Publié le 12 nov 2008Lecture 9 min
Les allergies aux cosmétiques : comment les diagnostiquer et les éviter ?
M. VIGAN, CHU hôpital Saint-Jacques, Besançon
Malgré toutes les précautions avant les mises sur le marché, les effets indésirables allergiques dus aux cosmétiques ne sont pas rares. Le dermatologue a une place de choix dans leur maîtrise : il peut assurer un diagnostic précis, déterminer l’ingrédient-allergène, il doit éduquer son patient et faire des déclarations en cosmétovigilance.
Définition La définition des cosmétiques (encadré 1) porte sur le site d’application et sur la fonction : rien n’est dit sur la pénétration possible de certains ingrédients, leurs effets délétères possibles et leur métabolisme. Le produit est un cosmétique s’il est utilisé à titre privé mais aussi sur le lieu de travail et même s’il est utilisé comme outil de travail. Par définition, le cosmétique ne doit pas avoir un effet thérapeutique (réservé au médicament) ; il n’est pas soumis à la notion de rapport bénéfice/ risque ; il n’a pas d’évaluation par les autorités compétentes avant la mise sur le marché, et il ne doit pas nuire à la santé humaine dans les conditions normales ou normalement prévisibles d’utilisation. Cependant, les effets indésirables ne sont pas rares, parmi lesquels les effets allergiques sont les plus fréquents. Ces derniers peuvent être de type immédiat, IgE-médiés ou retardés. Encadré 1. Définition des cosmétiques (Directive 76/768/CEE, 93/35/CEE). Le cosmétique est « toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue exclusivement ou principalement de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ». Les effets allergiques retardés Ils se manifestent par de l’eczéma de contact ou des dermatites atypiques persistantes. Certaines localisations sont particulièrement évocatrices de l’étiologie cosmétique : paupières, face, zone rétroauriculaire (parfums, shampooing, teintures capillaires), creux de la main (savons liquides). Le contact peut être direct, parfois limité à la zone de concentration du produit (figure 1), aéroporté ou manuporté, ou même par procuration. Figure 1. Allergie au chloro-méthylisothiazolinone d’une crème appliquée sur tout le visage, mais concentrée au pli du cou. Figure 2. Les sensibilisations à la paraphénylènediamine (PPD) par les tatouages éphémères noirs (TEN) sont des effets indésirables graves : les cas doivent être déclarés à l’Afssaps. Certains cosmétiques provoquent un grand nombre de cas : tatouages éphémères noirs (figure 2), teintures capillaires (figure 3). Ces dernières peuvent donner des oedèmes aigus dans les heures qui suivent leur application, or cette manifestation fait parfois évoquer, à tort, un oedème de Quincke avec les conséquences prévisibles de cette méconnaissance du diagnostic : traitement inadapté (adrénaline, par exemple) et tests inadaptés. La confirmation du diagnostic d’eczéma de contact se fait par des tests épicutanés, avec une lecture à 48 et 72 ou 96 heures selon le score de l’ICDRG (International Contact Dermatitis Resarch Group) (tableau 1). Tableau 1. Score ICDRG. NT non testé IR irritant + ? érythème simple + érythème et oedème ++ érythème, oedème et vésicules +++ érythème, oedème et vésicules coalescentes Si le produit testé est un produit moussant ou irritant (laques à cheveux ou mascara), il faut le tester en test semi-ouvert (figure 4 et encadré 2). Figure 3. OEdème après une teinture capillaire : ce n’est pas un oedème de Quincke. Il a pu être précédé d’une sensibilisation à la PPD par un tatouage éphémère noir. Il nécessite une intervention médicale urgente et doit donc être déclaré en cosmétovigilance. Figure 4. Réalisation de l’open-test. Encadré 2. Le test semi ouvert. En l’absence de réaction immédiate, le produit déposé sur la peau wheat protein. avec un coton-tige est tamponné au bout de 30 minutes s’il n’est pas déjà sec et recouvert d’un adhésif non occlusif. La lecture est faite en même temps que celle des tests épicutanés, à 48 et 96 heures. Le test est considéré comme positif si une mini-réaction d’eczéma apparaît : érythème, oedème et vésicule. Il peut y avoir du prurit. Si un produit est fortement suspect, on peut le tester en ROAT (Repeated Open Application Test). En cas de produit fini positif, il faut trouver l’ingrédient responsable, soit en testant les allergènes de l’allergothèque, soit en collaborant avec la firme qui peut seule donner les kits de détail des ingrédients du produit. Un grand nombre des allergènes de la batterie standard ICDRG peut avoir une pertinence cosmétique (tableau 2). Tableau 2. Allergènes de la batterie standard et pertinence cosmétique possible. Métaux • NiSO4 5 % (fards à paupières) • K2Cr2O7 0,5 % (savons, ombre à paupières) • COCl2 1 % (savons, ombres à paupières, teintures capillaires, antisudoraux) Autres • Thiuram mix 1 % (antimicrobiens de savons, de crèmes, de shampoings) • Lanoline 30 % (aussi dans médicaments), • P-phénylènediamine free base (colorants de teintures capillaires) • Epoxy resin 1 % (vernis à ongles) • Lactones sesquiterpéniques 0,1 % (cosmétiques à « base de plantes ») • Résine paratertiaire butylphénol formaldéhyde 1 % (colles pour ongles, crayons à lèvres) Parfums • Fragrance mix 8 % (très nombreux cosmétiques) • Myroxylon pereirae 25 % (baume du Pérou) (eaux de toilette, brillantines, lotions, savons, bâtons à lèvres) • Colophonium 20 % (dépilatoires, parfums [mousse d’arbre], mascaras, ombres à paupières, rouges à lèvres, ombres à paupières [effet nacré], savons bruns, vernis à ongles, brillantine, onguents et maquillage). Conservateurs • Paraben mix 16 % (aussi dans médicaments) • Cl méthyl isothiazolinone 0,01 % (pas dans médicaments) • Formaldéhyde 1 % (libérateurs de formol des antisudoraux, dentifrices, déodorants, durcisseurs d’ongles, crèmes, laits, savons, vernis) • Quaternium-15 1 % (crèmes, shampoings, lotions à usage capillaire Les effets allergiques immédiats, IgE-médiés Ils représentent 3 à 4 % des effets indésirables rapportés chaque année au Revidal GERDA ou à l’Afs saps. Ils se manifestent par de l’urticaire et aussi des manifestations respiratoires ou oculaires. Leur diagnostic se fait par des tests ouverts à lecture immédiate ou par des pricks-tests lus entre 30 et 60 minutes. En cas de tests positifs à un produit fini, la recherche de l’ingrédient responsable est indispensable : elle permet de conseiller le patient dans le choix de ses prochains cosmétiques et de l’informer des risques éventuels d’allergie alimentaire liés à la consommation de l’allergène responsable dans les aliments. Dans ce cas, une trousse d’urgence avec adrénaline doit être prescrite et ne pas quitter le patient. La plupart des effets indésirables allergiques dus aux cosmétiques sont graves ou peuvent être considérés comme graves par le praticien : pour un produit qui ne doit pas nuire à la santé humaine, qui n’a pas de rapport bénéfice/ risque, on observe parfois des inaptitudes professionnelles et des incapacités définitives d’utiliser des ingrédients ou des groupes d’ingrédients, qui ne sont pas toujours limités aux cosmétiques. Il est donc nécessaire de les éviter. Comment éviter les effets allergiques dus aux cosmétiques ? Avant la mise sur le marché du cosmétique, la firme doit se conformer à la législation en vigueur (règles de bonnes pratiques de laboratoire, conformité des ingrédients aux annexes, évaluation de l’allergénicité par le LNA de chaque ingrédient et test de sécurité sur le produit fini). Après sa mise sur le marché, la firme doit s’abstenir d’un marketing inapproprié comme, par exemple, noter une teinture capillaire « spécial hypoallergénique » si le principal ingrédient allergène des teintures capillaire – la PPD – est utilisé. Le fabricant doit effectuer une surveillance du produit post-commercialisation, aménager son produit en fonction de cette surveillance et doit tenir à disposition du public la liste des effets indésirables et de l’ingrédient responsable. Les formules des produits cosmétiques ne sont pas figées par une AMM. Le rôle du dermatologue est important. Au niveau individuel, il doit éduquer son patient à lire les modes d’emploi (figure 5), à réaliser la touche d’essai ou le ROAT si nécessaire, et être disponible pour son patient en cas de réaction. Figure 5. Le mode d’emploi doit être lu précisément par le patient. La liste des ingrédients en nom INCI permet de repérer son allergène et de l’éviter. Par exemple, ici, les patients allergiques au blé devront se méfier de hydrolyzed wheat protein. Lorsque l’allergène est déterminé, le dermatologue doit le nommer à son patient en INCI (International nomenclature cosmetic ingredient) et lui apprendre à le reconnaître sur la liste des ingrédients pour pratiquer l’éviction. Au niveau collectif, il doit déclarer tous les cas observés en cosméto - vigilance (tableau 3) pour que l’impact des effets indésirables allergiques sur la santé publique puisse être évalué et que des mesures puisse être prises. Conclusion Les déclarations faites par les dermatologues sont extrêmement pertinentes, car ils sont spécialistes des maladies allergiques de la peau. Cette déclaration doit être faite même si le cas semble déjà connu : seule l’accumulation de cas semblables permet de faire une évaluation d’impact sur la santé publique. Tableau 3. Éléments essentiels de la déclaration en cosmétovigilance. • Identifier le déclarant (papier en tête). • Identifier le patient (nom, naissance, sexe). • Identifier le produit (nom, fonction, marque, numéro de lot, si possible). • Noter l’histoire clinique (organe atteint, pathologie, chronologie, traitement, évolution). • Résultats des tests éventuels, pertinents. • Motiver sa déclaration. • Envoyer à : - la vigilance publique : www.afssaps.sante.fr ; - la vigilance confraternelle (Revidal GERDA) ; - la vigilance industrielle : adresse sur l’emballage. Pour en savoir plus • Vigan M. Cosmétovigilance. Ann Dermatol Venereol 2007 ; 134 : 2S55-8. • Pons Guiraud A, Vigan M. Allergies et cosmétiques. Ed. expansion scientifique française 2003.
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