Publié le 24 mai 2024Lecture 9 min
Prise en charge de la dysphonie chez un patient allergique
Élisabeth PÉRI-FONTAA, ORL phoniatre, Strasbourg
La dysphonie est fréquente et multifactorielle chez un patient allergique, l’appareil phonatoire appartenant aux voies aériennes, elles-mêmes particulièrement impactées dans leur fonctionnement par cette pathologie.
CONDITIONS MINIMALES POUR UNE « BONNE VOIX »
Avoir une voix efficace, c’est être capable de pouvoir adapter sa production vocale aux besoins professionnels ou à ceux de la vie familiale et des loisirs. Chaque individu bâtit plus ou moins consciemment, son édifice vocal à la manière du stone balancinga : la voix naît du fonctionnement d’éléments anatomiques (appareil phonatoire), et les différentes étapes du développement de l’individu participent à la modeler tout au long de la vie. Chacune de ces étapes est fortement influencée par les modalités de communication, les éventuels problèmes de santé, l’hygiène de vie, la profession et la place du sujet dans la société. Ainsi, on peut représenter la production vocale comme le résultat de la construction d’un édifice dans lequel chaque pierre permet à l’ensemble un équilibre plus ou moins solide et stable, constituant l’état de base ou la fragilité vocale d’une personne (figure 1).
Figure 1. Édifice vocal.
Lorsqu’un équilibre entre force, tonicité, relâchement, élasticité est trouvé, la voix est jugée confortable et efficace par le locuteur. Mais à chaque fois qu’il doit assurer une nouvelle activité vocale, qu’il doit produire sa voix dans un environnement différent ou lorsque son état physique et/ou psychique est modifié, cet équilibre est remis en question : il faut revoir la part de chaque muscle, de chaque organe, de chaque appareil, pour retrouver un nouvel équilibre.
Un édifice vocal solide permet une voix performante et adaptée aux besoins de la personne, malgré les modifications anatomiques et physiologiques de son corps et celles de son environnement. Il est obtenu de manière inconsciente, chaque élément de l’édifice s’ajustant à l’éventuelle modification des autres.
LA DYSPHONIE ET SES SYMPTÔMES
La dysphonie, sur le plan phoniatrique, est définie comme un trouble momentané ou durable de la fonction vocale, ressenti comme tel par le sujet ou son entourage. Cette définition, différente de la définition médicale classiqueb (qui ne retient que les altérations acoustiques de la voix), permet la prise en compte d’éléments subjectifs variés pour évaluer l’importance de la gêne phonatoire.
Modifications acoustiques vocales
Le patient peut se plaindre d’une modification de la hauteur de sa voix, remarquée ou non par son entourage, allant parfois jusqu’au défaut d’identification (patient non reconnu au téléphone par son entourage ou identifié comme appartenant à l’autre genre).
La plainte vocale peut concerner le manque d’intensité vocale, rendant difficile la communication, notamment en milieu bruyant ou lors de l’utilisation de la voix projetée (parler devant une assemblée).
L’altération vocale peut également consister en une modification du timbre vocal (caractère soufflé, éraillé ou rauque inhabituel).
Perceptions désagréables pendant la phonation
Les plaintes rapportées sont à type d’irritations (sécheresse, picotements, brûlures), de sensation de serrage au niveau de la gorge, de globus (perception d’une boule dans la gorge, en lien avec l’hypertonie des muscles laryngés). Les patients perçoivent une gêne ou une tension en regard du tube laryngé. Les douleurs, peu marquées au niveau du larynx, sont plus souvent localisées au niveau du dos, de la nuque et des épaules, témoignant de l’activité soutenue des muscles de la partie haute du tronc et du cou, sollicités par les modifications posturales liées au forçage vocal. Le manque d’endurance vocale, avec dégradation de la voix survenant au bout d’un temps de phonation parfois très court (quelques minutes), la fatigue physique liée à la production vocale, l’impression de devoir faire de plus d’efforts physiques pour maintenir le même niveau d’efficacité vocale, sont des plaintes récurrentes chez les patients dysphoniques.
Inadaptation du geste vocal
En cas de perte d’efficacité vocale, quelle qu’en soit l’étiologie, le sujet a spontanément tendance à forcer sa voix : il modifie sa posture avec projection en avant de la partie haute du corps et ouverture de l’angle « tête-cou », ce qui entraîne la mise en tension des muscles sus et sous-hyoïdiens, limitant les mouvements du larynx(1). Cette posture particulière s’accompagne d’une réduction des mouvements mandibulaires, d’une hypertonie linguale, qui réduit le jeu des résonateurs. Ce verrouillage corporel impose la respiration thoracique supérieure (peu adaptable), avec des reprises inspiratoires fréquentes, superficielles et bruyantes. La mobilisation de faibles volumes pulmonaires ne permet pas d’assurer la durée des phrases et le patient « manque d’air » pour les terminer. Dans ces conditions, pour maintenir une intensité vocale correcte, le patient « serre » son larynx, ce qui limite l’efficacité vocale, le faisant entrer dans le cercle vicieux du forçage vocal.
Les symptômes d’une dysphonie consistent en une modification des caractéristiques acoustiques vocales ET/OU des plaintes subjectives à type de sensations désagréables, de fatigue, de manque d’efficacité et d’endurance vocale.
ÉTIOLOGIES DE LA DYSPHONIE CHEZ UN PATIENT ALLERGIQUE
Chez un patient allergique, l’altération de la fonction vocale peut être en rapport avec une atteinte laryngée organique ou un trouble fonctionnel.
Les atteintes organiques de l’appareil phonatoire
Les conséquences de l’allergie
L’inflammation chronique ou récurrente des muqueuses des voies aériennes peut être à l’origine d’une perturbation du fonctionnement de l’appareil phonatoire dans son ensemble.
L’obstruction nasale :
– les difficultés de ventilation nasale limitent l’utilisation des résonateurs (modification du timbre, défaut d’amplification vocale) ;
– la ventilation buccale prédominante s’accompagne d’un défaut d’humification des cordes vocales (CV), rendant plus difficile leur accolement pendant la phonation, avec développement d’un comportement de serrage.
L’inflammation de la muqueuse laryngée :
– les modifications tissulaires modifient les caractéristiques des différentes couches des CV, et perturbent le déroulement de leur comportement vibratoire (altérations acoustiques vocales) ;
– l’œdème inflammatoire déforme le bord libre des CV, rendant plus difficile l’affrontement, avec majoration du comportement de serrage ;
– la présence de glaires à l’étage laryngé est responsable d’un mauvais accolement des CV, et est à l’origine de la toux et du hemmagec , gestes traumatisants pour la muqueuse laryngée.
L’asthme et/ou les bronchites :
– la toux chronique liée à l’atteinte des voies aériennes inférieures est à l’origine de lésions cordales qui modifient leurs capacités vibratoires ;
– la diminution des capacités ventilatoires et notamment expiratoires rend difficile le contrôle de la pression sous-glottique, avec compensation par un geste laryngé hypertonique (comportement de forçage vocal). Figures 2 à 5
Figure 2. CV normales.
Figure 3. Présence de glaires au niveau laryngé.
Figure 4. Inflammation cordale.
Figure 5. Les lésions cordales liées à la toux.
Les conséquences de la toux et du hemmage
Les efforts de toux et de hemmage se manifestent, au niveau laryngé, par une très forte élévation de la pression sous-glottique au moment de la phase compressive, suivie d’un écartement violent des CV avec débit expiratoire très élevé au moment de la phase explosive. Lors de cette dernière phase, le passage de l’air à très grande vitesse peut blesser la muqueuse cordale et être à l’origine de différents types de lésions :
– lésions en rapport avec des traumatismes chroniques : nodule, œdème cordal ;
– lésions en rapport avec des traumatismes aigus : polype, granulome, hématome cordal.
Les conséquences des traitements
Il a été montré que les traitements antiasthmatiques inhalés n’entraînent pas de lésion organique des CV(2), mais ils peuvent gêner la phonation notamment par effet de déshydratation de la muqueuse des CV et parfois d’irritation.
Les traitements antihistaminiques peuvent entraîner, chez certains patients, une sensation de sécheresse buccale, nasale et laryngée, surtout gênante chez les chanteurs.
LES ATTEINTES FONCTIONNELLES DE L’APPAREIL PHONATOIRE
La dysphonie dysfonctionnelle
Les manifestations allergiques peuvent déstabiliser le geste vocal dans son ensemble et être responsables de la mise en place d’un comportement de forçage vocal, à l’origine d’une dysphonie dite dysfonctionnelle, sans altération organique des CV.
Le comportement de forçage naît du déséquilibre de la gestion de l’effort vocal lors de conditions difficiles ou inhabituelles, avec concentration des efforts au niveau laryngé au lieu de les répartir sur l’ensemble des organes impliqués dans la phonation. Ce comportement devient lui-même traumatisant pour les CV et peut conduire au développement de lésions cordales, majorant la dysphonie.
Les dysfonctions laryngées
L’irritation chronique de la muqueuse laryngée peut stimuler de manière importante les récepteurs laryngés, modifiant le fonctionnement du réseau du contrôle du tonus moteur du larynx, entraînant un état d’hypertonie constante(3).
Cette hypertonie modifie les fonctions normales exercées par le larynx :
– ventilation : dyspnée, spasmes laryngés ;
– déglutition : fausses routes, blocages alimentaires ;
– phonation : dysphonie ;
– efforts à glotte fermée : toux/hemmage chroniques auto-entretenus.
Ces dysfonctions peuvent se manifester par des symptômes chroniques ou par des crises aiguës, dont les plus impressionnantes sont les spasmes laryngés. Le vécu extrêmement angoissant de ces manifestations contribue à majorer le niveau d’hypertonie laryngée, aggravant l’ensemble de la symptomatologie de la dysfonction laryngée. Figure 6
Figure 6. Les modifications du tonus musculaire laryngé et ses conséquences (d’après Morrison).
La dysphonie chez un patient allergique peut être la conséquence de modifications organiques ET/OU de troubles fonctionnels de l’appareil phonatoire pouvant aller jusqu’au spasme laryngé.
PRISE EN CHARGE DE LA DYSPHONIE CHEZ UN PATIENT ALLERGIQUE
Prise en charge médicale
En complément des traitements spécifiques de l’allergie et de l’asthme, différentes prescriptions et des conseils d’hygiène vocale peuvent participer à améliorer le fonctionnement de l’appareil phonatoire.
L’aérosolthérapie (réalisée avec du sérum physiologique et/ou un traitement corticoïde) est souvent efficace pour soulager l’irritation laryngée.
Mouchage et lavages de nez :
– pour favoriser la ventilation nasale (amélioration de la fonction des résonateurs, humidification des CV) ;
– pour limiter la présence de glaires à l’étage laryngé.
Hydratation correcte (pour favoriser le drainage des glaires, l’humidification des CV).
Repos vocal : la limitation de la durée et de l’intensité de la production vocale lors de la survenue d’un épisode de dysphonie permet d’éviter le passage à la chronicité des troubles phonatoires et la survenue de lésion liée au forçage. Ce repos vocal peut nécessiter un arrêt de travail chez les patients utilisant professionnellement leur voix.
Prise des traitements inhalés au début d’un repas : le fait de déglutir des aliments (et pas seulement de boire ou de rincer la bouche), permet de diminuer les effets irritants/desséchants.
Prise en charge orthophonique
Lorsque l’allergique présente une dysphonie récidivante ou permanente, ou lorsque la dysphonie entre dans le cadre d’une dysfonction laryngée, une prise en charge rééducative est indispensable pour l’aider à sortir du « cercle vicieux » de l’hypertonie laryngée. Cette rééducation va permettre au patient de modifier les niveaux de fonctionnement de son édifice vocal afin d’obtenir un tonus musculaire laryngé adapté à la fonction phonatoire et aux autres fonctions laryngées.
CONCLUSION
• La dysphonie chez un allergique est le plus souvent la conséquence d’atteintes organiques et de réaménagements fonctionnels de l’appareil phonatoire.
• Les conseils d’hygiène vocale et la rééducation orthophonique occupent une place prépondérante dans la prise en charge de ces patients.
Notes
a. Le stone balancing ou stone stacking est l’art d’empiler ou de juxtaposer des pierres.
b. La dysphonie, dans sa définition médicale, est une altération de l’un ou plusieurs des éléments acoustiques de la voix : hauteur, intensité, timbre.
c. Raclement plus ou moins bruyant ayant pour but de libérer des mucosités.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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