Publié le 06 fév 2011Lecture 10 min
Le syndrome d’hypersensibilité chimique multiple
C. BARNIG, F. DE BLAY Unité d’asthmologie, d’allergologie et de pathologie de l’environnement intérieur, Pôle de pathologie thoracique, hôpitaux universitaires de Strasbourg
Le syndrome d’hypersensibilité Chimique multiple (shcm) regroupe un grand nombre de symptômes cliniques non spécifiques qui sont déclenchés par l’exposition à de faibles concentrations de diverses substances chimiques. Ce syndrome, de plus en plus fréquent, se développe souvent dans les suites d’une exposition aiguë ou accidentelle à un produit chimique. De nombreuses hypothèses physiopathologiques ont été émises, mais elles restent controversées à l’heure actuelle. Sur le plan clinique, il s’agit surtout d’un diagnostic d’élimination. Le traitement du SHCM relève souvent d’une prise en charge multidisciplinaire incluant un soutien psychologique.
Entité clinique complexe, le SHCM regroupe un grand nombre de symptômes non spécifiques associés chez chaque patient d’une manière univoque et déclenchés par l’exposition à diverses substances chimiques. Les symptômes apparaissent pour de faibles concentrations de produits chimiques, bien inférieures à celles connues pour provoquer des effets toxiques. Le SHCM peut être considéré comme une « désadaptation » de l’homme à l’exposition aux produits chimiques, qui semble être influencée par de multiples facteurs intrinsèques mais également extrinsèques. Les premières observations cliniques concernant le SHCM ont été publiées aux États-Unis au début des années 1950 par T. Randolph (1), fondateur de la médecine « écologique ». En 1987, M.R. Cullen lui donne le nom d’hypersensibilité chimique multiple et la définit comme une affection acquise caractérisée par la répétition de symptômes touchant de multiples organes survenant lors de l’exposition à diverses substances chimiques à des concentrations bien inférieures à celles connues pour entraîner des effets dans la population générale (2). La prévalence du SHCM est difficile à établir en raison de l’ignorance de son existence par de nombreux médecins, de la grande variabilité des symptômes déclarés par les patients et de l’absence de réel test diagnostique. Les principaux résultats parviennent des États-Unis. Le ministère californien de la santé a organisé en 1998 une enquête téléphonique auprès de 4 046 sujets, utilisant un questionnaire mis au point par un groupe d’experts (3). Les auteurs ont observé une prévalence de 6,3 % de répondants qui rapportaient avoir eu avoir un diagnostic médical de SHCM et 15,9 % des sujets faisaient état d’une sensibilité inhabituelle à des produits chimiques courants (4). En Europe, une étude de prévalence a été réalisée en Allemagne en 2005 auprès d’un échantillon de 2 032 sujets (5). Parmi ces sujets interrogés, 0,5 % avaient obtenu un diagnostic médical d’un SHCM, 9 % se disaient hypersensibles à des substances chimiques. Dans la plupart des études, cette affection touche surtout le sujet entre 40 et 50 ans avec une prédominance féminine (4,5). Le SHCM serait également plus fréquent dans les catégories socioprofessionnelles favorisées. Clinique Les personnes atteintes du SHCM présentent un ensemble de symptômes cliniques non spécifiques apparaissant lors de l’exposition à des produits chimiques. Les concentrations des substances chimiques provoquant les manifestations cliniques sont très faibles, bien inférieures à celles connues comme ayant des effets toxiques. Les symptômes varient également d’un individu à un autre, mais restent relativement constants pour le même individu d’un épisode à un autre. L’interrogatoire retrouve très fréquemment une exposition aiguë ou accidentelle à un produit chimique, précédant de quelques semaines ou mois les symptômes, et ayant causé un épisode de stress physiologique et/ou psychologique important (6). Plus rarement, la maladie fait suite à une exposition chronique de faible intensité. Parfois, aucun facteur déclenchant n’est mis en évidence. Il est à noter que certaines personnes deviennent intolérantes à des substances qu’elles toléraient auparavant. Symptômes Les symptômes décrits touchent très souvent plusieurs organes chez un même sujet et sont variables d’un sujet à l’autre. Ils peuvent être d’ordre respiratoire (dyspnée, toux, oppression thoracique, brûlures respiratoires), ophtalmologique (picotements et brûlures oculaires), ORL (picotements nasaux, brûlures laryngées), neurologique (céphalées, vertiges, fatigue, obnubilation, étourdissement, perte de mémoire et/ou de concentration, faiblesse généralisée), dermatologique (prurit), sensoriel (perception accrue ou anormale des odeurs, troubles visuels), psychiatrique (dépression, anxiété, irritabilité, insomnies), rhumatologique (arthralgie, myalgie), cardiovasculaire (palpitations) et gastro-entérologique (nausées et douleurs abdominales) (6). Les symptômes les plus fréquents sont regroupés dans le tableau 1 (7). Produits chimiques incriminés La liste des produits chimiques qui peuvent déclencher les crises est pratiquement sans limite et la plupart de ces produits sont identifiables par leur odeur. Les substances les plus fréquemment incriminées sont : décapants, solvants, peintures, parfums et produits de beauté, gaz d’échappement, fumées, formaldéhyde, fumée de cigarette, encres, produits d’entretien et de nettoyage, chlore, goudrons, etc.(6,7). Diagnostic Le diagnostic est essentiellement basé sur l’histoire clinique. Avant de considérer le diagnostic de SHCM, l’examen physique et toutes les investigations complémentaires doivent être normaux. En 1999, une conférence de consensus réunissant plusieurs sociétés savantes américaines (American Lung Association, American Medical Association, U.S. Environmental Protection Agency, U.S. Consumer Product Safety Commission) statuera sur cette maladie et fixera des critères diagnostiques précis (tableau 2) (8). Les six critères doivent être présents pour affirmer la maladie. Il existe également des questionnaires pour étayer le diagnostic(3). Il est important d’éliminer d’autres maladies, comme un asthme, une allergie IgE-dépendante ou un syndrome d’irritation des bronches (SIB). Néanmoins, une intrication avec un asthme est possible (9). Test de provocation J. Das-Munshi et coll. (10) ont publié en 2006 une revue de toutes les études ayant impliqué des tests de provocation chez des sujets souffrant d’un SHCM. Au total, 37 études ont été identifiées, ayant inclus 764 sujets malades et 547 contrôles. Les auteurs font remarquer que dans 21 études, dont 19 ont été reconnues comme positives, les tests de provocation n’ont pas réellement été réalisés en aveugle et la substance chimique était reconnaissable par son odeur. Dans 6 des 7 études exposant les sujets à des produits chimiques en dessous du seuil d’odorat, aucune différence n’a pu être mise en évidence entre les sujets souffrant du SHCM et les témoins. De même, dans 3 études dans lesquelles l’odeur de la substance chimique a été cachée par pince nasale, les sujets malades n’ont pas mieux discerné la substance active du placebo par rapport aux sujets contrôles. Les auteurs concluent que les sujets souffrant d’un SHCM réagissent avant tout lors des provocations quand ils peuvent discerner via l’odorat l’agent actif du placebo (10). Plus récemment, S. Bornschein et coll. (11) ont réalisé une étude en double aveugle dont la méthodologie est exemplaire. Ils ont exposé 20 sujets souffrant d’un SHCM et 17 sujets témoins à un solvant ou à un placebo. Dans cette étude, aucune différence n’a été observée en termes d’identification de la substance active et de symptômes entre sujets malades et témoins. Physiopathologie À l’heure actuelle, il n’existe pas de mécanisme physiopathologique reconnu. De nombreuses équipes scientifiques se sont intéressées à cette affection et plusieurs théories explicatives ont été proposées. T. Randolph avait suggéré que le SHCM serait une forme non reconnue d’allergie ou d’hypersensibilité (12), cependant, il n’existe aucune donnée démontrant un rôle des IgE dans les SHCM. Plus récemment, l’hypothèse que le SHCM puisse être lié à un effet neurotoxique des produits chimiques a été évoquée (13). Un stimulus chimique pourrait ainsi, dans certaines circonstances, « sensibiliser » le réseau limbique et/ou mésolimbique chez certains sujets. Par la suite, un stimulus semblable déclencherait une réponse amplifiée (14). Des recherches cliniques ayant soumis des sujets avec un SHCM et des témoins à des examens d’imagerie nucléaire tels que le PET (Positron Emission Tomography) et le SPECT (Single Photon Emission Computerized Tomography) ont été effectuées et ont pu impliquer le système limbique dans cette affection (15). Ces résultats demeurent tout de même controversés. Une des hypothèses principales est que le SHCM serait un trouble névrotique avec une phobie chimique à l’origine d’une croyance irrationnelle et exagérée de la toxicité des produits chimiques et de leur capacité à causer des dommages à la santé (16). En effet, une partie des symptômes ressentis par les patients pourrait être expliquée par l’hyperventilation induite par l’anxiété (17). Enfin, le fait que de nombreux sujets développent un SHCM après une exposition aiguë accidentelle à un produit chimique a fait suggérer un syndrome de stress post-traumatique à l’origine des symptômes (17). Le statut psychologique sousjacent des personnes affectées par un SHCM est également débattu (18). Une enquête réalisée à Atlanta aux États-Unis a montré que seulement 1,4 % des personnes présentaient des problèmes psycho-affectifs avant de développer un SHCM, mais que 37,7 % en ont eu après la survenue du syndrome (7). À l’inverse, dans une enquête allemande plus récente, parmi 291 sujets présentant un SHCM, des troubles psychiatriques ont été observés plus fréquemment chez les sujets atteints par rapport à des sujets de même sexe et de même âge (19). Finalement, des facteurs socioculturels avec une préoccupation croissante des liens santé et environnement mais aussi d’une recherche d’explication de symptômes somatiques non spécifiques interviennent probablement dans l’apparition de ce syndrome. De ce fait, le SHCM peut être rapproché d’autres syndromes dont certains sont tout aussi non spécifiques et mal compris : syndrome des bâtiments malsains, syndrome de la Guerre du Golfe, syndrome de fatigue chronique et fibromyalgie. Traitement Il n’existe pas de traitement univoque. Aux États-Unis, mais également en Allemagne, l’approche discutable des cliniciens « écologistes » est largement répandue. Elle consiste à éviter toute exposition aux produits chimiques et est associée à des programmes d’exercice, de sudation, de jeûne et de vitaminothérapie (20). Néanmoins, l’approche la plus efficace et la plus rationnelle semble être la reconnaissance et l’écoute des sujets malades. Traiter un état dépressif associé et proposer une psychothérapie comportementale sont également indiqués. Il est souhaitable de ne pas proposer l’éviction du ou des produits incriminés, car cela est très souvent source d’isolement socioprofessionnel et d’aggravation de la maladie. La prévention peut consister en un support psychologique rapide après une surexposition accidentelle à une substance chimique dangereuse. Conclusion En conclusion, le SHCM associe des symptômes non spécifiques déclenchés lors d’expositions à de faibles concentrations de diverses substances chimiques. Ce syndrome se développe fréquemment après une exposition aiguë ou accidentelle à un produit chimique. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination uniquement basé sur l’interrogatoire, les examens paracliniques n’étant d’aucune aide pour affirmer le diagnostic. De nombreuses hypothèses physiopathologiques ont été émises mais restent controversées et il n’existe pas à l’heure actuelle de traitement univoque. Le SHCM reste actuellement toujours une entité controversée et non reconnue par de nombreuses sociétés savantes. Néanmoins, même si les experts ne s’entendent par sur l’origine ou même sur l’existence de ce syndrome, la majorité de ceux-ci reconnaissent la réalité de la souffrance des sujets atteints.
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