Publié le 07 aoû 2011Lecture 8 min
Atteintes pulmonaires interstitielles des connectivites : stratégies d’évaluation
Les pathoLogies interstitielles pulmonaires sont définies comme des affections entraînant une infiltration inflammatoire des parois alvéolaires ou septales, accompagnée d’une évolution plus ou moins marquée vers la fibrose. Cela implique une atteinte importante de l’endothélium capillaire et du revêtement épithélial alvéolaire. Les étiologies sont multiples...
Y. ALLANORE, Université Paris Descartes, rhumatologie A (hôpital Cochin) et INSERM U781 (hôpital Necker), Paris Les pathoLogies interstitielles pulmonaires sont définies comme des affections entraînant une infiltration inflammatoire des parois alvéolaires ou septales, accompagnée d’une évolution plus ou moins marquée vers la fibrose. Cela implique une atteinte importante de l’endothélium capillaire et du revêtement épithélial alvéolaire. Les étiologies sont multiples et comprennent notamment les néoplasies, les infections, les oedèmes pulmonaires lésionnels ou cardiogéniques, les pneumoconioses, l’iatrogénie, les granulomatoses et les connectivites. La prise en charge des connectivites nécessite l’évaluation de la potentielle atteinte pulmonaire interstitielle ; cependant, il faudra toujours évoquer les autres étiologies possibles avant de conclure à une atteinte spécifique de la maladie. Il faut une démarche diagnostique précise et complète afin d’évaluer l’atteinte interstitielle au cours des connectivites. Bilan étiologique Les maladies touchant plus particulièrement l’interstitium pulmonaire sont la sclérodermie systémique et les myopathies inflammatoires, le lupus systémique, le syndrome de Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde, qui se complique moins fréquemment d’atteinte interstitielle pulmonaire. Cette complication marque un tournant évolutif dans ces affections, et elle a clairement été montrée comme associée à une surmortalité dans la sclérodermie systémique et les myopathies inflammatoires. Le début est souvent insidieux et le maître symptôme est la dyspnée d’effort qu’il faut savoir analyser et classer en fonction des stades NYHA (tableau). Les autres symptômes peuvent être une toux habituellement sèche et surtout la présence à l’examen de râles crépitants fins et secs bilatéraux, surtout aux bases. Des signes généraux peuvent accompagner ce tableau selon les affections en cause. Les examens biologiques pourront apporter des éléments d’orientation notamment par la recherche de signes hématologiques en faveur d’une infection (hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles) ou d’une allergie (éosinophilie), d’examens bactério-virologiques, de tests immunologiques à la recherche d’auto-anticorps évocateurs (antitopo- isomérase I dans la sclérodermie systémique, antisynthétases – Jo1, PL5, PL7 – dans les myopathies inflammatoires). Un autre examen dans ces maladies potentiellement systémiques est important ; il s’agit du dosage des peptides natriurétiques, BNP ou NT-pro-BNP, qui sont produits par les ventricules cardiaques en cas de modifications de contraintes. Ces peptides permettent ainsi de distinguer de façon très fiable une dyspnée d’origine pulmonaire (tests normaux), d’une dyspnée d’origine cardiaque (marqueurs élevés), quel que soit son mécanisme(1). En cas d’augmentation des marqueurs, des tests spécifiques seront indiqués avec un écho-Doppler en général en première ligne. L’imagerie La radiographie pulmonaire reste un examen de débrouillage de première ligne incontournable, mais sa faible sensibilité limite son intérêt. L’examen clé est le scanner à haute résolution qui, avec la réalisation de coupes millimétriques, permet une analyse fine du parenchyme. Figure 1. Atteinte interstitielle pulmonaire au scanner haute résolution avec images en verre dépoli focale (A), généralisée (B), réticulations linéaires (C) et aspect en rayon de miel avec bronchectasies de traction (D). L’atteinte interstitielle peut se présenter sous la forme d’opacités en « verre dépoli » (figures 1A et 1B), de réticulations (figure 1C), de microkystes en rayons de miel et de bronchectasies par traction (figure 1D), d’épaississements des septas et de micronodules. • L’aspect en « verre dépoli » correspond à une augmentation de la densité de fond de l’image tomodensitométrique par atteinte du tissu périalvéolaire. Il est dû à la conjonction de l’épaississement des parois alvéolaires et de l’interstitium intralobulaire par un phénomène inflammatoire ou oedémateux et au remplissage partiel des lumières alvéolaires par des débris cellulaires nécrotiques ou par des membranes hyalines. Sa physiopathologie participe à la fois des syndromes alvéolaires et interstitiels. Sa présence est considérée comme un stade précoce de pneumopathie interstitielle au cours des connectivites, mais peut aussi être en relation avec une origine cardiaque. • Les opacités linéaires correspondent à des épaississements des septas périlobulaires (opacités linéaires dessinant tout ou partie du lobule secondaire), des épaississements de l’interstitium intralobulaire (petites opacités linéaires formant une fine réticulation), des opacités linéaires translobulaires (images linéaires de grande taille non systématisées). • Les micronodules peuvent refléter des atteintes lymphatiques, vasculaires ou bronchiolaires. Les images évocatrices de fibrose sont les images en rayon de miel, les bronchectasies de traction (dilatation des lumières bronchiques liée à la traction exercée sur les parois par le parenchyme pathologique adjacent), et les distorsions des scissures ou des septas interlobulaires. Évolution du retentissement fonctionnel L’étape suivante repose sur l’évaluation des retentissements de l’atteinte interstitielle sur les volumes respiratoires et les échanges gazeux. Figure 2. Stratégies d’évaluation. *EFR : Explorations fonctionnelles respiratoires. **LBA : Lavage broncho-alvéolaire. • Il faut chercher un syndrome restrictif sur les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) qui peut être d’origine parenchymateuse mais aussi parfois pariétale : il est caractérisé par une diminution de la capacité pulmonaire totale avec un coefficient de Tiffeneau normal ou augmenté. Il faut prendre en compte la CPT (capacité pulmonaire totale) et le CVF (capacité vitale forcée). Le coefficient de transfert du monoxyde de carbone évalue la capacité d'échange gazeux transmembranaire : il reflète l’atteinte interstitielle et vasculaire. Dans les formes avancées, la gazométrie artérielle complète l’évaluation, avec parfois des mesures à l’effort. Au terme des EFR, le retentissement fonctionnel sera défini. Il pourra contribuer à une éventuelle décision thérapeutique, ainsi qu’au suivi. • Le test de marche de 6 minutes est devenu un outil d’évaluation majeur des hypertensions artérielles pulmonaires et fibroses pulmonaires idiopathiques. Cependant, son intérêt est probablement limité dans les maladies systémiques. En effet, les atteintes concomitantes, articulaires, musculaires, cardiaques biaisent fortement les résultats d’un examen qui apparaît alors comme peu spécifique et trop multifactoriel (2). Il semble cependant que la notion de désaturation à l’effort puisse être un élément plus important comme critère de sévérité et pronostique ; il est en cours d’étude. • Le lavage broncho-alvéolaire complète souvent l’évaluation surtout initiale ou en cas d’aggravation. Il permet une numération et une formule des cellules présentes et surtout une évaluation bactériologique. Un lavage est considéré comme inflammatoire en cas de lymphocytose > 15 %, de neutrophiles > 5 % et/ou d’éosinophiles > 2-3 %. Le type cellulaire peut orienter l’étiologie, mais la valeur pronostique d’un lavage inflammatoire a été remise en question par des travaux prospectifs récents(3). Ainsi, il n’est plus recommandé dans les connectivites d’utiliser le résultat du lavage pour définir l’évolutivité potentielle, mais cet examen reste important pour écarter un processus infectieux et sera souvent réalisé surtout en cas de contexte inflammatoire ou fébrile. Les prélèvements histologiques seront parfois indiqués avec des biopsies de la muqueuses bronchique ou transbronchiques surtout utiles en cas de suspicion de processus néoplasiques, voire de sarcoïdose. Figure 3. Atteinte très sévère dans un cas de myopathie inflammatoire avec issue fatale en 1 mois malgré l’utilisation des traitements immunosuppresseurs et des corticoïdes. • Une médiastinoscopie est parfois nécessaire en cas d’adénopathies suspectes (hémopathie associée ?). • Enfin, des biopsies vidéo-chirurgicales sont rarement nécessaires dans le contexte des connectivites. En effet, l’atteinte interstitielle est dans la grande majorité des cas de type « pneumopathie interstitielle non spécifique » (PINS ou NSIP : nonspecific interstitial pneumonia). Cela oppose les connectivites à la fibrose idiopathique dans laquelle une analyse histologique est souvent discutée, afin de distinguer les : – pneumopathies interstitielles communes (UIP : usual interstitial pneumonia) définies par la coexistence de lésions d'âges différents et leur répartition non uniforme au sein d'un même prélèvement, l'existence de lésions en rayon de miel, et de foyers de prolifération fibroblastique, qui traduisent l'activité de la maladie ; – des PINS qui sont caractérisées par leur uniformité temporelle et spatiale, prédominance des lésions interstitielles inflammatoires (surtout lymphoplasmocytaires) par rapport à la fibrose interstitielle des cloisons interalvéolaires, et l'absence de rayons de miel. On distingue alors des « formes cellulaires » et des « formes fibrosantes » (la réponse aux corticoïdes et le pronostic de ces dernières sont nettement moins bons). Dans la fibrose idiopathique, le type d’atteinte conditionne le pronostic et donc la prise en charge. Dans les connectivites, une étude histologique est surtout nécessaire en cas de crainte de néoplasie associée. Cette éventualité n’est pas exceptionnelle et il faut garder en mémoire l’aspect potentiellement paranéoplasique des myopathies inflammatoires et le probable sur risque. Au terme de ces explorations résumées dans la figure 2, il faudra dans ce contexte de connectivites répondre aux questions suivantes : – s’agit-il d’une pathologie indépendante telle qu’une infection, un processus tumoral, une atteinte cardiaque, une manifestation iatrogénique ? – ou bien s’agit-il d’une localisation de la maladie et, dans ce cas, quelles structures pulmonaires sont touchées et quelle est sa sévérité et son impact ? Les myopathies inflammatoires peuvent être associées à des formes très sévères et évolutives d’atteintes pulmonaires. Un cas fatal en 1 mois est présenté sur la figure 3. L’atteinte interstitielle est plus fréquente dans le sous-groupe du syndrome des antisynthétases qui se rencontre majoritairement dans les polymyosites, avec une association de polyarthrite, syndrome de Raynaud, hyperkératose fissuraire et auto-anticorps (anti-Jo-1, PL5 et PL7). Le traitement repose habituellement sur les corticoïdes à fortes doses et les immunosuppresseurs. Le cas de la sclérodermie systémique est particulier car cette atteinte est fréquente (60 % des cas avec des signes en imagerie) mais cependant réellement symptomatique dans environ 10-15 % des cas. La problématique vient surtout de la difficulté de prise en charge thérapeutique avec l’absence de démonstration d’efficacité des immunosuppresseurs et des corticoïdes et les risques de ces derniers dans cette maladie (crise rénale)(4). Des approches innovantes sont en cours d’évaluation. Références 1. Lebrun C et al. BNP or NT-proBNP: that is the question. Ann Biol Clin 2007 ; 65 : 533-8. 2. Schoindre Y et al. Lack of specificity of the six-minute walk test as an outcome measure for systemic sclerosis patients. J Rheumatol 2009 ; 36 : 1 481-5. 3. Strange C et al. Bronchoalveolar lavage and response to cyclophosphamide in scleroderma interstitial lung disease. Am J Respir Crit Care Med 2008 ; 177 : 91-8. 4. Allanore Y et al. Systemic sclerosis: an update in 2008. Joint Bone Spine 2008 ; 75 : 650-5.
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