ORL
Publié le 16 fév 2024Lecture 6 min
La vestibulopathie bilatérale : définition, examen clinique, électrophysiologique et étiologies possibles
Andra SEBESTYEN, Hôpital Rothschild, Paris - D'après la communication de X. Dubernard (CHU de Reims), SFORL 2023
La vestibulopathie bilatérale (VPB), qu’on peut aussi appeler « aréflexie vestibulaire bilatérale », est un syndrome vestibulaire chronique bilatéral qui se manifeste par des instabilités à la marche ou en station debout avec aggravation dans l’obscurité et/ou sur un sol irrégulier et/ou des oscillopsies (perception erronée d’une instabilité de la scène visuelle) pendant la marche ou pendant les mouvements rapides de la tête. Les symptômes ne sont pas présents quand assis ou allongé(1). La Société de Bárány (société internationale d’otoneurologie) inclut aussi dans le diagnostic de la VPB une diminution bilatérale du réflexe vestibulo-oculaire (RVO) sur les canaux semi-circulaires horizontaux, testée par le video Head Impulse Test (vHIT), par des épreuves cinétiques au fauteuil rotatoire ou par la réflectivité lors de la stimulation vestibulaire bicalorique à l’eau(1).
Examen clinique et bilan vestibulaire
En pratique clinique à l’interrogatoire, on retrouve des patients avec des instabilités chroniques, des vertiges non rotatoires, qui n’arrivent plus à conduire à cause des oscillopsies, qui ne lisent plus les panneaux d’indications, des patients qui chutent aux mouvements rapides de la tête et des symptômes qui s’aggravent en cas de déprivation visuelle. Dans le cas d’une atteinte complète bilatérale à l’examen clinique il n’y a pas d’asymétrie, il n’y a pas de nystagmus spontané au vidéonystagmoscopie (VNS), il n’y a pas de prépondérance directionnelle. Au bilan vestibulaire on voit une atteinte de tous les 6 canaux semi-circulaires au vHIT, une réflectivité effondrée aux épreuves caloriques ainsi qu’un effondrement du RVO et une augmentation du réflexe cervico-oculaire (COR) aux épreuves cinétiques.
Au contraire, la fonction sacculaire et utriculaire testée par les potentiels évoqués otolithiques est normale au moment du diagnostic et à distance, même si les patients sont incapables de se tenir debout sans tomber, les yeux fermés. On peut ainsi se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’une atteinte centrale telle qu’une atrophie ou une dégénérescence cérébelleuse associée à l’atteinte canalaire, ou bien des processus dégénératifs centraux.
Il est très important d’aller au-delà de l’aréflexie et de faire un examen neurologique sensitif cérébelleux et visuel, car il y a certaines pathologies qui sont mixtes, chevauchées entre l’ORL et la neurologie et qui nécessite, si pas de traitement adapté, une réhabilitation et une prise en charge multidisciplinaire.
Épidémiologie
Du point de vue épidémiologique, les plus concernés sont les hommes de tous les âges, avec un peak entre 60-70 ans. Il existe deux catégories de patients, ceux avec une évolution séquentielle, c’est-à-dire en marche d’escalier, qui va s’aggraver brutalement, et ceux avec une évolution progressive et une installation lente. La première catégorie est plus atteinte d’oscillopsies, car, contrairement au deuxième groupe, n’aura pas le temps de mettre en place des stratégies pour les éviter.
Étiologies
En ce qui concerne les étiologies, comme pour toute la médecine, il faut s’intéresser au contexte, même si lointain.
Il peut avoir un contexte traumatique dans le cadre des traumatismes crâniens avec fracture bilatérale du rocher, ou dans le cadre des chirurgies comme une bilatéralisation d’un implant cochléaire ou une complication d’une chirurgie de l’oreille moyenne quand l’oreille controlatérale est déjà atteinte d’un déficit vestibulaire.
On a des contextes infectieux, dans le cadre des méningites et encéphalites, contextes toxiques comme l’alcoolisation chronique, des produits industriels (styrène), médicamenteux (gentamicine - streptomycine, certains produits de chimiothérapie, Cordarone) ou des causes carentielles (malabsorptions dues à une maladie cœliaque, une chirurgie bariatrique, déficit en vitamine B12, nutrition déficitaire en réanimation).
On cherche toujours des signes neurologiques et quand on n’en trouve pas on pense à des maladies auto-immunes comme le Cogan, thyroïdites ou autres ; on peut aussi avoir des schwannomes bilatéraux dans le cadre d’une neurofibromatose de type 2 ou éventuellement une maladie de Ménière bilatérale.
En revanche, si on trouve des signes neurologiques, on peut se poser la question de pathologies vasculaires (AVC ischémique ou hémorragique) ou d’une ataxie cérébelleuse (cérébro-spinales, de Friedrich, syndrome de CANVAS, encéphalopathie Gayet Wernicke ou sclérose en plaques [SEP]). On peut retrouver également des signes neurologiques sans ataxie cérébelleuse, comme dans le cadre de neurosarcoïdoses, de l’amyotrophie de Charcot Marie Tooth ou même de la sclérose en plaques.
Toutes ces causes peuvent être soit génétiques, soit idiopathiques, ces dernières représentant quand même 51 % des causes, ce qui laisse la porte ouverte à de futures recherches.
Dès lors qu’on a une atteinte vestibulaire bilatérale avec des signes neurologiques indiquant un syndrome cérébelleux et des troubles sensitifs des membres inférieurs (apallesthésie) on peut penser à une maladie neurodégénérative du tronc cérébral ou du cervelet, ou à une atrophie cérébelleuse ou spinale.
Dans le cas où les symptômes apparaissent entre l’enfance et 30-40 ans, il faut évoquer des ataxies cérébro-spinales avec, malheureusement, un pronostic sombre.
Si les symptômes apparaissent avant 25 ans l’ataxie de Friedreich doit être évoquée, se présentant souvent par des instabilités et des chutes, des troubles de la coordination, des troubles oculo-moteurs avec des ondes carrées et d’autres symptômes comme la dysphagie, la surdité, ou des signes pyramidaux.
Au milieu de tout ça, on a le Canvas, qui a été décrit il y a environ vingt ans et qui associe un déficit proprioceptif, une atteinte cérébelleuse plutôt posturale, une vestibulopathie bilatérale et une dysautonomie (dysfonctionnement du système nerveux autonome cardiovasculaire). L’âge de diagnostic est autour de 50 ans, avec une latence d’environ 10 ans pour présenter la triade : ataxie cérébelleuse – ataxie sensorielle – ataxie vestibulaire. Les patients sont atteints d’une toux chronique qui peut précéder de 30 ans l’apparition complète des symptômes, des instabilités et des chutes, des oscillopsies, une hypotension d’orthostatisme et d’autres manifestations comme une sécheresse des muqueuses, une dysphagie, etc. L’électromyographie montre qu’il n’y a pas d’atteinte motrice, seulement sensorielle, et l’IRM cérébrale peut déceler une atrophie du cervelet.
Et enfin on a l’aréflexie vestibulaire bilatérale idiopathique qui peut se présenter comme des formes lentement progressives avec, parfois, des signes radiologiques sans étiologie (ex. atélectasie bilatérale), ou une atteinte unique vestibulaire sans étiologie et bilan souvent négatif qui peut se bilatéraliser à terme, voire des causes génétiques pas encore connues.
Bilan
Le bilan biologique réalisé devant une vestibulopathie bilatérale inclut un bilan biologique classique, un bilan carentiel pour chercher un déficit, un bilan infectieux, un bilan d’hémostase, un bilan auto immun et parfois même une ponction lombaire pour rechercher des signes paranéoplasiques, SEP.
Sur le plan d’imagerie l’IRM cérébrale peut montrer des schwannomes bilatéraux, une SEP, des causes vasculaires (AVC) ou une atrophie du vermis cérébelleux alors que la TDM des rochers peut révéler une anomalie morphologique congénitale ou une ossification post-traumatique, post-chirurgicale, post-labyrinthite.
L’EMG des membres inférieurs est effectuée pour rechercher une atteinte sensitive et l’absence d’atteinte motrice.
Un bilan génétique peut être lancé dans les cas d’une ataxie cérébelleuse soit pour identifier la cause, soit pour catégoriser ou phénotyper les patients atteints d’une pathologie comme le Canvas.
Prise en charge et traitement
Si un traitement existe, il est premièrement étiologique – même si l’atteinte vestibulaire est complète, d’autres atteintes peuvent être limitées ou contrôlées.
Il faut penser à traiter les comorbidités si elles existent (syndrome d’apnée obstructive du sommeil, obésité…), d’expliquer au patient sa pathologie, de le rééduquer (rechercher et s’appuyer sur les autres indices sensoriels extérieurs – vision, toucher) de le réapprendre à marcher (ils tombent 5 fois plus fréquemment par rapport à la normale).
Il faut insister sur le fait que mettre la tête sous l’eau ou sauter en parachute est absolument contre-indiqué, car il peut engendrer un risque vital, ces patients étant incapables de savoir dans des telles circonstances si le haut est en haut et le bas en bas.
Et bien sûr, on peut leur suggérer de s’orienter vers des associations de malades qui peuvent les aider à mieux gérer et accepter leur situation.
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