Publié le 07 aoû 2011Lecture 10 min
Actualité des allergies polliniques
Les pollens constituent le deuxième pneumallergène des régions tempérées, responsables de symptômes d’allergie. Appelée « rhume des foins » (« hay fever » ou fièvre des foins) par les Anglo-Saxons, cette affection est dénommée « pollinose » ou « allergie pollinique » dans la nomenclature française. Même si globalement ces allergies ne sont pas graves, elles compromettent la qualité de vie. Un peu d’histoire. Entre 1859 et 1874, Charles Harrison Blackley (1820-1900), atteint de rhume des foins (catarrhus aestivus), étudia ses symptômes( 1). Pour démontrer que le pollen était en cause, il construisit un cerf-volant muni d’une surface adhésive de dimension fixe qu’il exposait dans les endroits à étudier. Il comptait le nombre de grains de pollen recueillis et, à proximité de son capteur, évaluait ses symptômes en fonction du nombre de grains captés. Sa conclusion fut que les pollens des herbes en fleur – et non le foin coupé – étaient les responsables. Il montra aussi qu’un temps pluvieux diminuait les symptômes et que la chaleur, la sécheresse et le vent augmentaient la multiplication et la dissémination du pollen. Une fréquence en nette augmentation. La fréquence (prévalence) des allergies polliniques a considérablement augmenté en 30 ans. • Au cours de l’étude ISAAC
G. DUTAU, Toulouse Les pollens constituent le deuxième pneumallergène des régions tempérées, responsables de symptômes d’allergie. Appelée « rhume des foins » (« hay fever » ou fièvre des foins) par les Anglo-Saxons, cette affection est dénommée « pollinose » ou « allergie pollinique » dans la nomenclature française. Même si globalement ces allergies ne sont pas graves, elles compromettent la qualité de vie. Un peu d’histoire Entre 1859 et 1874, Charles Harrison Blackley (1820-1900), atteint de rhume des foins (catarrhus aestivus), étudia ses symptômes (1). Pour démontrer que le pollen était en cause, il construisit un cerf-volant muni d’une surface adhésive de dimension fixe qu’il exposait dans les endroits à étudier. Il comptait le nombre de grains de pollen recueillis et, à proximité de son capteur, évaluait ses symptômes en fonction du nombre de grains captés. Figure 1. La « marche allergique ». Sa conclusion fut que les pollens des herbes en fleur – et non le foin coupé – étaient les responsables. Il montra aussi qu’un temps pluvieux diminuait les symptômes et que la chaleur, la sécheresse et le vent augmentaient la multiplication et la dissémination du pollen. Une fréquence en nette augmentation La fréquence (prévalence) des allergies polliniques a considérablement augmenté en 30 ans. • Au cours de l’étude ISAAC (International Study of Asthma and Allergies in Childhood), la prévalence moyenne de la rhinite associée à une conjonctivite au cours de l’année écoulée a varié de 0,8 à 14,9 % chez les enfants âgés de 6-7 ans et de 1,4 à 39,7 % chez les adolescents de 13-14 ans. • En France, chez les enfants de 6-7 ans, elle était estimée à 9,1 % à Bordeaux. Chez les adolescents de 13-14 ans, elle oscillait entre 11 % (à Marseille) et 27,1 % (à Montpellier) (2,3). • Parmi les études séquentielles, chez les étudiants parisiens, R. Liard et coll. (4) observent que la prévalence de la rhinite allergique est passée de 3,8 % (1968) à 10,2 % (1982) et 28,5 % (1995), soit une multiplication par 7. La prévalence de l’asthme a augmenté de 3,3 % (1968) à 13,9 % (1995), soit une multiplication par 3. Ces chiffres traduisent l’épidémie d’allergies observée au cours des 30 dernières années. Toutefois, la fréquence de la rhinite allergique tend à se stabiliser. Les symptômes des allergies polliniques : du nouveau ? Les symptômes Le tableau typique associe une rhinite (95-100 %), une conjonctivite (70-80 %), un asthme (50 %), parfois une sinusite, un malaise général, un état subfébrile (38 °C) et une urticaire. C’est classiquement une manifestation tardive de l’atopie (vers 10-15 ans) conformément aux étapes de la « marche allergique » (figure 1). Toutefois, les rhinites allergiques (toutes causes confondues) peuvent débuter très tôt. Par exemple, dans une cohorte de 1 850 nourrissons, 10 % avaient une rhinite allergique dans un contexte non viral. Les facteurs de risque sont l’atopie biparentale (p = 0,036), une éosinophilie sanguine ≥ 470 éléments/mm3 (p = 0,046), une sensibilisation aux pneumallergènes (p = 0,042), mais non aux aliments (5). Certains se plaignent surtout d’une obstruction nasale, d’autres ont un écoulement clair et des éternuements. Chez l’enfant, le prurit nasal entraîne des frottements du nez de haut en bas : c’est le « signe du salut de l’allergique » (figure 2). Figure 2. Signe du salut de l’allergique (A). Cicatrice linéaire transversale au-dessus de la pointe du nez par frottements répétés de bas en haut (B) (remerciements au Pr André Labbé). Les symptômes oculaires (larmoiement, écoulement, rougeur) sont souvent attribués à l’action des pollens sur la muqueuse et la conjonctive. En fait, il faut retenir la responsabilité du réflexe nerveux naso-oculaire via le ganglion trigéminé (6), ce qui pourrait expliquer que les corticoïdes intranasaux améliorent à la fois la rhinite et la conjonctivite (7). L’asthme, saisonnier ou à renforcement printanier, est présent chez 50 % des pollinosiques ; la toux et l’asthme sont souvent nocturnes, en général après quelques semaines de pollinisation. Il existe une variété d’asthme aigu grave (AAG) faisant suite aux orages ou « thunderstorm associated asthma » (8-10) (encadré 1). Classification ARIA Les allergologues opposaient naguère les rhinites saisonnières (dues surtout aux pollens) et les rhinites perannuelles (dues surtout aux acariens, blattes et phanères d’animaux). Cette distinction a été critiquée par les concepteurs du consensus ARIA (Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma) qui classe les rhinites selon leurs symptômes et troubles associés (12) (encadré 2, figure 3). Le diagnostic facile d’une affection qui reste sous-évaluée ● Le diagnostic est le plus souvent facile basé sur : – un interrogatoire simple qui précise les antécédents d’allergie, les conditions d’apparition des symptômes et d’exposition aux pollens ; – l’examen ORL, facile à l’aide d’un speculum auri, montre typiquement des sécrétions translucides et un aspect lilas et pâle de la muqueuse nasale (figure 4) ; – la positivité des tests cutanés d’allergie ou prick-tests (PT) donnant une papule nettement > 3 mm ; un ou plusieurs pollens (graminées, arbres, herbacées) suffisent en général au diagnostic. Il est inutile de tester plusieurs graminées en raison de réactions croisées entre les graminées fourragères (phléole ou dactyle) et céréalières (blé, orge, seigle) ; – les comptages des grains de pollen et le calendrier pollinique constituent une aide au diagnostic (encadré 3) ; – les dosages d’IgE sériques spécifiques sont en général inutiles, mais on recommande un dosage simple (Rast g3 dactyle ou g6 phléole) si on envisage une désensibilisation. Actuellement, les dosages d’IgE dirigées contre certains allergènes recombinants peuvent être utiles dans certaines situations de polysensibilité, uniquement prescrits par l’allergologie ; – les allergiques au pollen ont souvent une sensibilisation biologique (simple positivité des PT ou des Rasts) ou une allergie alimentaire (AA) croisée avec des aliments (par exemple, syndrome bouleaupomme). Les réactions biologiques ne nécessitent pas d’éviction alimentaire. L’arbre décisionnel est résumé dans la figure 5. ● Le diagnostic est plus difficile dans plusieurs cas : – les pollinoses de proximité surviennent au cours d’expositions surtout professionnelles (mimosa, pissenlit, plantain, mûrier à papier, cyclamen, thuya) (14,15) ; – les activités de plein air peuvent déclencher une gêne respiratoire évoquant un asthme d’effort : la gêne sifflante survient à la fin de l’effort et à la récupération, puis régresse spontanément en 10 min, et il n’y a pas de rhinite. Figure 4.Aspect pâle et lilas de la muqueuse nasale, hypertrophie du cornet inférieur, congestion de la muqueuse. Dans l’allergie pollinique, les symptômes, augmentés par l’inhalation accrue de pollen par hyperventilation, s’accompagnent de rhinite et de conjonctivite ; l’asthme s’aggrave tant que l’exposition au pollen persiste ; – la pêche en plein air peut s’accompagner de rhino-conjonctivite, d’asthme, et/ou d’urticaire : il faut penser à une allergie aux multiples appâts de pêcheur (vers de vase) (16) ! – des allergies au contact des herbes (urticaire, anaphylaxie) sont dues à des allergènes végétaux non polliniques, le plus souvent sur peau lésée ; l’effort est un cofacteur. La plupart des patients n’ont pas d’allergie pollinique(17,18) ; – l’allergie au jus de pelouse lors de la coupe du gazon se manifeste par une rhinoconjonctivite, une urticaire et une anaphylaxie (19). Elle n’est pas due à une allergie croisée avec les pollens, mais à l’inhalation d’aérosols de jus de pelouse pendant la coupe des herbes. L’allergène responsable, présent dans les feuilles et les tiges, est la sous-unité de la ribulose-1,5-diphosphate carboxylase/ oxydase (RubisCO), principal enzyme sur terre, permettant la fixation du carbone du CO2 dans la matière organique (20). – la rhino-conjonctivite par allergie à Alternaria survient surtout en juillet-août dans des endroits propices aux moisissures (sousbois, sols humides). Le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA) : les saisons des pollens Figure 5. Arbre décisionnel du diagnostic de pollinose. Une cinquantaine de sites, répartis en France, permettent d’apprécier la pollinisation en temps réel. Le nombre des grains de pollen recueillis par jour correspond à ce qu’un sujet normal peut inhaler par le nez. Donnés à la fin de chaque semaine, les résultats sont diffusés par les médias : journaux, panneaux dans les villes, Internet (figure 7). Avec les indices de pollution (ozone), ils sont utiles pour les médecins traitants et pour les patients (encadré 3). Le RNSA précise aussi le pouvoir allergisant des pollens en 6 stades de 0 à 5 (très élevé). Traitement : que faut-il conseiller ? La prise en charge comporte l’éviction, le traitement symptomatique et l’immunothérapie spécifique (ITS) ou désensibilisation. Éviction des pollens Recommander de rester à la maison est difficile. Les autres mesures (fermeture des fenêtres, extracteurs d’air dans les maisons, automobiles munies de filtres anti-pollen) ont un impact limité. Les médicaments symptomatiques • Le consensus ARIA précise la hiérarchie des traitements de la rhinite allergique en fonction de la sévérité des symptômes : – rhinite intermittente légère. Les options sont (sans préférence d’ordre) : - anti-H1 oral ou intranasal ; - vasoconstricteur local ou oral (moins de 10 jours, contre-indiqué chez l’enfant). – rhinite intermittente modérée à sévère et rhinite persistante légère. Les options sont sans préférence d’ordre : anti-H1 oral ou intranasal ; anti-H1 oral + vasoconstricteurs ; corticoïdes en intranasal. • Les patients sont revus au bout de 2 à 4 semaines : – si la rhinite reste persistante, modérée à sévère, les corticoïdes par voie intranasale sont prescrits en première intention ; – si l’obstruction nasale est importante, une corticothérapie orale ou des vasoconstricteurs en cure courte sont licites au-dessus de 10 ans. • Après 2 à 4 semaines, ces patients sont à nouveau évalués, et si les symptômes persistent : anti-H1 oral ± ipratropium. Important : l’injection intramusculaire d’un corticoïde retard est formellement contre-indiquée, en particulier à cause du risque d’atrophie musculaire au point d’injection. • Cas particuliers : – conjonctivites allergiques saisonnières : lavages oculaires fréquents avec du sérum physiologique permettant d’évacuer les allergènes polliniques, collyres anti-H1 dépourvus de conservateurs. En fait, certains corticoïdes intranasaux permettent de contrôler à la fois les symptômes nasaux et oculaires au cours de la rhinite allergique saisonnière modérée à sévère (7) ; – asthme pollinique : il est licite de prescrire 4-5 jours de corticoïdes per os, puis des corticoïdes inhalés jusqu’à la fin de la saison pollinique. Traitement de fond : les bienfaits de la désensibilisation L’ITS vis-à-vis des pollens, bien codifiée, est le seul traitement actuel capable de modifier durablement le statut immunitaire de l’allergique. Figure 7. Cartes de risque allergique pour les graminées (A), le cyprès (B) et le bouleau (C). Les indications sont les suivantes : – allergies polliniques (rhinoconjonctivite et/ou asthme) si les symptômes ne sont pas suffisamment contrôlés par un traitement médicamenteux préventif pré- et co-saisonnier par les antihistaminiques per os et les traitements locaux, et occasionnent au moins 3-4 semaines de gêne pendant la saison pollinique ; – toute aggravation des symptômes d’une année à l’autre, surtout chez des adolescents en période d’examens. Naguère, on discutait les modalités de l’ITS : par voie sous-cutanée (ITS-SC) ou par voie sublinguale (ITS-SL). En fait, l’ITS-SL a maintenant la faveur des allergologues, par gouttes ou comprimés à délitement sublingual, en particulier chez l’enfant (21). Sa durée est en moyenne de 3 ans. Ses effets bénéfiques peuvent persister plusieurs années après son arrêt : de 3 à 12 ans. Elle a également des effets préventifs vis-à-vis de l’apparition de nouvelles allergies. En pratique, il faut insister sur la précocité et la régularité du traitement protecteur. Sur avis spécialisé, un traitement par anti-IgE (omalizumab) permet d’améliorer les symptômes de rhinite et d’asthme, seul ou associé à l’ITS(22,23). Références 1. Blackley CH. Experimental researches on the causes and nature of catarrhus aestivus: hay-fever or hay-asthma. Experiments with pollens 1873, pp. 73-102. 2. Worldwide variation in prevalence of symptoms of asthma, allergic rhinoconjunctivitis and atopic eczema. The international study of asthma and allergy in childhood (ISAAC). Steering Commitee. Lancet 1998 ; 35 : 1225-32. 3. Annesi-Maesano I et al. Rev Mal Respir 1997 ; 14 (Suppl. 4) : 23-31. 4. Liard R et al. Bull Epidémiol Hebdo 1995 ; 45 : 197-8. 5. Herr M et al. Allergy 2011 ; 66(2) : 214- 21. 6. Baroody FM et al. Ann Allergy Asthma Immunol 2008 ; 100 : 194-9. 7. Prenner BM et al. 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