Publié le 13 aoû 2024Lecture 5 min
Allergie respiratoire aux acrylates : mise au point sur les connaissances actuelles
Catherine FABER, d’après la communication de E. Penven, Nancy
Des asthmes et des rhinites allergiques sont régulièrement observés chez des travailleurs de la dentisterie, de certaines industries et de l’onglerie exposés aux acrylates. Que sait-on aujourd’hui sur ces allergies respiratoires ?
Les acrylates « ordinaires », les méthacrylates et les cyanoacrylates sont des composés de bas poids moléculaires résultant, respectivement, de l’estérification de l’acide acrylique, de l’acide méthacrylique et de l’acide cyanoacrylique. Ils ont en commun une double liaison grâce à laquelle ils sont rapidement polymérisables. Du fait de cette fonction, les acrylates sont utilisés dans de nombreux secteurs, en milieu professionnel (industrie, esthétique, dentisterie, dispositifs médicaux, peintures, produits d’étanchéité, revêtements de sol) et dans des produits du quotidien comme la Super Glue. Les acrylates sont toxiques uniquement en cas de contact avec la résine ou la colle en phase liquide ou avec les poussières de résine fraîchement durcie. En principe, il n’y a pas de danger si la polymérisation est complètement terminée. Dans le règlement européen CLP (Classification, Labelling, Packaging), ces composés figurent en tant qu’irritants pour la peau et les muqueuses, et les acrylates simples et les méthacrylates comme sensibilisants cutanés. Leur potentiel de sensibilisation respiratoire n’est pas évoqué.
Rappelons que l’asthme en relation avec le travail (ART) regroupe l’asthme professionnel (AP), qui peut être immuno-allergique ou induit par des irritants bronchiques, et l’asthme aggravé par le travail (AAT), dont l’expression clinique est aggravée ou déclenchée par l’exposition à divers facteurs (irritants, conditions de température, de ventilation ou d’hygrométrie particulières, odeurs fortes…). Les acrylates peuvent être en cause dans chacune de ces formes d’ART. Devant une histoire clinique évocatrice, la première étape consiste à confirmer le diagnostic d’asthme par un test d’hyperréactivité bronchique non spécifique (HRBNS) et, selon l’agent étiologique suspecté, à rechercher une sensibilisation immuno-allergique par prick-tests et/ou dosage sérique des IgE spécifiques(1). Si le test d’HRBNS est négatif, mais que le patient est toujours au travail, on conclut à l’absence d’asthme. La positivité de ce test et des tests immuno-allergiques positifs signe le diagnostic d’AP immunoallergique. Dans tous les autres cas de figure, les investigations doivent se poursuivre. Cette deuxième étape diagnostique repose idéalement sur la réalisation d’un test de provocation bronchique spécifique ou réaliste (TPS/R) dans un centre spécialisé. Une réaction positive du TPS/R confirme l’existence d’un AP alors qu’une réaction négative avec des symptômes aggravés au travail oriente avec un AAT. Ce test ne permet pas d’affirmer le ou les mécanismes physiopathologiques sous-jacents. Lorsqu’il n’est pas disponible, la comparaison des mesures répétées de paramètres fonctionnels respiratoires (DEP, HRBNS, VEMS) et d’inflammation bronchique (NO exhalé, éosinophilie dans les expectorations induites) réalisées pendant et hors du travail peut apporter des arguments plus ou moins forts en faveur d’un AP ou d’un AAT. Dans la pratique, le diagnostic d’asthme allergique aux acrylates est souvent difficile.
LES SOURCES D’INFORMATION
Il existe peu de données expérimentales sur les allergies respiratoires aux acrylates. Les résultats des études in vivo, in vitro ou in chemico disponibles sont peu probants, voire discordants(2). En revanche, les tests immunologiques sont toujours négatifs. C’est essentiellement sur les rapports de cas et séries de cas publiés depuis les années 1980 que reposent les connaissances actuelles sur ces allergies. Cependant, dans ces observations cliniques, principalement d’asthme, avec ou sans rhinite, les expositions sont en général mal caractérisées. Il y a peu d’informations sur la nature de l’acrylate, l’intensité de l’exposition et l’existence d’une coexposition à d’autres facteurs sensibilisants ou irritants respiratoires avérés. De plus, le diagnostic clinique est plus ou moins approfondi, avec un TPS/R non systématique. Un petit nombre d’études épidémiologiques a mis en évidence une augmentation de l’incidence des asthmes allergiques aux (méth)acrylates chez les professionnels de la dentisterie et de l’onglerie(3,4).
Les données récentes provenant des réseaux de veilles sanitaires* permettent de mieux connaître la place des acrylates au sein des AP. Sur 1 180 AP confirmés par TPS/R, recensés entre 2006 et 2015 dans le réseau E-PHOCAS, 3 % étaient dus à une allergie aux acrylates(5). Les informations issues de ce réseau(6) et du réseau de surveillance SHIELD(7) apportent des précisions sur les acrylates en cause et sur les circonstances d’exposition. Celle-ci a lieu dans les secteurs de l’industrie (40 cas au total dans les deux réseaux avec l’utilisation de colles, résines de moulage, encres, peintures/vernis), de la santé (18 cas ; ciment osseux, amalgame dentaire, colle cutanée, résine pour prothèse dentaire) et de la beauté (13 cas ; colle pour extension de cils, ongles artificiels, colles pour ongles artificiels), mais aussi du tertiaire (4 cas chez des travailleurs exposés à la colle pour revêtement de sol [7]). On note une prédominance des asthmes aux méthacrylates et aux cyanoacrylates pour laquelle plusieurs hypothèses explicatives sont avancées. Elles concernent le potentiel de sensibilisation respiratoire, les caractéristiques physico-chimiques (niveau de volatilité de la molécule) et les modalités d’utilisation, surtout les voies d’exposition respiratoire et/ou cutanée. Certaines données cliniques et expérimentales suggèrent qu’une sensibilisation cutanée pourrait favoriser la sensibilisation respiratoire. D’après une étude de cohorte multicentrique, les asthmes aux acrylates ont un profil phénotypique proche de celui des asthmes immuno-allergiques induits par les agents de haut poids moléculaire(6). La controverse persiste néanmoins et le classement des acrylates en tant que sensibilisants respiratoires n’est toujours pas acté en raison du manque de preuves et de la discordance des données de la littérature.
Finalement, on ne connaît pas encore les mécanismes impliqués dans les allergies respiratoires aux acrylates. Ils sont probablement multiples, immuno-allergique, irritatif, neurosensoriel, et variables en fonction du type d’acrylates, des circonstances d’exposition et de facteurs personnels. D’où l’intérêt de poursuivre les travaux de recherche et, pour les cliniciens, de documenter précisément les cas suspects.
*SWORD (Surveillance of Work-related Occupational Respiratory Diseases), OPRA (Occupational Physicians’ Reporting Activity), FIOH (Finnish Institute of Occupational Health), Rnv3P (Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles), SHIELD (Registry Surveillance Scheme of Occupational Asthma), E-PHOCAS (European network for the PHenotyping of OCcupational ASthma).
D’après la communication de E. Penven, Nancy CFA 2024
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