Publié le 22 sep 2014Lecture 9 min
La ville, un environnement bruyant : quel retentissement sur l'enfant ?
M. BLANCHARD, B. THIERRY, N. GARABÉDIAN, Service d’ORL pédiatrique et de chirurgie de la face et du cou, AP-HP, Université Paris VI, INSERM U587, Hôpital d’Enfants Armand Trousseau, Paris
À l’environnement bruyant des villes, dont on connaît en fait assez peu le retentissement chez les enfants, peuvent s’ajouter les stress sonores volontaires à fort niveau en décibels qu’ils s’infligent. L’apparition d’une...
Définitions Le son Le son est une variation périodique de pression exercée sur une surface. La fréquence est exprimée en Hertz (nombre de périodes par seconde). L’oreille de l’enfant perçoit les sons entre 20 et 20 000 Hz. L’intensité du son correspond à l’amplitude de variation. Elle se mesure en watt par mètre carré (W/m2). On utilise pour mesurer et représenter cette intensité une échelle logarithmique dont l’unité est le décibel (dB). Le bruit Le bruit est un son non désiré, désagréable et gênant ou ayant des répercussions néfastes, soit sur l’oreille elle-même, soit sur l’organisme entier. Les effets du bruit sur l’organisme sont fonction de la fréquence, de l’intensité, de la durée d’exposition et de la répétition de ce bruit. L’exposition au bruit L’activité humaine est bruyante et exacerbée dans les zones de densité importante, a fortiori dans les villes où la densité est maximale. Pour mémoire, les densités de Paris, Lyon et Marseille sont respectivement de 21 000, 10 000 et 3 500 habitants/km2, alors qu’elle n’est que de 114 habitants/km2 pour la France entière*. Le bruit, tel qu’il a été défini, peut être soit subi, c’est le bruit de la rue, de la sirène des pompiers, de la cantine, de la cour de récréation ou le bruit du gymnase ; soit infligé, c’est très majoritairement l’utilisation inappropriée des lecteurs de musique portables en intensité et en durée, puis pour les plus grands, la musique de bars ou de discothèques, etc. Effets du bruit sur l’organisme L’exposition au bruit est la cause principale de surdité de perception évitable. Mais elle est aussi la cause de manifestations extraauditives ayant des répercussions sur les capacités de concentration et de mémorisation. Effets sur le système auditif Baladeurs et surdité d’installation progressive Plusieurs instances médicales, en particulier l’Académie nationale de médecine(1), ont fait part de leur inquiétude devant ce qui semble être une augmentation de l’incidence des pertes auditives constatées chez des sujets jeunes soumis à un dépistage, notamment au moment du service national(2,3). Il a été montré que l’exposition d’une heure à des intensités modérées entraînait une fatigue auditive chez l’adulte. L’usage inconsidéré d’équipements musicaux individuels constitue un facteur de risque pour l’audition. Des enquêtes audiométriques ont montré qu’une fatigue auditive pouvait apparaître après l’utilisation d’équipements musicaux individuels : l’écoute pendant une heure d’un niveau continu équivalent de 89 dB(A) (hard rock) et de 94 dB(A) (musique classique) émis au moyen d’un lecteur portable de disque laser associé à des écouteurs de qualité standard est à l’origine d’une fatigue auditive, statistiquement significative (p < 0,05), de 5 dB à 4 kHz(1). Ces résultats mettent en évidence l’existence d’une fatigue auditive très modérée, après une heure d’écoute, pour les niveaux acoustiques choisis. Il faut souligner que la présence d’une fatigue auditive, par définition réversible, n’implique pas qu’une perte auditive irréversible apparaîtra si l’exposition se prolonge. Il s’agit-là d’un mécanisme physiologique normal, dont la survenue peut précéder de beaucoup le stade à partir duquel un risque de perte auditive définitive existe. Cependant, devant l’apparition d’une fatigue auditive dans les conditions indiquées ci-dessus, il est raisonnable de mettre en garde contre un risque de déficit auditif définitif en cas d’exposition prolongée, répétée et à des niveaux intenses. Il a été montré que l’exposition de 8 heures à des intensités modérées entraînait déjà des lésions cochléaires irréversibles et une surdité induite(4,5). Ces lésions sont moins importantes, à la même intensité sonore, en cas d’exposition discontinue(6). Ces études ont été réalisées chez l’adulte. Ces répercussions sont d’autant plus préoccupantes chez l’enfant, en phase d’acquisition. Certains facteurs de risque de surdité induite par le bruit ont été identifiés : les antécédents otitiques et les traumatismes crâniens. En 1997, le Centre de recherche du service de santé des armées (CRSSA) a mené chez 1 208 jeunes de 18-24 ans une étude qui montre que les pertes d’audition générées par les baladeurs et les concerts dans cette tranche d’âge sont essentiellement liées à l’existence d’une vulnérabilité du système auditif chez les sujets ayant eu des otites et des traumatismes crâniens. Ces sujets perdent en moyenne 11 dB de plus que les sujets exposés sans ces facteurs de risque. Cette étude montre aussi que les conditions de vie urbaine (vs campagne) élèvent les seuils auditifs(7). D’autres facteurs de risque sont encore à l’étude, notamment les facteurs génétiques. Traumatisme sonore aigu Le traumatisme sonore aigu : – suite à un concert, une sortie en discothèque, une alarme intempestive, une explosion… – est une entité à part entière dont les mécanismes physiopathologiques sont très différents de ceux de l’exposition chronique au bruit. Il ne sera donc pas traité ici. Effets extra-auditifs Sur le sommeil Sous l’effet du bruit, il peut survenir des changements immédiats dans la structure du sommeil et notamment des changements de stades de sommeil(8). Ces changements de stades se font au détriment des stades les plus profonds et au bénéfice des stades les plus légers. Bien qu’encore non déterminées de façon irréfutable, les fonctions du sommeil à ondes lentes et du sommeil paradoxal semblent être essentielles pour la croissance et le développement harmonieux de l’organisme, ainsi que pour la récupération de la fatigue physique ou mentale. En utilisant les stimulations sonores, on constate l'existence d'une nette hyporéactivité électroencéphalographique de l'enfant et les seuils d’éveil sont chez lui de 10 dB(A) plus élevés en moyenne que chez les adultes(9). En d’autres termes, l’enfant réagit peu aux perturbations sonores une fois endormi mais il se plaint rarement d’avoir mal dormi en raison du bruit ambiant. L’organisme de l’enfant endormi reste sensible aux perturbations acoustiques se manifestant au cours de son sommeil, en dépit de l’absence de plainte exprimée. Après avoir pratiqué une réduction du bruit ambiant de l'ordre de 10 dB(A), J.C. Eberhardt et coll. observent une réduction du temps mis pour s'endormir, ainsi qu'une légère augmentation du sommeil paradoxal chez des enfants habitués à dormir à proximité d'une rue à fort trafic nocturne(10). Dans la récente étude européenne (RANCH), il est suggéré que la perturbation du sommeil de l'enfant se réalise pour des niveaux d'exposition au bruit supérieurs à ceux qui perturbent le sommeil chez l'adulte. Toutefois, rien ne permet de dire à l'heure actuelle quel est l'effet à long terme sur la santé de l'enfant exposé aux bruits nocturnes, car dans ce domaine, beaucoup reste à faire. Sur le système végétatif Le bruit entraîne une réponse non spécifique du système cardiovasculaire en accélérant la fréquence cardiaque et en provoquant une vasoconstriction. Ces modifications cardiovasculaires sont propices à l’élévation de la pression artérielle et celle-ci peut être élevée de façon permanente chez des populations soumises de manière chronique à des niveaux de bruit élevés(11,12). Le bruit entraîne également une accélération du rythme respiratoire sous l’effet de la surprise. La stimulation acoustique provoque aussi des modifications du système digestif. Les plus fréquentes sont une diminution de la fonction salivaire et du transit intestinal. Les modifications de la sécrétion et de la composition du suc gastrique peuvent constituer le lit de l’ulcère gastrique ou duodénal. Si l’effet de l’exposition au bruit sur le système cardiovasculaire est fortement plausible, on ne sait pas si cette relation est directe (l’exposition durable au bruit influençant la pression artérielle), ou indirecte par le biais du stress généré par le bruit, lequel se traduit par une augmentation de la sécrétion des hormones vasopressives. Sur le système endocrinien Plusieurs études se sont attachées à mesurer l'impact possible du bruit sur le système hormonal de l'enfant. Les résultats de ces études sont parfois contradictoires et les effets observés sont généralement de faible amplitude. Des auteurs rapportent des modifications des taux de cortisol urinaire et salivaire, de même qu’une augmentation des catécholamines urinaires chez des enfants exposés de façon chronique au bruit notamment nocturne (routier, ferroviaire, avion). Chez les enfants, cette augmentation des taux hormonaux est accompagnée par une détérioration des capacités cognitives de mémorisation et de réalisation de tâches complexes(13-16). Dommages psychologiques Le bruit n'est probablement pas associé à l'existence de troubles mentaux marqués chez l'enfant, mais il peut toutefois affecter son bien-être et contribuer à l'état de stress chez celui-ci(17). Dans une étude londonienne, aucune association n'a ainsi été trouvée entre l'exposition chronique de l'enfant à des bruits d'avions et l'existence d'une détresse psychique(17). Dans une étude ultérieure plus large, toutefois, les mêmes auteurs ont relevé des niveaux plus élevés de détresse psychique chez des enfants qui sont exposés au bruit de façon chronique(18). Il a été suggéré que les enfants pouvaient être plus sensibles au bruit que les adultes en raison de leur exposition au bruit lors de périodes critiques de leur développement et de leur moindre capacité à se protéger ou se soustraire à l'influence du bruit ambiant. Conclusion Les nuisances sonores n’ont pas seulement une répercussion sur le système auditif de l’enfant, mais aussi sur le développement intellectuel et même somatique. Il s’agit d’un véritable problème de santé publique. Pour plus d'informations : (rapports et législation) • Impacts sanitaires du bruit. État des lieux. Indicateurs bruit-santé. Rapport du groupe d’experts. Agence française de sécurité sanitaire environnementale. Novembre 2004. • Loi bruit : la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 a été codifiée dans le code de l’environnement (articles L. 571-1 et suivants). • Arrêté du 9 janvier 1995 relatif à la limitation du bruit dans les établissements d'enseignement. • Circulaire du 28 décembre 2004 relative à la mise en oeuvre du plan national de lutte contre le bruit – réhabilitation acoustique des établissements recevant des jeunes enfants.
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