetto de cette ville sous l’occupation nazie(1,2). La première, elle décrivit le « syndrome des sueurs gustatives » chez un soldat polonais qui avait été blessé par un boulet ayant entraîné une infection parotidienne(2). Ce syndrome survient dans 5,3 à 53 % après une chirurgie parotidienne, ainsi que d’autres atteintes des glandes parotidiennes ou sous-maxillaires, chirurgicales ou traumatiques (fractures de la mâchoire ou de l’articulation temporo-maxillaire), inflammatoires et infectieuses (adénites, parotidites). Les symptômes apparaissent en général au bout de plusieurs mois, temps nécessaire à la régénération nerveuse, mais ce délai peut être beaucoup plus long. Les symptômes sont alors souvent mineurs ou négligés par les patients.
Figure 1. Syndrome auriculo-temporal : flush gustatif en bande apparu quelques minutes après le repas, totalement indolore, sans symptôme associé : surtout ne pas confondre avec une allergie alimentaire et ne pas proposer des régimes d’éviction ou des examens paracliniques inutiles ! (coll. G. Dutau).
Le syndrome des flushs gustatifs débute parfois dans la petite enfance. Une recherche sur Pub-Med et des recherches annexes nous ont permis de recenser plus d’une trentaine de cas entre 1970 et 2006(3). Il s’agit le plus souvent de cas isolés, mais il existe aussi des séries de 3 à 8 cas. Récemment, après avoir soutenu une thèse de médecine, Sybille Blanc(4) a publié une étude française, rétrospective, multicentrique, qui a permis d’identifier 48 cas de syndrome de Frey, 35 unilatéraux et 13 bilatéraux. Une délivrance vaginale artificielle (application de ventouse ou de forceps) est significativement associée aux formes unilatérales (p < 0,001) (figure 2).
Figure 2. Chez ce nourrisson, une application de ventouse à la naissance est responsable de la lésion nerveuse (coll. G. Dutau).
L’évolution est le plus souvent favorable avec régression (57 %) ou disparition des symptômes (20 %) alors que les symptômes initiaux ne persistent que dans 23 % des cas(4). Cette évolution favorable est le plus souvent observée dans les formes unilatérales (p = 0,016).
Les symptômes débutent au cours des premiers mois de la vie, entre 3 et 6 mois au moment de l’introduction des aliments solides. Les symptômes sont associés aux efforts masticatoires et aux stimuli digestifs. Le flush débute dès les premières bouchées, puis disparaît peu après la fin du repas. Les douleurs sont exceptionnelles(5,6). La chaleur locale est souvent augmentée. La présence de sueurs locales est en faveur d’un syndrome de Frey stricto sensu ; leur absence est typique du « flush gustatif unilatéral ». Dans les observations où l’évolution est connue, les symptômes persistent entre 1 et 2 ans, puis ils ont tendance à diminuer, puis pratiquement à disparaître.
Dans la majorité des cas, la survenue de symptômes au moment des repas ou l’absorption de boissons fait penser à une allergie alimentaire (AA), affection fréquente chez l’enfant. En dehors de l’ingestion d’aliments solides sans autre précision(7-11), les auteurs signalent que les symptômes font suite à la consommation d’aliments particuliers : tomates et fraises ; bonbons, tomates et épices ; chewing-gums, arômes acides (citron et fraise) et noix ; fruits (orange, banane, citron), bonbons, pain et pomme, orange et melon ; jus d’orange, tomates, oignons, bonbons(7-11). Incriminés à tort en tant qu’allergènes potentiels, ces aliments constituent en fait des stimuli par leur goût acide ou l’effort masticatoire qu’ils nécessitent.
Le diagnostic est clinique, évoqué devant le contraste entre la rapidité d’apparition des symptômes après la prise des aliments et leur absence de gravité comme c’est souvent le cas au cours des AA. En effet, l’installation rapide des symptômes d’AA est associée à des symptômes sévères, de progression rapide, ce qui n’est pas le cas dans ce syndrome.
Le diagnostic est basé sur l’interrogatoire et l’examen clinique. L’exploration allergologique est inutile, sauf dans les rares formes bilatérales(12). Quelques auteurs ont proposé de réaliser un test de provocation basé sur la mastication d’un aliment quelconque ou d’un chewing-gum, ou sur la prise d’un bonbon acidulé.
Le syndrome des flushs gustatifs unilatéraux de l’enfant a longtemps été considéré comme idiopathique, exception faite des rares cas secondaires à une chirurgie parotidienne ou maxillo-faciale, à une fracture de la mâchoire, mais l’analyse de la littérature montre une forte proportion d’accouchements difficiles nécessitant en particulier une application de forceps comme pour notre patient. Dans la série de 8 cas rapportés par Dizon et coll.(13), 6 sur 8 (75 %) avaient eu une application de forceps, et les auteurs estimaient que cela avait été le cas pour au moins 14 enfants sur 28 qu’ils avaient recensé dans la littérature. Pour notre part, nous avons enregistré une application de forceps dans 19 des 33 cas (58 %) où cet antécédent a été recherché, y compris dans les observations que nous avons personnellement vues. Cette notion a été confirmée par Blanc et coll.(4).
Références
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Blanc S et al. Frey syndrome. J Pediatr 2016 ; 174 : 211-7
Claros P et al. Sindrome de Frey en el niño. Otorinolaringol Esp 1993 ; 44(5) : 385-6.
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Dizon MV et al. Localized facial flushing in infancy. Auriculotemporal nerve (Frey) syndrome. Arch Derma- tol 1997 ; 133(9) : 1143-5.
ALLERGIE AU LIQUIDE SÉMINAL
Le premier cas d’allergie au liquide séminal humain (ALSH) a été publié en 1967 par BN Halpern et coll.(1). Apparus chez une femme de 29 ans, atopique, les symptômes de cette allergie étaient survenus dès son premier rapport sexuel, après son mariage. Il s’agissait d’une anaphylaxie intense avec urticaire généralisée, broncho-spasme, douleurs abdominales, contractions utérines, et perte de connaissance(1).
L’ALSH est rare(2) puisque, en 2008, le nombre de cas publiés était estimé à 8 dans la littérature de langue anglo-saxonne, et, à ce jour, il ne doit guère dépasser la centaine. Mais cette affection doit être connue d’autant que, selon une estimation de Sublett et Bernstein(3), auteurs d’une mise à jour sur cette question, le nombre de cas estimé aux États-Unis serait de 40 000 ! Cette différence est liée au caractère intime de ces symptômes dont les personnes atteintes ne font pas état.
Les symptômes de l’ALSH vont du prurit local jusqu’aux symptômes systémiques : urticaire, asthme, anaphylaxie aiguë(1,4-6). Nist et coll.(6) ont rapporté le cas d'une jeune femme de 23 ans qui développa trois épisodes d’anaphylaxie avec angio-œdème, urticaire, bronchospasme et fatigue avant que le diagnostic ne soit évoqué ! Dans 40 % des cas, cette allergie survient dès le premier rapport sexuel(5), soit pendant, soit immédiatement après celui-ci(in 2). Les symptômes s’aggravent avec le temps(5). Le diagnostic, évoqué par l’anamnèse, après avoir éliminé une allergie au latex, aux spermicides, et un syndrome de « rhinite et d’asthme post-coïtaux », est porté devant la positivité du PT et celle du dosage des IgEs contre le liquide séminal (Rast o70).
Des questions restent posées :
I) Est-ce que l’ALSH survient avec un partenaire particulier ou avec plus d’un partenaire ? ;
II) Quels sont le (ou les) antigène(s) responsable(s) ?
Pour la première question, les deux situations ont été rapportées(in 2), mais, le plus souvent, cette information manque pour des raisons faciles à comprendre(5).
Les antigènes sont des protéines de PM allant de 12 à 75kDa qui ont été isolées dans le liquide séminal, provenant des vésicules séminales ou de la prostate. Des IgEs dirigées contre l’antigène prostatique ou PSA (PM 33kDa) ont été détectées dans le sérum d’une patiente(7). Par la technique du western blott, cette protéine isolée dans le liquide séminal du partenaire était inhibée après pré-absorption du sérum de la patiente avec le PSA pur(7).
Une hypothèse émise en 1967 par BN Halpern(1) était que l’ALSH pourrait être le résultat d’une sensibilisation préalable avec un antigène inconnu faisant l’objet d’une réaction croisée avec les protéines du liquide séminal, mais cette hypothèse n’avait pas été explorée. Cependant, Basagaña et coll.(2) viennent de montrer que, parmi 41 patients allergiques à l’épithélium de chien (dont une patiente ayant développé une anaphylaxie au liquide séminal), 24 % avaient des IgE capables de reconnaître une bande de 28 kDa présente dans le PSA. Cette étude suggère donc que l’épithélium de chien est un facteur de risque pour l’acquisition d’une ALSH, mais des études supplémentaires seront indispensables pour valider cette hypothèse.
Le traitement de l’ALSH est complexe(5). L’utilisation de médicaments à visée préventive (anti-histaminiques per os, hormones par voie intravaginale) est aléatoire.
La seule solution reste l’éviction de l’allergène qui peut être obtenue par coïtus interruptus (rarement acceptable) et surtout par l’utilisation de préservatifs, mais il faut avoir éliminé une allergie au latex dont l’association à une ALSH a été décrite(in 5). Dans ce cas, il faut utiliser des préservatifs sans latex. L’immunothérapie spécifique (ITS) est le traitement de choix, mais son efficacité est variable(5). L’ITS se fait par voie sous-cutanée avec le liquide séminal entier ou ses fractions, mais elle nécessite beaucoup de temps et des opérations de fractionnement pour isoler les protéines nécessaires. Une alternative est l’immunothérapie accélérée par voie intravaginale(5,7,8), mais ses résultats peuvent être aléatoires(7).
Une fois que la dose d’entretien est atteinte, l’obtention de la tolérance immunitaire fait recommander des rapports sexuels fréquents, tous les 2-3 jours(5,7). L’inobservance de cette mesure est une cause d’échec de l’ITS(8).
Ohman et coll.(9) ont rapporté l’observation d’une femme de 20 ans qui reçut une ITS avec une fraction isolée pour son haut pouvoir antigénique : une dose cumulée de 32 mg a été injectée par voie sous-cutanée en commençant par une dose de 0,05 à 10mg/ml, toutes les semaines. Au bout de 10 mois, on constata une amélioration clinique, les IgEs n’étaient plus mesurables, et les PT devenus négatifs.
Parmi les autres questions soulevées par l’ALSH figure la grossesse. Si celle-ci a été menée à bien avant l’apparition d’une ALSH ou même spontanément au cours d’une ALSH non traitée, elle peut survenir après l’immunothérapie ou, éventuellement, après induction par PMA (Procréation médicalement assistée), le plus souvent une insémination artificielle(in 5,9,10).
L’observation de Wolthers(10) suggère que l’ALSH pourrait disparaître avec le temps, mais cette éventualité est rare. Cet auteur a suivi pendant 5 ans une jeune fille initialement âgée de 18 ans qui avait des symptômes complets d’ALSH : urticaire généralisée, rhinite, conjonctivite, œdème orbitaire et labial, 6 à 8 heures après les rapports sexuels. Ces symptômes diminuèrent significativement au bout de 5 ans(10).
Dans tous les cas, l’ALSH pose des problèmes psychologiques à l’intérieur du couple, entraîne une grande anxiété, et est souvent à l’origine de séparations. Sachant la gravité potentielle de cette allergie, son aggravation possible avec le temps et la fréquence des réactions anaphylactiques, le médecin doit rédiger un plan d’action précis qui comporte l’utilisation d’adrénaline IM par stylo auto-injecteur. S’il semble qu’une amélioration spontanée soit possible, elle est cependant exceptionnelle et, à notre connaissance, et il ne faut pas y compter.
Références
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