publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Allergologie

Publié le 31 oct 2023Lecture 9 min

Désordres mastocytaires : conséquences pratiques en allergologie

François LAVAUD, Reims

Les patients porteurs d’un désordre mastocytaire auront deux types de symptômes, des symptômes chroniques pas très intenses multi-systémiques, ou des symptômes aigus avec des manifestations anaphylactiques.

SAMA CLONAL ET MASTOCYTOSE   Des symptômes chroniques et aigus Les patients porteurs d’un désordre mastocytaire auront deux types de symptômes, des symptômes chroniques pas très intenses multi-systémiques, ou des symptômes aigus avec des manifestations anaphylactiques. Les symptômes anaphylactiques et les symptômes très intenses se rencontrent surtout dans les mastocytoses indolentes et il y a une relation inversement proportionnelle entre l’agressivité de la maladie mastocytaire et les symptômes justifiant une consultation en allergologie. De fait, les patients vus en allergologie seront plutôt porteurs de mastocytose indolente. Les symptômes chroniques sont multiples, cutanés : flush, prurit, urticaire et angio-œdème ; respiratoires : rhinite, wheezing, œdème pharyngé ; neurologiques : céphalées ; cardiovasculaires : hypotension ; digestifs : diarrhée. Des facteurs favorisent l’activation du mastocyte et l’expression de ces symptômes. Ce sont des facteurs physiques comme les changements de température, la pression cutanée, des facteurs émotionnels (fatigue, anxiété), la prise de certains médicaments (aspirine, AINS, antitussifs, myorelaxants, anesthésiques locaux, PCI, alpha-adrénergiques, bêtabloquants, antagonistes des récepteurs cholinergiques interféron alpha, dextran), les venins d’hyménoptères et de serpents, l’alcool. La relation entre mastocytose et anaphylaxie est bien connue et l’incidence de l’anaphylaxie chez des adultes porteurs d’une mastocytose est de 20 à 49 % selon les études. Elle est plus importante chez l’adulte que chez l’enfant (49 % vs 9 % ; p < 0,01) et 5 % des patients qui ont présenté une réaction anaphylactique de grade IV ont une mutation du c-kit quel que soit le niveau de la tryptase basale. Si on considère les lésions cutanées de la mastocytose, chez l’adulte l’anaphylaxie est plus fréquente en cas de mastocytose systémique (56 % vs mastocytose cutanée 13 %) et la survenue d’une anaphylaxie est corrélée à l’absence de lésions cutanées pigmentées. Chez l’enfant l’anaphylaxie est observée uniquement en cas d’atteinte cutanée extensive. L’analyse des facteurs déclenchants et des symptômes montrent que 48 % des réactions sont sévères avec 38 % de malaises avec perte de connaissance. Les venins d’hyménoptères sont les principaux facteurs déclenchants (19 %) suivis par l’anaphylaxie idiopathique, puis les aliments (16 %) et les médicaments (9 %). On insiste sur la combinaison facteur déclenchant et cofacteur qui est retrouvée dans 26 % des cas.   Types d’anaphylaxie en cause Le venin d’hyménoptères est le principal trigger d’anaphylaxie dans la mastocytose systémique avec une présentation clinique particulière : peu ou pas de symptômes cutanés, anaphylaxie de grade IV de Muller avec hypotension et perte de connaissance. Ainsi dans les anaphylaxies aux venins d‘hyménoptères de grade IV on objective 21,3 % de désordres mastocytaires par rapport à 3,1 % dans les grades I à III. En conséquence chez des patients admis pour symptômes cardiovasculaires et syncope avec peu ou pas de symptômes cutanés la recherche d’un désordre mastocytaire, SAMA ou mastocytose, est recommandée. L’anaphylaxie aux venins d’hyménoptères constitue un symptôme d’alerte signant l’entrée dans la maladie dans 50 % des cas. Par ailleurs 18 % des patients avec anaphylaxie aux venins d’hyménoptères de grade IV et une tryptase de base normale ont une mutation du c-kit et 82,3 % des patients avec association anaphylaxie aux venins et désordre mastocytaire avec mutation du c-kit ont une tryptase de base normale. • En cas d’anaphylaxie aux venins d’hyménoptères chez des pa tients porteurs d’une mastocytose le bilan allergologique est identique au patient « standard », le cut-off du dosage des IgE spécifiques pour les venins étant de 0,1 kUAL ce qui en augmente la sensibilité. L’immunothérapie allergénique (ITA) est poursuivie à vie car il y a un risque important de récidive à l’arrêt du traitement. Les doses de venin reçues sont les doses habituelles préconisées pour tout patient. Des prémédications sont à envisager : antihistaminiques de type 1 +/- omalizumab en cas de réaction systémique malgré adaptation du protocole dITA. Une trousse d’urgence avec stylo auto-injecteur d’adrénaline est maintenue même chez le patient sous ITA. • Pour les anaphylaxies liées aux médicaments, les données de la littérature restent pauvres. Les principaux médicaments responsables de réactions systémiques sévères, voire léthales dans les désordres mastocytaires sont les AINS, les drogues anesthésiques et les PCI. En période péri-opératoire on retrouve une incidence plus élevée d’anaphylaxie par rapport à la population générale (0,4 % vs 1/10 000 à 1/20 000 anesthésies). Les facteurs de risque d’anaphylaxie péri-opératoire sont : la population adulte, des antécédents de réaction anaphylactique médicamenteuse, une chirurgie lourde, une anesthésie générale versus une anesthésie loco régionale ou locale. Cependant il n’y a pas de prédisposition liée à une atteinte cutanée. Les tests cutanés prédictifs ne sont pas conseillés et il est proposé de privilégier les drogues anesthésiques les moins histaminolibératrices et celles qui sont connues comme bien tolérées par le patient. On essaiera également de contrôler les facteurs de risque de dégranulation mastocytaire en évitant les triggers physiques comme les changements brutaux de température et les solutés froids et en diminuant l’anxiété par prémédication anxiolytique. • Pour les vaccinations, il est admis que la mastocytose n’est pas une contre-indication en respectant le calendrier vaccinal et, en particulier, il n’existe pas de contre-indication aux vaccins à ARN dont celle pour le Covid. Des précautions sont de mise pour les vaccins vivants (BCG, polio buccal, rougeole, rubéole, oreillons, fièvre jaune, encéphalite japonaise) qui sont contre-indiqués en cas de traitement par cladribine. Un avis infectiologue reste justifié. • La tolérance des PCI dans la mastocytose a fait l’objet de nombreux cas cliniques mais il y a peu d’études réelles de cohorte. La prévalence de l’anaphylaxie aux PCI dans une population de patients avec mastocytose est de 2,5 % avec des réactions plus rares dans la mastocytose indolente. • En cas d’anaphylaxie alimentaire les réactions sont moins sévères que dans les anaphylaxies aux venins, en général de grade II de Muller. Il existe un trigger alimentaire dans 6 à 24 % des cas d’anaphylaxies dans la mastocytose systémique selon les études et le sous-type de mastocytose, les mastocytoses agressives étant plus en cause que les mastocytoses indolentes. • L’anaphylaxie idiopathique a une prévalence en population générale mal évaluée du fait de sa rareté, autour de 5 %. Elle concerne 31 % des patients avec mastocytose systémique et 49 % des patients avec mastocytose systémique indolente. Il est donc important de rechercher une pathologie mastocytaire clonale (mutation c-kit) dans les anaphylaxies idiopathiques.   HYPER-ALPHATRYPTASÉMIE (HAT)   Symptomatologie • Le spectre des symptômes est très variable, la constante retrouvée chez tous les patients étant une tryptasémie basale supérieure à 8 mg/mL. Les symptômes peuvent être aigus, de type anaphylactique essentiellement liés aux venins d’hyménoptères ou idiopathique, peut-être d’origine alimentaire. Les symptômes chroniques sont surtout cutanés avec flush, angio-œdème, urticaire notamment vibratoire, ou des symptômes en rapport avec des intolérances alimentaires, plus rarement asthme, bronchospasme, rhinite. D’autres symptômes sont décrits, liés à une anomalie du tissu conjonctif hyperlaxité ligamentaire, persistance de la dentition primaire), ou des signes digestifs, (dyspepsie, odynophagie, diarrhées, côlon irritable, syndrome de malabsorption, maladies digestives à éosinophiles), et des symptômes variés (dysautonomie, hypotension, tachycardie, syncopes, asthénie, douleurs chroniques, troubles de l’humeur, ostéoporose et ostéopénie précoce). Cependant, 33 % des patients sont asymptomatiques. • La relation génotype-phénotype montre que plus le taux de tryptase basale est élevé et plus les symptômes seront sévères. Ceci concerne essentiellement les signes cutanés tels que le flush, les symptômes digestifs, les douleurs chroniques et les dents persistantes. • Le risque accru d’ostéopénie/ ostéoporose s’explique par une augmentation et une modification de l’infiltrat mastocytaire dans la moelle osseuse (mastocytes atypiques) et par l’effet des traitements corticoïdes à répétition. • La relation entre anaphylaxie et HAT est incomplètement élucidée. Dans l’anaphylaxie aux venins, 20 % des patients ont une HAT en dehors de tout désordre mastocytaire. Il y a également une plus grande prévalence de l’anaphylaxie sévère dans la population HAT (57 % de grades IV vs 37 % dans la population générale). Dans l’anaphylaxie idiopathique, davantage de patients sont porteurs d’HAT, 17 % vs 5 % dans la population générale pour les grades IV. Une tryptasémie supérieure à 11,4 ng/mL et une anaphylaxie idiopathique sont associées dans 100 % des HAT. Pour l’anaphylaxie alimentaire chez l’enfant, une tryptasémie > 14,5 ng/mL a une valeur prédictive de 90 % pour une anaphylaxie alimentaire sévère et de 50 % pour une anaphylaxie alimentaire modérée, mais il n’existe pas d’étude se rapportant à l’HAT.   Association HAT et maladie mastocytaire L’HAT est un facteur prédisposant aux désordres mastocytaires avec augmentation de l’infiltrat mastocytaire dans la moelle osseuse. Par ailleurs, l’HAT modifie le phénotype des désordres mastocytaires. Il y a augmentation de la prévalence de l’HAT dans une population de patients porteurs de mastocytose (5 % d’HAT dans une population générale vs 15 à 20 % en cas de mastocytose) et surtout les formes indolentes. En cas d’association HAT-mastocytose, on constate parallèlement au niveau de tryptase une plus grande fréquence des symptômes de dégranulation mastocytaire et une plus grande fréquence d’anaphylaxies sévères (35 % vs 11 % pour une mastocytose isolée). Ceci pose la question d’une adaptation du suivi des patients atteints de mastocytose et porteurs d’HAT. Le fait d’être porteur d’une HAT modifie le critère mineur de diagnostic d’une mastocytose au niveau du seuil d’alerte de la tryptase basale. Celle-ci étant déjà augmentée du fait de l’HAT, la formule retenue dans les recommandations est de diviser la valeur de la tryptase basale par 1 + le nombre de copies surnuméraires du gène TPSAB1. Par ailleurs, les relations HAT et SAMA sont incomplètement élucidées. L’HAT serait un trigger partiel d’activation mastocytaire et donc un inducteur incomplet favorisant le développement des SAMA.   Quand évoquer le diagnostic chez l’allergologue ? Hors bilan de désordre mastocytaire chronique, il faut évoquer une HAT chez les patients susceptibles de consulter en allergologie porteurs de symptômes évocateurs associés à une tryptase basale ≥ 8 ng/mL. Si le diagnostic est positif, on peut s’interroger sur l’intérêt de rechercher un SAMA ou une mastocytose de façon systématique. En fait les recommandations actuelles sont de réaliser une biopsie ostéomédullaire uniquement s’il existe des signaux très suggestifs de maladie clonale (lymphadénopathies, hépatos-plénomégalie, anomalies de la formule sanguine, infiltration tissulaire à éosinophiles et/ou inflammation, anaphylaxie, urticaire pigmentée et signe de Darier, ostéoporose précoce ou fracture pathologique, valeur de tryptase basale discordante avec le nombre de copies du gène TSAB1). Ces patients sont alors de principe orientés vers l’interniste. Autre contexte évocateur, des patients porteurs de symptômes évocateurs avec tryptase basale ≤ 6 ng/mL et histoire familiale reconnue, ou des patients victimes d’une anaphylaxie sévère aux venins d’hyménoptères avec tryptase basale ≥ 8 ng/mL.   Traitement La conduite à tenir est la même que pour les désordres mastocytaires. Le traitement est symptomatique, ciblant l’activation du mastocyte, la production du médiateur tryptase, et les effets de la tryptase. La prise en charge de l’anaphylaxie est classique avec trousse d’urgence, stylos auto-injecteurs d’adrénaline, éviction de l’allergène, ITA pour les hyménoptères mais la dose d’entretien et la durée du traitement sont à préciser, et l’omalizumab qui réduirait la fréquence des anaphylaxies idiopathiques mais sans effet sur les symptômes digestifs, la douleur, la dysautonomie et les atteintes du tissu conjonctif. Les symptômes cutanés et digestifs bénéficient d’un traitement anti-H1/anti-H2 classique, l’acide cromoglycique est utilisé dans les symptômes digestifs sévères, et le kétotifène a également été proposé. L’aspirine a une action sur les flushs, on utilise également les antileucotriènes et les corticoïdes.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème