Allergologie
Publié le 06 mar 2024Lecture 11 min
Véganisme et risque allergique : un défi allergologique nouveau
Guy DUTAU, allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse
Selon le dictionnaire Larousse, le véganisme (angl. : veganism) est un mode de vie associant une alimentation exclusive par les végétaux (végétalisme) et le refus de consommer tous les produits (vêtements, chaussures, cosmétiques, etc.) issus des animaux ou de leur exploitationa. Plus précisément, le véganisme (francisation du mot anglais) est un style de vie qui refuse l’exploitation des animaux et, par conséquent, exclut, d’une part, la consommation de produits d’origine animale tels que la viande, le poisson, les insectes, les produits laitiers, les œufs, le miel et, d’autre part, les produits exploités ou testés sur les animaux (cuir, fourrures, laines, soies), et même leur utilisation dans un contexte de loisirsb.
C’est en 1944 que le terme « vegan » a été créé par Donald Watson (1910-2005)c, premier adepte du véganisme et cofondateur avec son épouse Dorothy et quatre amis dont Elsie Shrigley (1899-1978) de la London Vegan Society. Ce mot a été conçu à partir des premières et dernières lettres de « Vegetarian » et, en français, il se prononce végane. Le véganisme est une façon de vivre basée sur le refus d’exploiter les animaux : il faut, par tous les moyens que l’homme ne soit pas une source de souffrance pour les animauxd. Ce mode de vie, extension du végétalisme, forme plus restrictive du végétarisme, peut être adopté des motivations identiques, en particulier éthiques, environnementales, sanitaires, ou, plus rarement religieuses.
Le plus souvent, il a pour motif principal des convictions éthiques relatives à la manière dont les humains traitent et devraient traiter les animaux. Ces convictions peuvent prendre la forme d’une idéologie proposant une redéfinition normative des relations entre humains et animaux, notamment l’antispécisme, une philosophie selon laquelle l’espèce d’un individu n’est pas un critère pertinent pour définir la considération morale à lui accorder. En 2021, l’Office québécois de la langue française a modifié sa définition du végétalisme intégrale : une doctrine qui a pour but de promouvoir un mode de vie végan (encadré 1).
STATISTIQUES
En 2021, on estimait que le pourcentage des individus végans ne dépassait pas 2,2 % de la population française, soit 1 300 000 personnes. On évalue à 23 % le nombre des personnes qui limitent leur consommation de viandef. Toutefois, ces chiffres doivent être considérés avec précautions, car les flexitariens (qui déclarent consommer occasionnellement de la viande, du poisson et d’autres produits d’origine animale) seraient beaucoup plus nombreux, autour de 24 %g. Le pourcentage des enfants et des adolescents végans, par conviction, par défi, ou par hygiénisme, est mal connu, mais il est cependant considéré comme en augmentationh.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Chez enfants et les adolescents, les affections allergiques les plus fréquentes sont les rhinites allergiques perannuelles et saisonnières, en particulier dues aux pollens, et l’asthme, presque toujours allergique à ces âges. La prévalence de ces affections est élevée, en forte augmentation continue.
Selon plusieurs études, le réchauffement climatique est l’une des causes de l’augmentation des allergies polliniques au cours des 20-30 dernières années(1-3). Au même moment où, bien que toujours associées aux habitudes culturelles, nos modalités d’alimentation se modifiaient dans les pays occidentalisés avec en particulier une forte consommation d’arachide, la prévalence des allergies alimentaires (AA) augmentait de façon très importante.
En 2019, Gupta et coll.(4), dans une étude portant sur 40 443 adultes, d’âge moyen 46,6 ± 20,2 ans, estimaient à 19 % le nombre d’adultes américains porteurs d’une AA. Les aliments le plus souvent en cause étaient les fruits de mer (2,9 %), le lait (1,9 %), l’arachide (1,8 %) ; les noix d’arbres (1,2 %), le poisson (0,9 %). Les symptômes allergiques étaient sévères chez 1 patient sur 2 (51,1 %), 49,3 % de ces personnes avaient des AA multiples, et 48 % avaient développé leur AA pendant leur vie d’adulte. En même temps, la gravité de ces AA se confirmait puisqu’un peu plus de 1 patient sur 3 (38,3 %) avait été admis dans une unité de soins intensifs pour AA(4).
La tendance est identique chez les enfants. Une requête sur PubMed avec l’item « food allergies in children » donnait moins de 5 articles par an en 1966 ; puis la courbe du nombre d’articles était régulièrement ascendante pour atteindre le pic de 391 (en 2021) et de 271 (en 2022) (figure 1).
Figure 1. Nombre annuel d’articles « Food allergies in children » : 391 (en 2021) et 271 (en 2022). Source PubMed (29 octobre 2022).
En Europe, Lyons et coll.(5) ont évalué le pourcentage d’AA autodéclarées par rapport à la population générale : elle va de 6,5 % à Athènes à 24,8 % à Lodz, mais il faut se méfier des AA autodéclarées qui peuvent souvent être des fausses AA (pseudo-AA) et ne tenir compte que des AA médicalement confirmées. Selon l’expérience professionnelle, la fréquence des vraies AA serait au moins de 5 % chez les enfants. Dans tous les centres concernés par l’étude de Lyons et coll.(5), la plupart des sujets sensibilisés aux aliments avaient une sensibilisation primaire (sans réaction croisée). Cependant, les AA par réactivité croisée au pollen de bouleau, par exemple le syndrome « bouleau-pomme » (figures 2 et 3), étaient courantes en Europe centrale et septentrionale ; les AA probables au lait et aux œufs étaient fréquentes dans toute l’Europe ; les AA probables au poisson et aux crevettes survenaient principalement dans les pays méditerranéens et à Reykjavik. La pêche, le kiwi et l’arachide étaient des sources importantes d’AA aux aliments végétaux dans la plupart des pays, avec notamment la noisette, la pomme, la carotte et le céleri en Europe centrale et du Nord, et les lentilles et la noix dans les pays méditerranéens(5).
Figure 2. Bouleau (Betula spp, angl : birch). 70 % des patients sensibilisés/allergiques au pollen de bouleau sont sensibilisés/allergiques à certains légumes ou fruits de la famille des Rosacées (pomme, cerise, pêche, abricots) et des Bétulacées (noisette). C’est l’allergène Bet v 1 du bouleau qui en est responsable.
Figure 3. Pomme (Malus sylvestris, angl. : apple). L’allergène (Mal d 1) est détruit par la chaleur : la compote de pommes bien cuite n’est pas allergisante.
En 1920, L’IFOP (Institut d’études, opinion et marketing en France et à l’international) a été mandaté par FranceAgriMeri pour effectuer une grande enquête sur 15 000 personnes de 15 à 70 ans. Les principaux résultats étaient les suivants : i) 89 % déclarent aimer la viande ; ii) 79 % pensent que manger de la viande est nécessaire pour être en bonne santé ; iii) 63 % considèrent qu’un repas contenant de la viande est plus convivial ; iv) 90 % pensent que consommer de la viande est compatible avec le bien-être animal ; v) mais moins de la moitié des personnes interrogées pense que les débats autour du bien-être animal sont exagérés, ou que le végétarisme ou le véganisme sont des modes qui passeront ; vi) plus des 3/4 des végétariens, pescétariens et végans déclarent au moins une difficulté pour suivre leur régime alimentaire (accès en magasin ou au restaurant, critiques de l’entourage) ; vii) le souhait de changer de régime est logiquement plus important chez les jeunes.
Finalement, l’IFOP distingue 7 profils types représentant environ 34 % de la population totale : i) « financièrement contraints » ; ii) « âgés médicalement contraints » ; iii) « jeunes en rééquilibration alimentaire » ; iv) « couples suiveurs » ; v) « diplômés » ; vi) « hypersensibles » ; vii) « couples militants ».
LE VÉGANISME PEUT-IL FAVORISER LES ALLERGIES ?
Une partie significativement importante de la population adopte de nouvelles habitudes alimentaires, plus ou moins de type végan, impliquant une consommation importante de fruits et légumes : les régimes végans impliquent la recherche de protéines de substitution qui sont surtout d’origine végétale ou autres. C’est ici l’occasion de rappeler encore que la plupart des aliments d’origine végétale, les fruits secs à coque et les graines comportent des allergènes extrêmement puissants(6).
Dans un esprit exempt de toute intention polémique, il est donc raisonnable de se poser la même question que celle que Protrudier et Mikkelsen(7) ont formulée dans le titre d’un article récent « Véganism and paediatric food allergy : two increasingly prevalent dietary issues that are challernging when co-occuring » que soit : « Est-ce que l’association véganisme + allergies alimentaires majore les risques allergiques chez les enfants et adolescents végans ? ». Cette question peut évidemment être posée chez les adultes végans dont le nombre est beaucoup plus important que celui des enfants et des adolescents végans !
Les auteurs, effectuent une revue exhaustive de la littérature (155 références) et insistent les points suivants(7) :
– l’importance d’un historique et d’une surveillance nutritionnelle exhaustive et régulière ;
– le suivi de routine des marqueurs sériques (en particulier l’iode, le fer, le zinc, le calcium, les vitamines B12, D, B2 et A), ainsi que celui des acides gras oméga-3 et des protéines (plus abondants dans les aliments d’origine animale que dans ceux d’origine végétale) ;
– une ou des AA peuvent apparaître chez les enfants et adolescents végans, mais aussi chez les adultes ;
– la recherche des symptômes et des comorbidités (en particulier celle de l’asthme) qui peuvent augmenter les besoins en énergie et en nutriments ;
– le suivi auxologique (poids, taille, vitesse de croissance) qui doit être régulier pour détecter rapidement toute cassure de la courbe staturale ou surtout pondéralej.
Dans un important tableau, intitulé « Suggestions pour travailler avec un patient allergique alimentaire, végan et leur famille », Protrudier et Mikkelsen(7) donnent des recommandations utiles qui s’appuient sur des références citées dans leur bibliographie :
– avertir les parents de la nécessité d’un suivi diététique par un professionnelk et le besoin potentiel de supplémentation pour répondre aux besoins d’un enfant en pleine croissance ;
– une attention particulière doit être portée à la quantité et à la qualité des protéines alimentaires, d’autant plus que de nombreux aliments riches en protéines végétales sont des allergènes courantsl ;
– conseiller aux familles que les portions nécessaires pour atteindre les niveaux recommandés/appropriés d’énergie et de nutriments dans le cadre d’un régime à base de plantes sont supérieures à celles d’un régime traditionnel ;
– la prudence s’impose pour les collations préemballées portant un étiquetage préventif des allergènesm ;
– les étiquettes des aliments doivent être lues chaque fois qu’un aliment est acheté pour réduire le risque d’ingestions et de réactions accidentelles ;
– les étiquettes des aliments doivent être lues chaque fois qu’un aliment est acheté pour réduire le risque d’ingestions et de réactions accidentelles ;
– la mention « Peut contenir » figure sur certaines étiquettes pour alerter les consommateurs sur d’éventuelles traces d’allergènes dans un produit alimentaire. Bien que la quantité d’allergènes dans un aliment varie considérablement, les consommateurs doivent rester très vigilantsn ;
– encourager la réintroduction prudente d’un aliment si un enfant guérit de son allergieo ;
– encourager une alimentation diversifiée, car les régimes restrictifs et l’alimentation sélective peuvent contribuer aux carences nutritionnelles ;
– discuter des questions générales sur l’alimentation et l’environnement, car une réactivité croisée peut se produirep ;
– informer les familles que certaines allergies peuvent être influencées par les saisons et le climatq.
Les protéines végétales proposées pour renforcer le régime sont de puissants allergènes. Des compléments alimentaires peuvent contenir des allergènes masqués, responsables d’allergies, en particulier chez les sujets ayant des syndromes d’allergie associées/croisées « pollens-aliments végétaux » tels que le syndrome bouleau-pomme, déjà cité plus haut, ou le syndrome armoise-célerir (figures 4 et 5).
Figure 4. Armoise (Artemisia vukgaris, angl., mugwort). Il existe un syndrome d’allergie croisée « céleri-épices-carotte-armoise ».
Figure 5. Céleri (Apium graveolens, angl. : celery) appartient à la famille des Ombellifères. Les allergènes majeurs sont, en particulier, une profiline (apparentée à Bet v 2), Api g 1 ayant une forte homologie avec les allergènes du bouleau (Bet v 1) et de la pomme (Mal d 1).
Les auteurs précisent que : « Récemment, des auteurs américains ont rapporté que les personnes souffrant d’asthme ou d’une autre maladie allergique, mais qui n’imposait pas de restrictions alimentaires, se rendaient souvent sur YouTube pour obtenir des informations sur les régimes végétaliens(8) ». Le problème des risques allergiques des végans est donc posé sachant que ces 30 dernières années ont vu une véritable explosion de la fréquence des AA, en particulier à l’arachide. Et les prévisions sont pessimistes : en 2050, selon l’OMS, 50 % de la population mondiale sera affectée par une ou plusieurs maladies allergiquess.
Il serait donc capital de connaître la prévalence des AA dans la population des végans. Nous avons recherché si de telles études épidémiologiques existaient, mais nous n’en avons pas réellement trouvé à part celle de Rogerson(9) résumée dans l’encadré 2.
CONCLUSION
• La question du risque allergique chez les végans, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents et même d’adultes se trouve posée. Il serait donc capital de connaître la prévalence des AA dans la population des végans.
• Nous avons recherché si de telles études épidémiologiques existaient, mais nous n’en avons pas trouvé. Certes, de nombreuses références sur le Net indiquent que l’on peut être végan et sportif de haut niveaut, mais leur lecture suggère que « bien faire » ne doit pas être facile.
• C’est aussi la conclusion de D. Rogerson qui, bien que soulignant le manque cruel d’études robustes dans la littérature, pense qu’un régime végétalien nutritif peut être conçu pour répondre de manière satisfaisante aux besoins alimentaires de la plupart des sportifs et des athlètes.
• Les athlètes végans utilisent souvent des compléments alimentaires qui peuvent contenir des allergènes masqués.
• Certains végans ajoutent parfois des compléments nutritionnels sapides pour améliorer ou personnaliser le goût des plats.
• Cette question, relativement nouvelle dans la population générale des médecins, est peu ou mal connue des allergologues.
Liens d’intérêts : aucun.
Notes
a. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/véganisme/10910804.
b. https://fr.wikipedia.org/wiki/Véganisme.
c. Donald Watson exerçait le métier de professeur de menuiserie.
d. https://veganie.com/pages/vegan-c-est-quoi.
e. https://fr.wikipedia.org/wiki/Véganisme.
f. https://www.franceagrimer.fr/Actualite/Etablissement/2021/ VEGETARIENS-ET- FLEXITARIENS-EN-FRANCE-EN-2020.
g. https://fr.wikipedia.org/wiki/Flexitarisme.
h. https://www.tf1info.fr/societe/ces-ados-qui-deviennent-vegan-effet-de-mode-ouveritable-changement-dans-nos-habitudes-alimentaires-2057883.html.
i. https://www.franceagrimer.fr.
j. Toute comorbidité/pathologie de type aigu/chronique se manifeste prioritairement sur la prise de poids.
k. Un professionnel au courant des questions soulevées par le thème « véganisme et allergies » doit être recherché en priorité chez les gastro-entérologues pédiatres, au besoin conseillé par un allergologue.
l. Cette notation, souvent citée dans cette revue, est d’une importance capitale, peut-être la plus importante à retenir.
m. Cette recommandation vise les allergènes masqués dans ce type de produit.
n. C’est une question cruciale, car les possibilités de contamination dans les firmes alimentaires sont nombreuses (le cas le plus fréquent est représenté par les ustensiles servant à la fabrication de produits différents, à l’origine de symptômes si les seuils de réactivité sont bas [voir ci-dessus]). Les questions posées par l’alimentation au restaurant et en milieu scolaire et périscolaire ne sont pas abordées par les auteurs.
o. Question à discuter avec un allergologue compétent en allergologie alimentaire, seul habilité à y répondre, à notre avis.
p. Ibid.
q. Ibid.
r. La positivité des prick-tests au céleri natif cuit et cru est constante, mais, curieusement, les IgEs dirigées contre le céleri (f85) sont peu augmentées. Voir : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1877032016001056.
s. En France, 4 millions de personnes sont asthmatiques, 80 % des asthmes sont allergiques, 2 % des adultes ont une AA, 30 % des anaphylaxies sont provoquées par les aliments, l’errance thérapeutique est en moyenne de 7 ans avant de consulter un médecin. https://asthme-allergies.org/faits-chiffres-comprendre-lallergie/.
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