Publié le 20 sep 2023Lecture 9 min
Prévention de l’allergie alimentaire : pour qui et pourquoi ? Les recommandations actuelles
François LAVAUD, Reims
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DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Les études épidémiologiques internationales montrent que l’allergie alimentaire du jeune enfant a une prévalence élevée, que ce soit aux États-Unis avec un taux de 7,6 %, ou en France avec les données de l’étude ELFE qui objectivent un taux de 6 % chez l’enfant de moins de 5 ans. Dans cette dernière étude, plus de 20 % des enfants étaient polyallergiques. Le réseau d’allergovigilance (RAV) a rassemblé entre 2002 et 2021 plus de 1 200 cas d’anaphylaxie chez l’enfant dont 90 % étaient d’origine alimentaire. Chez l’enfant de moins de 4 ans, 392 cas d’anaphylaxie ont été répertoriés avec prédominance de l’arachide et des fruits à coque. On note comme facteur de risque le terrain atopique, mais il n’est pas indispensable même si sans allergie familiale le risque est estimé à 15-20 % alors que si les deux parents présentent les mêmes symptômes allergiques le risque atopique monte à 70-80 %. Cependant, les mesures de prévention doivent concerner tous les nourrissons.
QUAND PRÉVENIR ?
La prévention primaire consiste à éviter l’apparition de sensibilisations respiratoires et/ou alimentaires.
Avant la conception
On arrive à une impasse éthique et scientifique même si on connaît les mutations ou les polymorphismes des gènes maternels ou paternels qui peuvent être en cause, gènes initiateurs de la réponse IgE, gènes de la filaggrine, gènes de métabolisme de la vitamine D... et si on peut facilement cerner les antécédents familiaux d’atopie.
De la conception à la naissance
On peut essayer d’influencer l’expression du risque génétique (épigénétique) en agissant sur l’environnement, l’exposition aux allergènes, la nutrition, l’exposition aux infections, facteurs qui régulent l’expression des gènes via une méthylation ou une acétylation des histones.
L’exposition maternelle aux allergènes alimentaires et respiratoires peut entraîner leur passage transplacentaire. Des IgE spécifiques sont produites dès la 20e semaine par l’embryon et sont retrouvées dans le sang du cordon. Parallèlement, il existe des IgG maternelles qui passent la barrière placentaire dans le 3e trimestre de grossesse. Ainsi, des pistes de prévention ont été envisagées chez la future mère : administration d’IgG spécifiques (immunothérapie passive), immunothérapie spécifique d’allergènes (immunothérapie active), administration de biothérapies anti-IgE (un registre de femmes enceintes traitées par omalizumab pour asthme sévère est ouvert).
• Exposition aux agents micro-biens
L’étude Pasture a montré que les enfants nés et vivant à la ferme au contact des agents microbiens d’origine animale développaient moins d’allergies. C’est l’hypothèse hygiéniste qui est confortée par des modifications épigénétiques du sang du cordon de nouveau-nés de mères vivant à la ferme en environnement rural traditionnel.
• Tabagisme
Des liens sont montrés entre tabagisme maternel, asthme et allergies de l’enfant. Dans le sang du cordon, on note un déséquilibre de la balance Th1/Th2 du nouveau-né avec réponse aux allergènes de type Th2 et une diminution des populations Tregs. Le tabagisme est également lié à une augmentation du risque de dermatite ato- pique et des sensibilisations respiratoires et alimentaires de l’enfant (étude MAS).
• Pollution atmosphérique
Il existe une relation positive avec le risque d’asthme et d’allergies chez le nouveau-né. La pollution intérieure et extérieure entraîne des modifications de l’IL-4, de l’IL-5 et des Tregs dans le sang du cordon avec augmentation des sensibilisations alimentaires à l’âge de 1 an lors d’exposition aux COV.
• Médicaments
On discute le rôle des folates et du paracétamol sur le risque allergique et d’asthme de l’enfant.
• Nutrition maternelle
De nombreuses pistes prometteuses existent, mais sans aucune certitude :
– rôle protecteur de la consommation de lait et de beurre fermiers ;
– supplémentation en acides gras polyinsaturés oméga-3 (huiles de poisson) ;
– supplémentation en vitamine D ;
– régimes riches en fruits et légumes, riches en prébiotiques (régimes méditerranéens) ;
– la supplémentation en probiotiques a fait l’objet d’une étude Cochrane portant sur 29 études randomisées. Les résultats sont négatifs avec absence de modification immunitaire du sang du cordon, une légère diminution de l’incidence de la dermatite atopique, une absence de modification des sensibilisations, pas d’effet préventif sur l’asthme et les allergies. Les résultats sont identiques pour la supplémentation chez la mère allaitante.
Par ailleurs, aucun régime restrictif n’a prouvé son efficacité (recommandation de l’European Academy of Allergy and Clinical Immunology 2021).
De la naissance à la diversification alimentaire
On peut réduire le risque allergique global en assurant un environnement respiratoire sain sans tabac et en limitant l’exposition aux polluants. Le microbiote intestinal joue un rôle important sur la bascule eubiose/dysbiose. L’accouchement par voie basse versus césarienne a un léger effet préventif sur les allergies alimentaires de l’enfant par contact avec la flore vaginale. À l’inverse, le rôle des antibiotiques et des inhibiteurs de la pompe à protons déséquilibre le microbiote de l’enfant.
Le microbiote se constitue progressivement pour atteindre une composition et une variété de type adulte à l’âge de 2 ans. Il existe une association dépendante de l’âge entre les anomalies du microbiote et la survenue ultérieure de sensibilisations alimentaires. La dysbiose causée par des changements précoces de composition du microbiote intestinal modifie la différenciation des lymphocytes T (ROR, Tregs).
• Rôle sensibilisant de la barrière cutanée
Il convient de réduire au maximum les sensibilisations par voie cutanée. En effet, la dermatite atopique surtout modérée à sévère d’apparition précoce (avant 3 mois) est le principal facteur de risque d’allergie alimentaire chez le jeune enfant (risque de 30 à 50 %). Il existe également des mutations prédisposant à des formes sévères de dermatite atopique avec apparition de sensibilisations et allergies alimentaires chez l’enfant plus grand. Ce sont les gènes de la filaggrine, de SPINK5 et de la cornéo-desmosine.
Par ailleurs, on note une corrélation positive entre la quantité d’arachide présente dans l’environnement et l’apparition d’une allergie alimentaire sévère à l’arachide chez l’enfant, d’autant plus s’il existe une mutation du gène de la filaggrine.
À ce niveau, trois types d’actions préventives peuvent être envisagés :
– agir très tôt sur la barrière cutanée via les émollients et diminuer les agressions. Mais l’utilisation des émollients en préventif est contestée par une méta-analyse Cochrane récente. Cependant, la nature des émollients choisis est déterminante avec une plus grande efficacité d’une crème tri-lipidique composée de céramides, d’acide linoléique et de cholestérol (Epiceram®) ;
– traiter activement la dermatite atopique, et d’autant plus, si elle est sévère et s’il existe une colonisation par staphylocoques. S. aureus est impliqué dans le développement et la gravité des maladies atopiques. Les enfants atteints d’une dermatite atopique sévère et/ou allergiques à l’œuf et ayant une colonisation cutanée par S. aureus ont des valeurs d’IgE spécifiques pour l’arachide et le blanc d’œuf plus élevées par rapport à des enfants non colonisés ;
– limiter autant que possible la présence d’allergènes alimentaires dans l’environnement du nourrisson. Plusieurs pistes sont envisagées, comme modifier les habitudes alimentaires de la famille et notamment la consommation d’arachide et de fruits à coque. Mais l’application en est difficile du fait de la mondialisation de l’industrie agro-alimentaire. On préconise plus volontiers le lavage des mains en cas de consommation ou de cuisine de fruits à coque et d’arachide avant de toucher le bébé.
Il faut également y associer l’éviction d’allergènes potentiels sur la peau véhiculés par les cosmétiques à base de protéines alimentaires. Sont concernés l’huile d’amande douce, l’huile de coco, l’aloe vera, le beurre de karité, le beurre de mangue, etc.
COMMENT INDUIRE UNE TOLÉRANCE DIGESTIVE ?
Ne seront pas abordés ici le mode d’allaitement et le type de lait artificiel.
Place des compléments alimentaires
La prise d’oméga-3 a un intérêt non clairement démontré.
L’administration de vitamine D joue un rôle incertain dans la prévention de l’allergie alimentaire.
Les prébiotiques semblent diminuer le risque d’eczéma chez le nourrisson, mais n’ont pas d’influence sur le développement d’une allergie alimentaire.
Pour les probiotiques, une méta- analyse en 2015 ne leur confère qu’une faible action sur la réduction de la dermatite atopique.
Ainsi, en 2022, il n’existe pas de recommandations officielles pour l’administration préventive de pré- et de probiotiques. Ils joueraient sûrement un rôle dans la prévention de l’eczéma et peut-être dans les mécanismes de régulation de la tolérance.
Place de la diversification alimentaire
Elle se fait entre 4 et 6 mois et elle doit être la plus variée possible dont l’œuf, l’arachide et les fruits à coque. Une diversification large s’accompagne d’une diminution de la prévalence de l’eczéma à l’âge de 1 an (étude Pasture sur plus de 1 000 nourrissons). La même étude montre que la consommation de fromages entre 12 et 18 mois entraînait la diminution de la prévalence de l’eczéma et de l’allergie alimentaire à l’âge de 6 ans. Pour l’œuf, son introduction précoce entre 4 et 6 mois diminue le risque allergique pour cet aliment. Les résultats sont plus probants avec l’œuf cuit donné nature ou sous forme de biscuits. L’étude PETIT confirme ces résultats en comparant 2 groupes d’enfants atteints de dermatite atopique, l’un recevant de l’œuf entre 6 et 12 mois versus de la courge et évalués par test de provocation orale à l’œuf à l’âge de 12 mois.
Pour l’arachide, les études Leap et Leap On montrent également que l’introduction alimentaire précoce entre 4 et 11 mois réduisait le risque de sensibilisation à cet aliment versus un groupe ou l’éviction était assurée pendant la même période. Plus variée, la EAT Study portait sur plus de 1 300 nourrissons où lait de vache, œuf de poule, sésame, poisson blanc, arachide et blé étaient introduits dès l’âge de 3 mois versus un groupe placebo. À l’âge de 6 mois, s’il n’y avait pas de différence significative sur la prévalence globale des sensibilisations alimentaires, l’étude montrait une absence de sensibilisation à l’arachide dans le groupe ayant reçu une diversification précoce versus 2,5 % dans le groupe contrôle.
Le point commun de ces études se fait sur la quantité d’allergènes nécessaire pour obtenir une tolérance. Elle est évaluée à 2 grammes de protéines par semaine et par allergène.
Recommandations des sociétés savantes
Pas de compléments de lait en maternité si l’allaitement maternel est désiré.
Introduction des aliments solides à partir de 4 à 6 mois chez tous les nourrissons, mais pas de recommandation de diversification large avec plusieurs groupes d’aliments en dehors de l’Australie.
Les modalités de l’introduction de l’arachide et de l’œuf dans les populations à haut risque sont variables. Aux États-Unis et au Canada, on préconise une évaluation allergologique préalable à l’introduction (tests cutanés, IgE spécifiques). En Grande-Bretagne et en Australie, un bilan préalable n’est pas recommandé même chez le tout petit nourrisson très atopique considérant qu’il y a une perte de chance en retardant l’introduction de l’œuf et de l’arachide. Et ceci en raison de risque de délai trop long pour une évaluation allergologique. En Europe, l’EAACI conseille l’introduction de l’œuf cuit entre 4 et 6 mois, de l’arachide entre 4 et 11 mois selon les habitudes de consommation familiale et la prévalence locale de l’allergie. Le risque de réaction allergique à la consommation est jugé comme faible dans cette population, les accidents à l’introduction ayant été limités jusqu’à présent.
Absence de recommandation pour l’introduction des fruits à coque.
Absence de conseils au niveau cutané.
D’après une communication de Dominique Sabouraud (CHU de Reims)
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