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ORL

Publié le 25 oct 2024Lecture 9 min

Comprendre et traiter le jetage postérieur

Olivier MORINEAU, ORL et chirurgie cervico-faciale, Clinique Jules Verne, Nante

Le jetage postérieur est le souffre-douleur des ORL, objet de sarcasmes et de plaisanteries. Non par pure méchanceté, mais par méconnaissance de ce qu’il est. Ne pouvant ni expliquer sa présence ni (encore moins) en débarrasser ses hôtes, les ORL ont fait le choix du mépris, du rejet pur et simple. Et lorsque le jetage postérieur montre le bout de son nez chez les voisins pneumologues, le mépris qu’il suscitait va se muer en suspicion et il devient bouc émissaire. Ainsi, tandis qu’il prend de l’importance, car de symptôme, il devient curieusement syndrome (le Post Nasal Drip Syndrome des Anglo-Saxons), on le tient maintenant pour responsable de maux dont on ignore la cause : il serait pour certains le premier responsable de la toux chronique !

COMPRENDRE LE JETAGE POSTÉRIEUR   Que nous dit la littérature ? Malgré son extrême fréquence en consultation ORL de ville, le jetage postérieur (ou rhinorrhée postérieure) semble bien peu inspirant. Ainsi, on ne trouve aucun article de référence sur le sujet dans la littérature ORL francophone. Dans la littérature internationale de pneumologie, il est en revanche très célèbre, sous le nom de PNDS (Post Nasal Drip Syndrome) actualisé en UACS (Upper Airway Cough Syndrome), au point où le collège américain de pneumologie en fait la première cause de toux chronique ! Ceci est hautement discutable, mais la perception des patients n’est pas pour rien dans cette conclusion hâtive lorsqu’ils déclarent : « Ça me coule dans la gorge donc ça me fait tousser. » Mais lorsqu’on cherche à préciser ce dont on parle, il s’avère que le PNDS est une notion très nébuleuse, amalgamant toutes les causes de jetage postérieur : rhinites, sinusites voire pharyngites, et jetage idiopathique(1). Pour s’y retrouver, il faut donc d’abord préciser de quoi on parle. Car il existe des causes évidentes de jetage postérieur que l’interrogatoire, la naso-fibroscopie et si besoin le scanner vont rapidement pouvoir identifier : la rhinite aiguë infectieuse (le « rhume »), la rhinite allergique (classiquement, mais cela est discutable), la sinusite chronique infectieuse, caractérisées par un écoulement purulent perçu comme tel par le patient et parfaitement visible en fibroscopie, souvent issu du méat moyen. Enfin, la sinusite œdémato-purulente (avec ou sans polypes), aussi facile à diagnostiquer qu’elle est difficile à traiter. Cependant, lorsque le jetage postérieur constitue la plainte principale du patient, ces étiologies classiques l’expliquent dans moins de 5 % des cas. L’examen étant considéré comme normal, le jetage postérieur est alors dit « idiopathique ». C’est lui qui met les ORL en échec et c’est pour cela qu’ils l’ont « pris en grippe » et qu’ils le raillent sans cesse. Les patients le décrivent comme épais, blanc (c’est-à-dire muqueux, non purulent) et collant. Ce caractère collant le rend très désagréable, car il occasionne une gêne persistante et très souvent un hemmage itératif, exaspérant pour l’entourage. Quelle peut donc être l’origine de ce symptôme au combien fréquent ?   PHYSIOPATHOLOGIE DU REFLUX PHARYNGOLARYNGÉ (RPL)   Les mécanismes aboutissant aux symptômes extra-œsophagiens du reflux diffèrent notablement de ceux concernant le reflux gastro-œsophagien (RGO). Ainsi, alors que le RGO est le plus souvent dû à une hypotonie du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO), le RPL est essentiellement secondaire à une relaxation transitoire du SIO, d’où des épisodes essentiellement diurnes et sans rapport avec l’âge ou le surpoids. De plus, alors que l’acide gastrique sous forme liquide est le facteur essentiel d’apparition des symptômes du RGO (pyrosis et régurgitations), cette acidité, qui atteint rarement la sphère ORL, est maintenant considérée comme secondaire dans l’apparition du RPL. En effet, c’est la pepsine, la principale enzyme gastrique, protéolytique, qui est actuellement considérée comme la première responsable de l’inflammation muqueuse dont découlent les symptômes. Son caractère aéroporté explique qu’elle puisse très facilement coloniser la gorge, mais également la cavité buccale, les fosses nasales et les sinus, et même l’oreille moyenne(2). Cette notion est essentielle pour comprendre que le RPL peut ainsi impacter l’ensemble de la sphère ORL. Il a été démontré que la pepsine colonise la muqueuse des VADS, y compris en intracellulaire et que par différents mécanismes, elle est responsable d’une in - flammation muqueuse(3). Son activité et donc sa toxicité sont d’autant plus importantes que le pH du milieu est acide, d’où l’importance de l’alimentation acide dans la symptomatologie.   COMMENT APPARAÎT LE JETAGE POSTÉRIEUR   Il faut maintenant s’intéresser à une région obscure, dont l’existence même est rarement connue des patients : le cavum (ou rhinopharynx). Cette région carrefour présente à sa face postérieure 2 muqueuses différentes (figure 1) : en bas un épithélium malpighien commun au pharynx et à la cavité buccale et en haut un épithélium respiratoire, commun à l’ensemble des voies respiratoires, beaucoup plus vulnérable. La distinction entre ces épithéliums, non visible macroscopiquement lorsque les muqueuses sont saines, l’est franchement lorsqu’une inflammation rend l’épithélium respiratoire érythémateux et œdématié. Figure  1. Répartition des différents épithéliums des voies aéro- digestives. On constate que la transition entre ces épithéliums se fait à mi-hauteur du cavum.   C’est la grande sensibilité de cette muqueuse respiratoire qui explique que, pour une même agression par la pepsine aéroportée due à un reflux, une réaction inflammatoire beaucoup plus marquée va être observée dans la partie haute du cavum. Cette inflammation (qui peut intéresser le reste du cavum et l’arrière des fosses nasales) est directement responsable d’une production de mucus épais et collant : le jetage postérieur (figure 2). Figure  2. Vues endoscopiques d’un cavum bicolore, dont la partie supérieure correspond à la muqueuse respiratoire inflammée par le reflux. Le mucus épais sécrété par cette muqueuse inflammée constitue le jetage postérieur.   COMMENT DIAGNOSTIQUER LE RPL CAUSAL   (Pour plus de précisions, se référer à l’article de F. Bobin sur le reflux laryngopharyngé du numéro 372 de la revue OPA pratique.) L’interrogatoire va rechercher les symptômes en faveur d’un RPL, aussi nombreux qu’aspécifiques puisqu’ils sont tous le reflet d’une inflammation : globus, hemmage, maux de gorge, enrouement, toux, catarrhe tubaire, glossodynie, rhinite pseudo-allergique, sinusalgies… On cherchera également les symptômes de RGO (pyrosis et régurgitations), qui s’associe au RPL dans 20 % des cas. L’examen clinique, outre le cavum bicolore, recherchera un classique érythème de la margelle postérieure du larynx, mais également un œdème de la commissure postérieure, un érythème des piliers antérieurs, une inflammation de la paroi postérieure de l’oropharynx… L’utilisation des scores de symptômes (RSS) et d’examen (RSA) rendra plus rigoureux l’interrogatoire et l’examen initial, autant qu’elle facilitera l’évaluation de l’efficacité du traitement. Les examens paracliniques, dramatiquement peu disponibles en France, reposent idéalement sur le Peptest (dosage salivaire quantitatif de la pepsine, non invasif) et sur la pH-impédancemétrie des 24 heures, référence indiscutable de l’exploration du RPL.   TRAITER LE JETAGE POSTÉRIEUR   Les règles hygiéno-diététiques (RHD) Elles sont importantes, incluant la limitation de la consommation de caféine (café, thé, boissons énergisantes), de chocolat, d’alcool et de boissons gazeuses, qui tous favorisent les relaxations transitoires du SIO. Le stress est un facteur favorisant, parfois prédominant, et sa prise en charge doit être encouragée. En revanche, les conseils classiques posturaux (dormir demi-assis, se baisser en pliant les genoux…) sont sans intérêt dans le RPL s’il n’est pas associé à un RGO. Les aliments acides (agissant comme le carburant de la pepsine) peuvent avoir une réelle incidence, notamment pour les irritations pharyngées ou stomatodynies. On peut donc conseiller de consommer raisonnablement les fruits, les compotes… et surtout, de vraiment limiter les sodas et le citron.   Les IPP Même si la littérature n’est pas abondante sur le sujet, deux essais randomisés ont montré une efficacité franche des IPP sur le jetage postérieur par rapport au placebo(4,5). En pratique courante, ils se révèlent de fait souvent efficaces (et bien tolérés, malgré les polémiques), à condition d’être bien prescrits : à dose suffisante (un dosage de 40 mg/j est le plus souvent nécessaire), au minimum pendant 2, voire 3 mois, car les symptômes régressent tardivement (il faut d’ailleurs en prévenir les patients pour qu’ils persévèrent !), et le matin plutôt que le soir. En effet, les IPP bloquent la sécrétion acide de l’estomac, sécrétion qui se produit quasi exclusivement pendant les repas. L’efficacité optimale des IPP étant obtenue 1 à 3 heures après leur prise, ils devront logiquement être pris plusieurs heures avant le déjeuner et le dîner (qui précèdent l’essentiel des reflux chez la plupart des patients) donc autour du petit déjeuner.   Les antiacides Sels d’aluminium (Maalox®, Moxydar®…), le surcalfate (Kéal®, Ulcar®) et surtout les alginates (Gaviscon®, qui forme une chape de gel surnageant dans l’estomac), pris en systématique en postprandial, peuvent être d’une grande utilité. On rappelle, en effet, que les reflux du RPL sont quasi exclusivement diurnes, et se concentrent souvent dans les heures qui suivent le déjeuner et le dîner.   Le bicarbonate Sous différentes formes, le bicarbonate est le seul traitement connu permettant de détruire la pepsine, en obtenant un pH salivaire supérieur à 8. Le Respimer contient du bicarbonate qu’il dépose dans le cavum, mais avec un temps de contact très court. Les pastilles Vichy en libérant du bicarbonate, permettent d’obtenir une alcalinisation salivaire. Surtout, le Gaviscon® en comprimés (contenant 40 fois plus de bicarbonate qu’une pastille Vichy !), utilisé comme un bonbon, non croqué, est incontestablement plus performant. Des aérosols de bicarbonate par nébuliseur ultrasonique (10 minutes matin et soir pendant 1 mois par exemple) peuvent également être proposés en cas de symptômes naso-sinusiens invalidants du RPL, notamment des sinusalgies à répétition. Leur bénéfice est parfois spectaculaire, mais ils peuvent sembler trop contraignants pour être proposés dans le cadre d’un simple jetage postérieur isolé.   Les traitements chirurgicaux Comprenant les classiques fundoplicatures de Nissen ou Toupet, autant que des traitements moins invasifs comme le Linx ou le TIF (très peu développés en France), les traitements chirurgicaux sont potentiellement très performants, mais leur efficacité contre le RPL spécifiquement n’a à ce jour pas été prouvée et leurs indications restent de ce fait limitées, à discuter au cas par cas.   STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE   Schématiquement, on peut proposer en première intention soit les IPP, soit le Gaviscon® (idéalement 1 comprimé à croquer ET 1 à sucer après les repas), en association avec les RHD. Le traitement devra être prolongé (2 mois au minimum) puis réévalué et adapté de façon personnalisée. On pourra alors notamment associer IPP et Gaviscon® si nécessaire. Bien sûr, l’idéal est de disposer d’une pH-impédancemétrie permettant de connaître le caractère acide ou non des reflux et leur chronologie vis-à-vis des repas. Tout ceci s’applique au jetage postérieur comme à l’ensemble des autres symptômes liés au RPL.   CONCLUSION   • Le fait de comprendre l’origine du jetage postérieur doit nous inciter à le prendre en charge, plutôt que de le mépriser et de l’ignorer comme nous le faisons bien trop souvent. Tous les ORL ont les moyens, simplement par l’interrogatoire et l’examen clinique, de suspecter un reflux causal. • Ils ont également en main les outils thérapeutiques (RHD, IPP, alginates…) qui, sous réserve de persévérance et de personnalisation, pourront (enfin !) soulager la grande majorité des patients. L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.   Pour en savoir plus 1. Morice AH. Post-nasal drip syndrome—a symptom to be sniffed at? Pulm Pharmacol Ther 2004 ; 17(6) : 343-5. 2. Tasker A et al. Reflux of gastric juice and glue ear in children. Lancet 2002 ; 359 (9305) : 493. 3. Samuels TL, Johnston N. 2009. Pepsin as a causal agent of inflammation during nonacidic reflux. Otolaryngol. Head Neck Surg 141 : 559-63. 4. Pawar S et al. Treatment of postnasal drip with proton pump inhibitors: a prospective, randomized, placebo-controlled study. Am J Rhinol 2007 ; 21(6) : 695-701. 5. Vaezi MF et al. Proton pump inhibitor therapy improves symptoms in postnasal drainage. Gastroenterology 2010 ; 139(6) : 1887-93.

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