Publié le 11 juin 2008Lecture 11 min
Le cannabis et le tabac sont-ils toxiques pour le foie ?
C. HEZODE, S. LOTERSZTAJN, A. MALLAT, CHU Henri Mondor, Créteil
L’étude de l’impact des facteurs environnementaux sur l’évolution des maladies chroniques du foie est inégale. En effet, le rôle délétère de l’alcool est bien démontré, mais en revanche, l’effet de la consommation de tabac ou de cannabis, reste peu documenté. Des études récentes suggèrent que le tabac et le cannabis sont des facteurs de comorbidité pour les maladies chroniques du foie.
En France, on estime que la proportion des fumeurs quotidiens de tabac est en baisse et représente un peu moins d’un tiers de la population adulte alors que la consommation régulière de cannabis, en augmentation, toucherait 6,3 % des 18 à 25 ans et 1,3 % des 18 à 44 ans. Mécanismes de la fibrogenèse au cours des maladies chroniques du foie La fibrogenèse hépatique est caractérisée par l’accumulation d’une matrice extracellulaire de composition altérée dans le parenchyme hépatique qui désorganise progressivement l’architecture du lobule. Elle résulte d’un processus de cicatrisation tissulaire exagérée qui associe une augmentation de synthèse des composants matriciels et une altération des mécanismes normaux de dégradation de ces molécules. La fibrogenèse est déclenchée en réponse à une agression chronique du foie, généralement à l’origine d’une activité nécrotico-inflammatoire, qui atteint de façon prédominante les hépatocytes (alcool, virus, syndrome dysmétabolique), mais également les cellules biliaires (cirrhose biliaire primitive, cholangite sclérosante). Les cellules étoilées du foie et les myofibroblastes des espaces portes jouent un rôle crucial dans ce phénomène. Sous l’action de cytokines produites par les cellules de la réaction inflammatoire, ces cellules subissent un processus de transformation phénotypique en myofibroblastes caractérisé, notamment par des propriétés mitogéniques accrues conduisant à leur accumulation dans les zones de nécrose, ainsi que par la production des protéines constituant la fibrose et de molécules bloquant la dégradation de cette fibrose. Cannabis et foie Le système endocannabinoïde Le cannabis (Marijuana, Cannabis sativa), qui contient plus de 60 composés cannabinoïdes, dont le principal est le D9–tetrahydrocannabinol, qui agit par l’intermédiaire de 2 récepteurs, CB1 et CB2. Les ligands endogènes de ces récepteurs forment la famille des endocannabinoïdes. Ces récepteurs sont exprimés dans la plupart des tissus et interviennent dans de très nombreux processus physiopathologiques. Le récepteur CB1, principalement exprimé dans le système nerveux central, est responsable des effets psychoactifs, analgésiques, antiémétiques et orexigènes du cannabis. Le récepteur CB2 prédomine dans les cellules du système immunitaire et exerce des effets immunomodulateurs et anti-inflammatoires. Nous avons récemment montré que l’expression des récepteurs CB1 et CB2 est très augmentée dans le foie humain cirrhotique, notamment dans les myofibroblastes, alors qu’ils sont peu exprimés dans le foie normal. Ces résultats nous ont conduit à étudier le rôle du système endocannabinoïde dans la fibrogenèse hépatique. L’expression des récepteurs CB1 et CB2 est très augmentée dans le foie humain cirrhotique, notamment dans les myofibroblastes, alors qu’ils sont peu exprimés dans le foie normal. Impact du cannabis sur la fibrogenèse hépatique L’étude des récepteurs CB1 dans des modèles animaux a montré qu’un antagoniste de ces récepteurs ou leur inactivation génétique était associé à une diminution de la fibrose consécutive à une baisse de la prolifération et de l’accumulation des myofibroblastes hépatiques, induite par l’agression chronique du foie. Ces résultats démontrent l’effet profibrogénique de CB1 au cours de la fibrogenèse hépatique. À l’inverse, dans un travail réalisé chez des souris ayant un récepteur CB2 génétiquement inactivé, il s’avère que ce dernier ralentit la progression de la fibrose expérimentale provoquant l’apoptose des myofibroblastes hépatiques. L’impact de la consommation de cannabis sur la fibrose hépatique a été étudié chez 270 malades consécutifs atteints d’hépatite chronique C n’ayant jamais été traités, pour lesquels la durée de la maladie virale C était connue. Tous les facteurs connus pour influencer la progression de la fibrose hépatique ont été relevés pour chaque malade, et un questionnaire standardisé a permis de quantifier les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis entre la date de l’infection et celle de la biopsie hépatique. Pour l’analyse des résultats, les malades ont été classés en trois groupes selon leur consommation de cannabis : non-fumeurs (52 %), fumeurs occasionnels (moins d’un joint/jour, 15 %) et fumeurs quotidiens (≥ 1 joint/jour, 33 %). Les deux principaux critères d’évaluation ont été la vitesse de progression de la fibrose définie par le rapport entre le stade de fibrose et la durée estimée de la maladie, et la fibrose cliniquement significative (≥ F2 selon la classification Métavir). En analyse multivariée, la consommation quotidienne de cannabis était un facteur prédictif indépendant de vitesse rapide de progression de la fibrose (OR = 3,4) et de fibrose sévère (OR = 2,3). Une étude américaine récente confirme ces observations. La consommation quotidienne de cannabis était un facteur prédictif indépendant de vitesse rapide de progression de la fibrose. La figure 1 illustre la relation entre la sévérité de la fibrose et la consommation quotidienne de cannabis en fonction de l’âge à la biopsie et de la consommation d’alcool. Figure 1. Relation entre la sévérité de la fibrose et la consommation de cannabis après ajustement sur l’âge à la biopsie. Elle montre que chez les malades qui n’avaient pas une consommation excessive d’alcool (< 30 g/j), la prévalence de la fibrose sévère était significativement plus élevée chez les usagers quotidiens que chez les fumeurs occasionnels et les non-fumeurs, quel que soit l’âge à la biopsie. En revanche, chez les consommateurs excessifs d’alcool, l’effet du cannabis sur la fibrose était probablement masqué par l’impact important de l’alcool. La prévalence de la fibrose sévère (≥ F3) chez les fumeurs occasionnels et quotidiens a également été comparée. Quel que soit le niveau de consommation d’alcool, la proportion de malades avec une fibrose sévère était significativement supérieure chez les consommateurs quotidiens que chez les consommateurs occasionnels (figure 2). Figure 2. Prévalence d’une fibrose sévère (fumeurs quotidiens versus fumeurs occasionnels) après ajustement sur la consommation d’alcool. En revanche, il n’existait aucune relation entre la consommation de cannabis et l’activité histologique. Ces résultats sont en accord avec les données expérimentales démontrant les propriétés profibrogéniques du récepteur CB1 et doivent inciter à recommander aux malades atteints d’hépatite chronique C de s’abstenir d’un usage régulier de cannabis. L’ensemble de ces travaux ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles et invite à évaluer l’effet antifibrosant d’un antagoniste de CB1 au cours des maladies chroniques du foie. Ces résultats doivent inciter à recommander aux malades atteints d’hépatite chronique C de s’abstenir d’un usage régulier de cannabis. Tabac et foie Impact sur la fibrose De nombreux arguments sont en faveur d’un rôle profibrogénique du tabac dans différents organes. Ainsi, au-delà de l’impact bien connu sur l’athérosclérose, il a été montré une relation significative entre tabagisme et progression de la fibrose au cours de la néphro- angiosclérose. La relation entre consommation de tabac et maladie chronique du foie a initialement été évoquée dans 3 études montrant que le tabagisme est un facteur prédictif indépendant de cirrhose d’origine alcoolique ou virale B. Une étude rétrospective monocentrique française ultérieure, menée chez 310 patients atteints d’hépatite chronique C, a mis en évidence une relation significative entre la consommation de tabac et la sévérité de la fibrose à l’examen histopathologique du foie. En analyse multivariée, un tabagisme supérieur à 15 paquets/ années et une consommation quotidienne d’alcool supérieure à 40 g/j étaient des facteurs prédictifs indépendants de la sévérité de la fibrose, de même que l’âge à la biopsie et le sexe masculin. Toutefois, la relation entre fibrose et tabac disparaissait lorsque le score d’activité était inclus dans l’analyse multivariée. Ce résultat est en faveur d’un effet indirect du tabac sur la progression de la fibrose, plutôt liée à une augmentation de l’activité pro-inflammatoire qu’à un effet direct sur les cellules fibrogéniques. Deux autres travaux récents apportent également des arguments en faveur d’un effet pro-inflammatoire du tabac au cours de l’hépatite chronique C. Une grande étude épidémiologique chinoise conduite dans une région à forte prévalence du VHB et du VHC a évalué les facteurs prédictifs d’élévation de l’activité sérique des transaminases chez les sujets ayant une hépatopathie chronique virale. En analyse multivariée, une consommation habituelle d’alcool et un tabagisme quotidien supérieur à un paquet étaient les deux facteurs prédictifs indépendants d’augmentation de l’activité de l’ALAT chez les sujets ayant une hépatite chronique C. Il faut toutefois souligner que la durée du tabagisme n’était pas prise en compte dans ce travail. Nous avons évalué l’impact du tabagisme sur les lésions histologiques du foie chez 244 patients atteints d’hépatite chronique C. Le tabagisme apparaissait comme un facteur prédictif indépendant de la sévérité de l’activité nécrotico-inflammatoire. Toutefois, alors qu’il existait une relation entre sévérité de l’activité histologique et de la fibrose, le tabagisme n’était pas associé à la sévérité de la fibrose en analyse multivariée. L’impact du tabac sur la fibrogenèse vient également d’être mis en exergue au cours de la cirrhose biliaire primitive dans un travail rétrospectif concernant 2 cohortes indépendantes de patients montrant un risque relatif de 13,3 de fibrose avancée chez les malades ayant un antécédent de tabagisme ≥ 10 paquets/années. En résumé, bien que ces études soulèvent des critiques méthodologiques, notamment en raison de leur caractère fréquemment rétrospectif, les résultats sont dans l’ensemble convergents et suggèrent que le tabac accélère l’évolution de la fibrose au cours des hépatites chroniques C et de la cirrhose biliaire primitive. Le mécanisme mis en jeu, effet principalement indirect pro-inflammatoire, et/ou direct, sur la fibrogenèse, reste indéterminé. Des études suggèrent que l’usage de tabac est également un facteur prédictif indépendant de carcinome hépatocellulaire. Parmi les hypothèses à explorer, peuvent être évoqués une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires, un impact du stress oxydant induit par le tabac, ou encore le rôle de l’insulino-résistance déterminée par l’usage du tabac. Il reste également à déterminer si cet impact délétère du tabac concerne l’ensemble des maladies chroniques du foie. Le tabac accélère l’évolution de la fibrose au cours des hépatites chroniques C et de la cirrhose biliaire primitive. Impact sur la carcinogenèse hépatique Le rôle du tabac dans la carcinogenèse est bien établi pour de nombreuses tumeurs. Des études de cohortes ou cas/témoins suggèrent que l’usage de tabac est également un facteur prédictif indépendant de carcinome hépatocellulaire, notamment chez les sujets atteints d’hépatopathies chroniques virales, avec un risque relatif de CHC variant de 1,5 à 7 chez les fumeurs. Cet effet pourrait notamment être lié à l’accumulation dans le foie d’adduits de 4-aminobiphényl, un carcinogène présent dans la fumée de cigarette. Pour la pratique, on retiendra Plusieurs études suggèrent que la consommation de tabac favorise la progression de la fibrose au cours de l’hépatite chronique C et de la cirrhose biliaire primitive. Il pourrait s’agir principalement d’un effet indirect pro-inflammatoire, mais un effet direct sur la fibrogenèse est possible. Le tabac serait associé à un risque plus important de survenue de carcinome hépatocellulaire en cas de maladie chronique du foie. La consommation quotidienne de cannabis est associée au cours de l’hépatite chronique C à une vitesse de progression de la fibrose rapide et à la présence d’une fibrose sévère. Ce résultat est compatible avec les données expérimentales montrant un rôle pro-fibrogénique de CB1, l’un des deux récepteurs aux cannabinoïdes exprimés par les myofibroblastes au cours des malades chroniques du foie. Le tabagisme et la consommation quotidienne de cannabis sont à proscrire au cours des hépatopathies chroniques.
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