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Allergie alimentaire

Publié le 28 fév 2025Lecture 9 min

Rôle du microbiote du lait maternel dans la première colonisation microbienne chez les nouveau-nés

Élise DHILLY, Martin LARSEN, Sorbonne Université, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) U1135, Centre d’Immunologie et des Maladies Infectieuses (CIMI-Paris), Paris

La mise en place du microbiote chez l’enfant est étroitement liée au développement de son système immunitaire et peut être impliquée dans la pathogenèse de maladies ultérieures. L’allaitement est l’un des facteurs les plus déterminants dans la colonisation du microbiote au début de la vie (figure 1)(1). Le lait maternel est composé d’oligosaccharides, d’anticorps, de peptides antimicrobiens et de micro-organismes qui influencent la colonisation du microbiote intestinal. Nous allons examiner l’impact de l’allaitement sur l’établissement du microbiote, sa composition, ainsi que les facteurs qui contribuent à ses effets bénéfiques.

MISE EN PLACE DU MICROBIOTE INTESTINAL AU DÉBUT DE LA VIE   Un rôle essentiel Les micro-organismes colonisent diverses parties de notre corps, comme la peau, la cavité buccale, le vagin et le tractus gastro-intestinal. La plus grande concentration de micro-organismes se trouve dans le côlon, où résident environ 1014 microbes, incluant bactéries, archées et champignons. Ces microbes participent à la digestion, la production de vitamines, la protection contre les pathogènes et le maintien du système immunitaire de l’hôte. Un déséquilibre du microbiote peut entraîner l’apparition de maladies inflammatoires et d’allergies(2).   Un effet sur la maturation immunitaire La colonisation débute après la naissance, avec des micro-organismes provenant de la mère et de l’environnement. La mise en place du microbiote intestinal joue un rôle crucial dans la maturation du système immunitaire de l’enfant. Les tissus lymphoïdes associés au tube digestif des animaux axéniques sont fortement affectés, notamment avec les plaques de Peyer du tube digestif dépourvues de centres germinatifs structurés et une quasi-absence de cellules B exprimant l’IgA(3). La composition du microbiote évolue au cours des premières années pour finalement converger vers une composition adulte autour de trois ans. Ces variations de composition sont influencées par de nombreux facteurs d’expositions (figure 1). Figure 1. Facteurs les plus déterminants dans l'établissement du microbiote chez l'enfant.   Un de ces facteurs est le mode d’accouchement. Les nourrissons nés par voie vaginale ont un microbiote enrichi en Escherichia, Bacteroides et Bifidobacterium, tandis que ceux nés par césarienne sont colonisés par Enterococcus, Streptococcus, Staphylococcus et Klebsiella(4). Le type d’alimentation (lait maternel ou maternisé) joue également un rôle majeur. Le lait maternel favorise un microbiote riche en Bifidobacterium et Lactobacillus comparé aux enfants nourris avec du lait maternisé(6). D’autres facteurs comme la prise d’antibiotiques, l’alimentation de la mère, la présence de frères et sœurs, ou le contact avec les animaux influencent la mise en place du microbiote au début de la vie(1,4,5).   LE LAIT MATERNEL : ACTEUR MAJEUR DU DÉVELOPPEMENT DU MICROBIOTE CHEZ L’ENFANT   Les bienfaits d’une alimentation au lait maternel au début de la vie de l’enfant sont désormais largement reconnus. C’est pourquoi, l’OMS recommande un allaitement exclusif pour une durée de six mois, pouvant être poursuivi jusqu’à l’âge de deux ans ou plus. L’origine des bénéfices du lait maternel sont multiples et s’expliquent en grande partie par la présence des oligosaccharides du lait maternel (HMO), des lipides, des vitamines, des minéraux, de lactoferrine, d’anticorps adaptés aux besoins de l’enfant et à l’équilibre de son microbiote en développement. Plus récemment, la présence d’un microbiote dans le lait maternel a été découverte. Bien que faible en quantité, il est néanmoins diversifié et capable de coloniser le nourrisson(5). Bien que l’allaitement maternel soit recommandé, il n’est pas toujours possible ou adapté. C’est pourquoi de nombreux parents se tournent vers l’utilisation de lait maternisé provenant généralement de lait de vache supplémenté en fer, nucléotides et matière grasse. Les fabricants tentent d’imiter au mieux la composition du lait humain en ajoutant de nouveaux ingrédients. Toutefois, l’ajout de nouveaux ingrédients peut se révéler complexe : biodisponibilité, potentiel de toxicité et pratique d’un allaitement mixte. Le lait maternisé ne possède donc pas la plupart des molécules bio-actives du lait maternel (peptides antimicrobiens, cytokines, chémokines, immunoglobulines, oligosaccharides, facteurs de croissance, glycoprotéines) qui participent au développement du système immunitaire de l’enfant et qui le protègent d’infection par des pathogènes(6).   Oligosaccharides du lait maternel (HMO) Les HMO sont des oligosaccharides spécifiques au lait maternel composés de 3 à 32 sucres et synthétisés grâce à des glycosyltransférases. Ils sont indigestibles par l’enfant et agissent en tant que prébiotiques en étant fermentés en acide gras à chaîne courte (AGCC) et en lactate par des bactéries bénéfiques à l’enfant, principalement les Bifidobacterium. Les HMO peuvent également inhiber l’invasion de pathogènes en se liant à leurs récepteurs à la place des oligosaccharides de la surface intestinale de l’enfant. Les structures spécifiques des HMO présents dans le lait maternel varient en fonction de différences génétiques chez les mères. Ainsi, certaines structures spécifiques de HMO protègent mieux contre les diarrhées provoquées par certains pathogènes(7). Il a également été montré que les enfants allaités par des mères qui ne produisent pas la fucosyltransférase FUT2, participant à la production de HMO, présentent un retard dans la colonisation par les Bifidobactéries(8).   Peptides antimicrobiens et lactoferrine Les protéines et peptides antimicrobiens du lait maternel participent à la modulation du microbiote intestinal de l’enfant. Le lait maternel contient plusieurs centaines de peptides provenant de protéines qui sont clivées en partie directement dans la glande mammaire par des protéases du lait mais aussi dans le système digestif de l’enfant. Une partie de ces peptides sont biologiquement inertes, cependant certains d’entre eux possèdent des propriétés antimicrobiennes, immunomodulatrices ou bifidogéniques. Les peptides antimicrobiens sont des molécules amphipathiques de 6 à 100 acides aminés avec une charge positive de +2 à +9. Cette charge nette positive dirige les peptides vers la charge négative de la membrane bactérienne, qu’ils déstabilisent. Parmi les protéines bioactives à importance immunologique présentes dans le lait maternel, on trouve la lactoferrine, dont le lait constitue la principale source pour le nouveau-né (2-5 g/L). Cette glycoprotéine protège l’intestin du nourrisson grâce à son effet bactéricide, en séquestrant le fer nécessaire à la survie et à la croissance des bactéries. La lactoferrine est capable de se lier aux lipoprotéines de la membrane de la bactérie en formant des complexes récepteurs qui inhibent l’absorption de fer et déstabilisent la membrane en libérant des lipopolysaccharides de la membrane des bactéries gram négatives(9). Par ailleurs, la quantité de lactoferrine est corrélée positivement avec la présence de bactéries commensales gram positive (Bifidobacteria et Lactobacilli) dans les selles des enfants durant la première semaine de vie(10). Après le sevrage, la lactoferrine sera synthétisée chez l’enfant par les épithéliums glandulaires et par les neutrophiles polynucléaires au cours de leurs différenciation.   De multiples anticorps Le lait maternel contient des IgA, IgG et IgM. L’immunoglobuline dominante du lait est l’IgA sous sa forme sécrétoire (IgAs) qui est commune aux sécrétions mucosales. La structure de l’IgA la rend résistante et stable, lui permettant de neutraliser les pathogènes avant qu’ils puissent rentrer en contact avec les cellules épithéliales. Une autre fonction des IgAs est de favoriser la colonisation de certains microorganismes commensaux par un mécanisme d’inclusion immunitaire. Ce mecanisme consiste a lier les micro-organismes au mucus intestinal afin de former des niches environnementales(11). Les IgAs retrouvées dans le lait sont produites par des plasmocytes dans la glande mammaire provenant des muqueuses de la mère, principalement l’intestin et la voie respiratoire. La présence d’IgAs dans le lait maternel protège ainsi l’enfant, qui n’en produit pas encore, contre les pathogènes spécifiques à son environnement et promeut la colonisation de son intestin par des bactéries bénéfiques.   MICROBIOTE DU LAIT MATERNEL   Le lait maternel est également une source de bactéries pour le nouveau-né. La communauté microbienne retrouvée dans le lait évolue au cours du temps. Ainsi, le microbiote du colostrum est plus divers que le lait mature. Le colostrum est dominé par Streptococcus, Staphylococcus et les bactéries lactiques(5,12). Après un mois, l’abondance des Staphylococcus diminue au profit des bactéries lactiques(13). Il existe une variation interindividuelle non négligeable de la composition du microbiote du lait qui s’explique principalement par le mode d’allaitement utilisé : directement au sein ou en bouteille grâce à une pompe. Ainsi, le lait maternel pompé possède une abondance plus faible en Bifidobacterium que le lait directement au sein(14). En somme, le lait maternel participe à la mise en place du microbiote chez le nouveau-né directement avec le microbiote du lait, mais aussi indirectement avec des facteurs qui affectent la croissance et le métabolisme des bactéries comme les HMO, l'IgA, la lactoferrine ou les peptides antimicrobiens.   Une origine controversée : contamination, transfert rétrograde ou translocation ? L’origine des micro-organismes retrouvés dans le lait maternel est toujours débattue. Leur présence dans le lait pourrait s’expliquer par une contamination provenant de la peau, de la salive de l’enfant ou de l’environnement (figure 2). En effet, il a été montré que la quantité de bactéries diminue au cours des premiers 15 mL de lait extrait, montrant que le lait le plus proche de l’extérieur contient plus de bactéries(15). Il existe également une hypothèse appelée le « transfert rétrograde » qui suppose que le microbiote de la bouche de l’enfant pourrait coloniser les canaux galactophores de la mère lors de la tétée. En effet, il a été montré qu’un retour de flux du lait avait lieu entre la bouche et les canaux mammaires. Ce phénomène pourrait potentiellement expliquer l’identification, dans certaines études, de bactéries généralement présentes dans la cavité orale au sein du lait maternel (Veillonella, Leptotrichia et Prevotella)(13). Figure 2. Hypothèses de l’origine du microbiote du lait (d’après(12,14)).   Toutefois, il a également été montré chez des souris que les bactéries spécifiques consommées oralement par les mères étaient retrouvées dans leur lait(16). Une hypothèse expliquant la présence de ces bactéries est appelée « la voie entéromammaire »(12). Elle suppose qu’il existe une voie médiée par des cellules dendritiques pouvant transloquer des bactéries du tractus gastro-intestinal vers la glande mammaire dans laquelle les bactéries pourraient coloniser des niches mammaires. Cette translocation aurait lieu durant la fin de la grossesse, lorsque les jonctions serrées du tractus intestinal sont altérées.   Une protection contre les allergies La consommation de lait maternel est associée à une diminution du risque d’allergies chez l’enfant (asthme, eczéma, rhinites)(17-19). De plus, l’allaitement maternel au sein réduit plus efficacement le risque d’asthme chez l’enfant que l’allaitement indirect, ce dernier offrant une protection intermédiaire comparée à celle du lait artificiel(17). La protection contre les allergies offerte par le lait maternel s’explique par sa capacité à réguler la colonisation du microbiote au début de la vie. Il favorise la croissance de bactéries commensales grâce aux HMO et aux IgAs, limite la présence de bactéries pathogènes via les IgAs, la lactoferrine et les peptides antimicrobiens, tout en contribuant directement à la colonisation avec son propre microbiote. L’importance fonctionnelle du microbiote du lait dans l’établissement du microbiote de l’enfant reste encore mal comprise. Le microbiote du lait pourrait agir comme un probiotique permettant de favoriser l’installation de bactéries commensales dans l’intestin de l’enfant. Une régulation de la composition du microbiote du lait maternel pourrait participer à prévenir l’apparition d’allergies chez l’enfant. Il a été observé que le lait des mères d’enfants allergiques présente un microbiote différent et moins diversifié que celui des mères d’enfants non allergiques(20,21). De la même façon, certains genres bénéfiques comme Bifidobacterium, Clostridium sensu stricto et Akkermansia sont moins abondants dans le lait des mères ayant un enfant développant une allergie alimentaire(20).   CONCLUSION   • La mise en place du microbiote joue un rôle crucial dans la maturation du système immunitaire de l’enfant et l’allaitement est l’un des facteurs les plus déterminants dans la colonisation. • Le lait maternel participe à la colonisation directement avec le microbiote du lait mais aussi indirectement avec des facteurs qui affectent la croissance et le métabolisme des bactéries. • L’origine du microbiote présent dans le lait est toujours débattue : contamination, microbiote de la peau, transfert rétrograde ou voie entéro-mammaire. • La composition du microbiote du lait maternel pourrait influencer l’apparition d’allergies chez l’enfant.

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