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Allergologie

Publié le 05 nov 2024Lecture 9 min

Allergie aux additifs (sulfites, conservateurs, colorants)

François LAVAUD, CHU de Reims

Les additifs chimiques sont de plus en plus utilisés depuis les 50 dernières années. Sont-ils dangereux pour la santé et doit-on en surveiller la consommation en réglementant leur usage ? Un adage populaire est « ce qui est chimique est mauvais pour la santé, ce qui est naturel est sans risque ». Mais les substances additives naturelles ne sont pas si anodines pour l’allergologue. Une autre croyance est que si on mange « bio » on ne consomme pas d’additifs, mais dans la nourriture bio on peut retrouver une cinquantaine d’additifs (300 pour le non-bio).

DÉFINITION D’UN ADDITIF ALIMENTAIRE   Un additif est une substance que l’on ajoute à une denrée alimentaire dans un but déterminé. Selon le règlement du 16 décembre 2008 du Parlement européen, un additif est une substance habituellement non consommée comme aliment en soi et non considérée comme ingrédient caractéristique dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires a pour effet qu’elle devient elle-même ou que ses dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires. La surveillance est assurée par l’Autorité européenne de la sécurité alimentaire (AESA) relayée par l’ANSES pour la France. La quantité d’additifs considérée comme inoffensive répond à une dose journalière admissible (DJA) que l’on peut consommer toute sa vie sans problème de santé. Plus de 3 000 substances peuvent être considérées comme additifs dont 1 000 sont généralement reconnues comme inoffensives pour la santé. En Europe les additifs autorisés font partie d’une liste dite positive et seuls les additifs de cette liste sont autorisés (un peu plus de 300). Il existe des denrées alimentaires dans lesquelles la présence d’additifs n’est pas autorisée. Ce sont les denrées alimentaires non transformées (à l’exception des préparations de viandes), le miel, les huiles et matières grasses non émulsionnées, le beurre, le lait pasteurisé et stérilisé et la crème non aromatisés, les produits laitiers fermentés non aromatisés, le babeurre non aromatisé, l’eau minérale naturelle, le café (sauf le café instantané aromatisé), le thé en feuilles non aromatisé, les sucres, les pâtes alimentaires sèches (sauf les pâtes sans gluten), les denrées alimentaires pour nourrissons et enfants en bas âge. Pour le codex alimentarius de l’OMS révisé en 2017, des normes plus précises pour les aliments diversifiés de l’enfance désignent comme interdits pour les nourrissons et enfants en bas âge les colorants, les conservateurs et les exhausteurs de goût. En revanche, les épaississants et le émulsifiants sont autorisés. La classification européenne range les additifs en catégories fonctionnelles, les colorants de E100 à E180, les conservateurs de E200 à E297 (sulfites E220 à E228, benzoates de E210 à E219), les antioxydants de E300 à E399, les épaississants/gommes de E410 à E446, les exhausteurs de goût de E620 à E650, les édulcorants de E950 à E968, et des substances diverses comme les supports, les acidifiants/correcteurs d’acidité, les antiagglomérants, les antimoussants, les agents de charge, les sels de fonte, affermissants, stabilisants, produits d’enrobage…   COLORANTS   Ce sont des substances qui ajoutent ou redonnent de la couleur à des denrées alimentaires. Leur origine est soit naturelle (carmin de cochenille, anatto, riz rouge…) ou de synthèse (tartrazine, érythrosine, azorubine ou carmoisine…). Selon leur structure chimique on distingue les colorants azoïques (tartrazine, Sunset Yellow, amaranthe, ponceau…) et les non azoïques (érythrosine, Brilliant Blue, indigotine…). Les colorants naturels sont les plus pourvoyeurs d’allergies IgE-médiées.   Le carmin de cochenille, E120 C’est le colorant le plus connu. Il provient de corps séchés et broyés de cochenilles femelles (Dactylopius Coccus Costa) parasites de cactus Opuntia et Nopalea, cultivés en Amérique du Sud et Centrale, et aux Canaries. C’est une poudre hydrosoluble contenant 50 % d’acide carminique, de l’oxyde d’alumine et des protéines de cochenille. La DJA est de 5 mg/kg/j. On l’utilise dans des viandes (chorizo,) surimi, Campari, jus de fruits, yaourts, glaces, confitures et aussi dans des médicaments et des cosmétiques. Il existe un carmin artificiel, le E124, ou Ponceau 4R, rouge cochenille A. Le premier cas d’anaphylaxie au carmin de cochenille a été décrit par Beaudouin et coll. en 1995, suivi par plusieurs observations avec tests cutanés et IgE spécifiques positifs. Le carmin est également responsable d’allergies respiratoires et d’asthmes professionnels. On a aussi décrit des alvéolites allergiques extrinsèques. Les allergènes responsables ont été identifiés, leur poids moléculaire s’échelonnant entre 23 et 80 kDa. Des cas d’allergie à des médicaments contenant du carmin ont été décrits, notamment pour l’azythromycine. Les tests cutanés se font en pricks à concentration de 5 mg/mL, un dosage commercial d’IgE spécifiques est disponible, le CAP RAST f 340. Des réactions croisées sont décrites avec les acariens et la crevette.   Le riz rouge C’est un colorant alimentaire naturel obtenu par la fermentation du riz par les moisissures Monascus. Celles ci contiennent des pigments orange, jaunes et rouges, la rubropunctatine, la monascorubine, la monascine, l’ankoflavine… Ce colorant est utilisé pour les viandes (salami, chorizo) et en cuisine asiatique traditionnelle, dans le vin du riz, les légumes fermentés, les sauces poisson, le fromage soja. En Europe, on utilise les extraits de Monascus et le riz rouge pour réduire l’utilisation des nitrites. Des cas cliniques d’asthme professionnel et de rhinte au riz rouge ont été décrits.   L’annatto, E160b, ou bixine Il provient des graines d’un arbre, l’achiote ou rocouyer (Bixa orellana). De couleur rouge orangé à jaune, ce colorant est utilisé dans des fromages, des crackers, des céréales, des sauces, des glaces et des gâteaux. En médecine traditionnelle péruvienne c’est un laxatif, un traitement antireflux et un antiseptique vaginal. On l’utilise aussi dans des savons, le body painting et les arts picturaux. Plusieurs observations d’anaphylaxie ont été décrites et aussi des aggravations d’urticaire chronique et du syndrome de l’intestin irritable.   La tartrazine, E102 C’est un colorant jaune. Les premiers cas d’intolérance ont été décrits en 1959 avec urticaire après consommation d’aliments colorés en jaune. Des associations de réactions à la tartrazine et à l’aspirine chez l’asthmatique ont été décrites avec des exacerbations d’asthme à la consommation de tartrazine chez les intolérants à l’aspirine. Une méta-analyse publiée en 2017 établit cependant qu’il n’y avait pas assez d’évidence pour conclure sur les effets de la tartrazine sur le contrôle de l’asthme. Par ailleurs, l’exclusion de la tartrazine en routine n’apporte pas de bénéfice pour les patients asthmatiques sauf pour ceux avec sensibilité prouvée.   L’érythrosine, E127 C’est un sel disodique de 2,4,5,7 tétra-iodofluorescéine. De couleur rouge rosé, ce colorant est utilisé dans des aliments, des médicaments et de cosmétiques. Des stomatites de contact ont été décrites après application de gel (curcumine).   CONSERVATEURS   Sulfites Les sulfites sont les plus connus des conservateurs. La forme active est le dioxyde de soufre SO2. La DJA est de 0,7 mg/kg/j soit 42 mg pour 60 kg. L’étiquetage est obligatoire si la concentration est supérieure à 10 mg/L ou par kg. Plusieurs composés existent, anhydride sulfureux (E220), sulfite de sodium (E221), sulfite acide de sodium (E222), disulfite de spodium (E223)… Ce sont des antioxydants et antimicrobiens utilisés pour les fruits frais et secs, les légumes (notamment déshydratés), les crevettes, les vins, les aliments congelés, la bière, les jus de fruits, les sirops, le vinaigre, les salades, les viandes. On en trouve aussi dans des médicaments, des cosmétiques et dans l’industrie (photographie, blanchisserie, tannerie). La prévalence de l’hypersensibilité est de 3 à 10 % surtout chez les asthmatiques. Les mécanismes sont divers : quelques rares cas à composante immunologique et présence d’IgE spécifiques ou hypersensibilité retardée, déficit en sulfite-oxydase, bronchospasme par inhalation de SO2. Le diagnostic est posé sur l’anamnèse (asthme, dermatite, urticaire, flush, hypo-TA, symptômes digestifs, anaphylaxie) à la consommation d’aliments sulfités. Des tests cutanés ont été proposés en prick-tests à 1-10-100 μg, ils sont exceptionnellement positifs, et ce sont les tests de provocation de 10 à 320 mg qui imputent leur responsabilité.   Benzoates, E201-E219 (E216 et E217 ont été retirés) Ce sont des antimycotiques et antibactériens. Ils sont présents de manière naturelle dans de nombreux aliments à des doses inférieures à 40 mg/kg et sont produits par la digestion.Par exemple, l’acide cinnamique de la cannelle se transforme en sels de benzoates après oxydation hépatique. On les retrouve dans les jus de fruits, les boissons non alcoolisées, les confitures, les sucreries, le chocolat, les glaces, ainsi que dans les cosmétiques et les médicaments. Des symptômes divers sont rapportés : urticaire, exacerbation de dermatite atopique, asthme, alvéolite, rhinite, érythème polymorphe, anaphylaxie.   Nitrites Ils sont retrouvés dans des viandes. Ces conservateurs donnent à l’aliment une couleur rouge (notamment dans le jambon). On les utilise aussi dans les fromages. La DJA est de 0,006 mg /kg /j pour le nitrite de potassium, 0,007 mg/kg/j pour le nitrite de sodium et 3,7 mg/kg/j pour les nitrates. Les symptômes d’hypersensibilité rapportés sont divers : urticaire, prurit, anaphylaxie, symptômes digestifs, céphalées. Des tests de provocation orale positifs ont été rapportés.   ÉPAISSISSANTS, GOMMES   Gomme guar et la gomme arabique Présentes dans des substituts de viandes ou le café, elles ont été impliquées dans plusieurs observations de rhinite, d’asthme ou d’anaphylaxie avec tests cutanés et IgE spécifiques positifs. Les tests de provocation bronchique ou nasale ont confirmé le diagnostic.   Carrhagénane (E407) C’est un épaississant. Cette substance gélatineuse utilisée depuis plus de 600 ans provient d’algues rouges Chondrus crispus et d’autres, retrouvée sur les côtes rocheuses de l’Atlantique, d’Indonésie et des Philippines. On l’utilise dans des produits laitiers, crèmes, desserts chocolatés, chocolat au lait, glaces, fromages frais, des substances gélifiées (bonbons, gelées), des aliments en poudre (lait, boissons instantanées), des produits basse calorie et des aliments reconstitués, des sauces et soupes émulsifiées, des assaisonnements, des pâtés, jambons, viandes en conserve, et des médicaments (barium) et dentifrices. Des anaphylaxies ont été décrites et les algues sont incriminées dans le syndrome du côlon irritable.   Lysozyme (muramidase) Il provient du blanc d’œuf, c’est un allergène reconnu et nomenclaturé Gal d4. Il a des propriétés antibactériennes et lyse la paroi des micro-organismes Gram+. On l’emploie en industrie pharmaceutique et dans les fromages et le vin. La quantité retrouvée dans les fromages est de 250 à 400 mg /kg et de 100 à 500 mg/kg dans les vins (collés au blanc d’œuf). Il peut créer des anaphylaxies alimentaires avec des sensibilisations prouvées au lysozyme chez les allergiques à l’œuf et des asthmes professionnels.   Carboxyméthylcellulose ou carmellose (CMC, E466) Ce polymère anionique soluble dans l’eau provient de la cellulose naturelle, son absorption est favorisée par la flore microbienne du côlon. On l’ajoute dans des préparations pharmaceutiques et cosmétiques et dans différents aliments, glaces, chocolats, pâtes, condiments. Les réactions d’hypersensibilité sont rares mais on rapporte des observations d’anaphylaxie après utilisation de médicaments dont des corticostéroïdes pour infiltrations. Une observation signale 3 épisodes d’anaphylaxie sévère après consommation de glaces et de café au lait glacé. Le test cutané et le TPO étaient positifs.   DIAGNOSTIC   Il repose surtout sur l’anamnèse très détaillée des symptômes avec un journal des prises alimentaires et médicamenteuses. Une enquête catégorielle alimentaire est effectuée avec recueil des étiquettes des denrées. L’analyse des cofacteurs est nécessaire. On apprécie l’efficacité de régimes d’éviction (4 semaines) de type « additive free diet ». La suspicion d’allergie aux additifs est évoquée sur des réactions à des aliments différents, non apparentés. Le patient réagit à un aliment du commerce et pas au même aliment préparé au domicile. Une aggravation d’une pathologie sous-jacente sans autre explication est également un élément d’orientation. Le bilan allergologique comporte des tests cutanés et un dosage d’IgE spécifiques lorsqu’il est réalisable mais ils sont rarement positifs. Le dosage de précipitines et un test d’activation des basophiles peuvent être justifiés sur le contexte. Finalement c’est le test de provocation qui a la meilleure valeur prédictive et notamment le TPO. Des arbres décisionnels sont publiés par le réseau d’allergo-vigilance. La prise en charge repose sur l’éviction et en cas de symptômes sévères sur la mise à disposition d’auto-injecteurs d’adrénaline. D’après la communication d’Elleni Vaia (CHU Brugmann, Bruxelles, Belgique) Session J9 : L’allergie alimentaire au-delà des croyances, CFA 2024

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