Publié le 05 jan 2015Lecture 15 min
Moisissures et allergies
F. LAVAUD, J.-M. PERROTIN, CHU de Reims
Les allergies aux moisissures atmosphériques restent un sujet d’actualité et une préoccupation pour l’allergologue. De nombreuses données épidémiologiques confirment l’incidence de la sensibilisation et sa répercussion sur l’appareil respiratoire. Cependant, le diagnostic reste difficile en raison d’examens complémentaires peu performants ou absents. La prise en charge thérapeutique est également délicate, les mesures d’éviction difficiles à appliquer et les possibilités de désensibilisations limitées, sauf pour Alternaria.
Données épidémiologiques Les spores de moisissures sont fréquemment retrouvées sur les capteurs d’aérobiologie et en bien plus grande quantité que les pollens. Cependant, seulement quelques espèces sont pistées, car elles peuvent avoir un impact sur la santé respiratoire. • Cladosporium, la plus abondante, est présente tout au long de l’année, même en hiver, et par temps froid et humide. • Aspergillus est une moisissure de climats chauds et humides, plus abondante en zone tropicale et à l’intérieur des locaux. • Les espèces de Penicillium sont très nombreuses, cette moisissure étant présente à l’intérieur de locaux et sur les comptes atmosphériques, sa sporulation dépendant aussi de la chaleur et de la présence de végétaux en décomposition. • Alternaria est essentiellement une moisissure d’extérieur et d’été, présente sur les capteurs par temps chaud et sec, avec des pics de sporulation qui peuvent se confondre avec les pics polliniques. La pluie bloque sa sporulation. Alternaria reste la moisissure la plus étudiée. La prévalence de la sensibilisation à Alternaria a été appréciée en Suède, où elle concerne 3,8 % des enfants de 7-8 ans, en Grande-Bretagne (4,8 % des enfants de 4 ans) et dans une large étude européenne conduite par l’European Respiratory Health Survey. Ainsi, en 2007, la sensibilisation à Alternaria des jeunes adultes était estimée à 3,3 %, avec une prévalence plus faible en Europe du Nord. En France, elle était de 5,8 %. Dans une étude réalisée dans 6 villes françaises chez plus de 6 200 enfants de 10 ans, la sensibilisation atteignait 2,8 %. Figure 1. Symptômes rapportés à la sensibilisation à Alternaria chez l’enfant. Relations sensibilisations/symptômes Dans ce contexte également, Alternaria est la moisissure la plus en cause et la mieux étudiée. Il existe une corrélation forte entre symptômes d’asthme et sensibilisation à Alternaria dans les pays chauds et secs comme l’Australie ou les États-Unis (Colorado) avec des odds ratios (OR) de 1,9 à 5,6 chez l’enfant. Pour la rhinite allergique, les résultats sont plus discutés, sans association évidente en Afrique du Sud. En revanche, elle est démontrée dans une étude plus large, mais uniquement dans le phénotype rhinite allergique et asthme associé, où l’OR atteint 2,3. Figure 2. Profil allergologique de l’asthme à Aspergillus, d’après H. Jabri et coll. Asthme sévère L’impact de la sensibilisation aux moisissures a été apprécié dans l’asthme sévère et les exacerbations de l’asthme. De très nombreuses publications ont montré que, autant chez l’enfant que chez l’adulte, une sensibilisation à Alternaria ou à Cladosporium était associée à un risque significatif d’asthme sévère (OR : 2,56), et ce, dans les pays européens et surtout l’Europe du Sud, les États-Unis et l’Australie. Il existe une relation entre altération de la fonction respiratoire chez l’enfant et sensibilisation à Alternaria, mais aussi une relation entre exposition et sensibilisation chez le nourrisson pour les espèces Alternaria et Cladosporium. Il en est de même pour Aspergillus chez l’adulte : chez les patients asthmatiques sensibilisés à cette moisissure, le pourcentage d’asthme sévère peut atteindre plus de 46 %. Figure 3. Asthme sévère versus asthme léger avec sensibilisation aux moisissures chez l’adulte. Exacerbations Le risque d’exacerbations justifiant une admission en service d’urgences est plus élevé chez l’asthmatique sensibilisé à Alternaria, Cladosporium, Penicillium et Aspergillus, avec une corrélation plus importante pour les polysensibilisés et une corrélation entre la quantité de spores atmosphériques et le nombre d’admissions pour asthme. Par ailleurs, le nombre de décès par asthme est corrélé aux pics de sporulation, avec un risque estimé multiplié par 2,16 si l’exposition est supérieure à 1 000 spores/m3, et une chute du débit expiratoire de pointe lors des fortes expositions aux moisissures extérieures, certaines études ayant donné un OR de 20 pour une crise d’asthme aiguë grave chez les patients sensibilisés à Alternaria lors d’une exposition. Asthme, moisissures et tempêtes Le thunderstrom asthma, asthme des tempêtes, est connu depuis 30 ans et des épidémies d’asthme par temps tempétueux ont été décrites en Angleterre, avec des fréquences d’admissions en service d’urgences multipliées par 5 à 10, mais aussi aux États-Unis, en Australie et au Canada. De nombreuses hypothèses ont été émises, dont des phénomènes réflexes de bronchospasme, le rôle des polluants dont l’ozone et les particules, l’ionisation de l’air, etc., mais surtout celui des aéroallergènes. Les pollens sont mis en cause avec un parallèle entre période chaude, pics polliniques, recirculation atmosphérique de pollens par brassage de l’air urbain et admissions hospitalières, mais on a aussi impliqué les moisissures. Ainsi, le nombre de spores double par tempête et il existe une relation entre le nombre de spores et les admissions hospitalières, une prolifération de spores par temps sec et un relargage lors des coups de vent, avec une concentration atmosphérique alors largement supérieure à celle des pollens. Les moisissures en cause sont surtout Alternaria, Cladosporium et, dans certaines études, des espèces plus rares telles que Didymella. Allergènes des moisissures Comme pour de nombreux allergènes, l’allergologie moléculaire s’est intéressée aux moisissures pour essayer d’améliorer le diagnostic d’allergie et la prise en charge du patient. Les résultats sont moins bons et moins prometteurs que pour d’autres allergènes. Deux es pèces ont été étudiées et des protéines allergéniques ont été clonées. Actuellement, nous disposons d’un allergène moléculaire pour Alternaria, et de cinq pour Aspergillus. • Pour Alternaria, le recombinant rAlt a1 possède une forte activité enzymatique, phosphatase, estérase et bêtaglucosidase, mais l’activité biologique de l’allergène reste méconnue. Selon les souches, l’activité enzymatique est extrêmement variable, même si Alt a1 est un allergène majeur. Le recombinant rAlt a1 conserve une réactivité immunologique comparable à celle de l’allergène naturel nAlt a1 avec un seuil de réactivité sur les prick-tests estimé à 100 µg/ml, données certainement utiles à la standardisation des extraits allergéniques, mais actuellement sans grande conséquence clinique ; rien n’étant démontré sur la supériorité de cet allergène moléculaire par rapport à la source allergénique en termes de sensibilité ou de spécificité. • Pour Aspergillus, les conclusions sont également décevantes dans leur majorité et, si des espoirs avaient été émis dans la reconnaissance d’allergènes moléculaires par certains groupes de patients, en pratique, le dosage d’IgE spécifiques reste globalement décevant. Des auteurs avaient suggéré que la reconnaissance d’Asp f2 et d’Asp f4 permettrait le diagnostic précoce d’infection à Aspergillus chez le mucoviscidosique et d’autres qu’Asp f2, Asp f4 et Asp f6 seraient des marqueurs spécifiques d’aspergillose bronchopulmonaire allergique, ce qui reste à démontrer, mais les données actuelles vont vers la non-utilité au diagnostic. La limite des examens complémentaires dans l’exploration des allergies aux moisissures tient à la grande variabilité du contenu en allergènes selon les souches d’une même espèce et à l’existence de réactions croisées entre espèces. Ainsi, le contenu allergénique peut dépendre de l’environnement, du substrat, de la température, de la luminosité, du confinement, de la chaleur, d’espèces commensales… et du tissu mycélien, les spores et les filaments ne possédant pas forcément les mêmes allergènes. Des panallergènes existent entre espèces de moisissures. Ainsi, les protéases sont partagées par Alternaria, Aspergillus, Penicillium et Cladosporium. Ce sont des allergènes – notamment les protéases alcalines (allergènes du groupe 13) et les protéases vacuolaires (allergènes du groupe 18) –, mais aussi des substances toxiques créant des lésions épithéliales et inflammatoires. Un patient réactif aux protéases pourra donc reconnaître plusieurs espèces de moisissures sans pour autant que l’on puisse incriminer la moisissure responsable de ses symptômes. Moisissures, APSI et Afssaps Les extraits de moisissures disponibles pour tests cutanés et, éventuellement immunothérapie spécifique (ITS), sont des allergènes préparés spécialement pour un individu. À la demande de l’industrie pour le renouvellement des autorisations nominatives pour préparation et délivrance des allergènes (échéance du 31 décembre 2007), une évaluation de leur intérêt diagnostique et thérapeutique a été pilotée par l’Afssaps. L’intérêt diagnostique a été classé en 4 catégories tenant compte du niveau de preuve et de la pertinence d’une ITS. Ainsi, aucun intérêt n’a été retenu pour Aspergillus nidulans, Penicillium digitatum et Cladosporium cladosporioides. Le niveau de preuve était insuffisant pour Chaetomium, Fusarium, Helminthosporium et Aureobasidium. Au total, la liste des allergènes « moisissures » disponibles pour pricktests a été revue à la baisse et subsistent uniquement (encore à ce jour) : Alternaria alternata, Botrytis cinerea, Pleospora herbarum (Stemphyllum), Aspergillus fumigatus. Ces restrictions ne concernent pas les extraits disponibles pour tests in vitro et le dosage des IgE spécifiques. Quant à l’ITS, pour autant qu’elle ait des indications, elle n’est plus possible que pour Alternaria, avec un intérêt clinique parcellaire, et pour Botrytis et Pleospora, avec une absence d’études documentées sur l’efficacité et la sécurité du traitement. Moisissures alimentaires Les moisissures alimentaires contaminent des aliments où elles trouvent la valeur énergétique nécessaire à leur développement. Elles peuvent, du reste, contribuer à l’améliorer pour l’alimentation humaine, comme le Botrytis, la pourriture noble du vin de Sauternes. Ces moisissures peuvent se comporter comme des pneumallergènes et, dans ce cadre, essentiellement en pathologie professionnelle ou comme trophallergène occasionnant des symptômes d’allergie alimentaire à la consommation d’aliments moisis. Pneumallergènes C’est le cas le plus fréquent et on décrit des asthmes, des rhinites et des pneumopathies d’hypersensibilité surtout dans le domaine agricole. Les professions touchées sont celles de la vigne, des fromageries, des boulangeries et biscuiteries, de l’industrie céréalière, des cultures maraîchères, des grainetiers et des fleuristes. Les espèces en cause sont variées et, du reste, pas toujours clairement authentifiées. On incrimine des Penicillium, Ustilago, Plasmopara, Botrytis. Pour Botrytis, la sensibilisation chez l’ouvrier vigneron peut atteindre 1,8 % de la population. Différentes pneumopathies d’hypersensibilité ont comme agent responsable les moisissures. Elles portent des noms imagés de maladies « des ensileurs, des torréfacteurs de café, des laveurs de saucisson, des serres à concombre, des champignonnistes… », et il ne faut pas oublier le rôle délétère en boulangerie de l’amylase fongique provenant d’Aspergillus et second allergène professionnel du boulanger. Des pathologies communautaires exceptionnelles ont été décrites avec des crises d’asthme déclenchées par les moisissures de la peau de saucisson, de l’asthme aigu grave après inhalation de spores d’Aspergillus contaminant du café ou de spores de Penicillium sur des cartons moisis, et un décès par œdème laryngé et bronchospasme après inhalation de spores de Penicillium, de Fusarium, de Mucor et d’Aspergillus (21 000 CFU) infestant des pancakes pour le moins moisis. Trophallergènes Les cas cliniques restent exceptionnels, mais montrent que les allergènes des moisissures ingérées restent réactogènes. P. camemberti a été impliqué dans des réactions anaphylactiques secondaires à la consommation de camembert, P. nalgiovensis, après consommation de saucisson ou de salami, et les champignons comestibles du genre des basidiomycètes et voisins des moisissures (morille, pleurote, agaric) sont des allergènes alimentaires bien connus. Mycotoxines Espèces en cause Certaines espèces de moisissures sécrètent des mycotoxines. Ce sont des métabolites volatils responsables de mycotoxicoses. La biosynthèse dépend de nombreux facteurs, comme la température, l’hygrométrie, la luminosité, la teneur en CO2, le type de substrats et la concurrence d’autres microorganismes. Au total, plus de 400 mycotoxines ont été répertoriées, dont l’aflatoxine, la patuline, les ochratoxines, la trichodermine, l’islandicine, la rubratoxine, les fumosines, les trichothécènes, la satratoxine, la verrucarine, la chaetoglobosine… Certaines espèces de moisissures, telles qu’Aspergillus, Penicillium, Stachybotrys, Fusarium, Chaetomium, Trichoderma, sont plus toxicogènes, mais au sein de chaque espèce toutes les souches ne sont pas capables de les produire compte tenu des facteurs environnementaux cités ci-dessus. Pouvoir pathogène • Ces mycotoxines, nocives par ingestion, sont responsables d’hépatotoxicité (aflatoxine d’A. flavus des arachides moisies), d’ergotisme (le feu de Saint Antoine de l’ergot de seigle contaminé par Claviceps purpurea), de neurotoxicité, de tératogenèse et de mutagenèse chez l’animal. • Par inhalation, les controverses restent nombreuses, mais le rôle des mycotoxines a été démontré dans l’ODTS (organic dust toxic syndrom) des moissonneurs des grandes plaines des États-Unis en association à des endotoxines bactériennes. Elles sont de toute façon présentes sur des petites particules de l’environnement intérieur et peuvent pénétrer l’arbre bronchique. Elles contribuent à la formation des composés organiques volatils (COV) et quelques études épidémiologiques ont montré que la présence de mycotoxines dans la poussière de maison était associée à une détérioration de la fonction respiratoire et de la symptomatologie chez l’enfant asthmatique. Le Stachybotrys reste sous surveillance. Sa présence est de toute façon mal venue dans l’environnement intérieur. Il produit de l’hémolysine et on l’a impliqué dans la survenue d’hémosidérose chez des nourrissons exposés à Cleveland dans la fin des années 1990. Cela a cependant été contesté en raison d’un niveau de preuves insuffisant. • Expérimentalement, les effets immunosuppresseurs des mycotoxines s’exercent par différentes voies : cytotoxicité et blocage de la production de surfactant, destruction des macrophages, translocation au niveau de l’épithélium respiratoire produisant des effets systémiques cardiovasculaires. L’adhérence phagocytaire est réduite ainsi que la phagocytose, la production de dérivés oxygénés est réduite, de même que la bactéricidie des polynucléaires, la prolifération des lymphocytes est bloquée et l’apoptose est facilitée, ce qui contribue, in fine, à favoriser les colonisations fungiques et bactériennes. Désensibilisation aux moisissures Les études récentes effectuées selon la médecine basée sur les preuves et en double aveugle contre placebo ne concernent que l’Alternaria. • Pour la voie injectable, une étude polonaise publiée en 2011 concernait 50 enfants ou adolescents monosensibilisés à Alternaria et victimes d’asthme ou de rhinite. Ils recevaient soit des injections de l’allergène standardisé en Alt a1 et adsorbé sur hydroxyde d’aluminium, soit un placebo, et ce, pendant 3 ans. Une réduction significative des scores combinés symptômes médicaments était obtenue à 2 ans, puis à 3 ans. La tolérance était bonne puisque, sur les 1 689 injections, n’ont été notés que 4 réactions inflammatoires (1,1 %) sur le point d’injection et 1 cas de céphalées. Une seconde étude effectuée par une équipe turque sur 16 patients asthmatiques âgés de 7 à 45 ans recevant un extrait ALK ou un placebo pendant 1 an évaluait les scores de symptômes et de médicaments, mais aussi la fonction respiratoire et la réactivité bronchique à la méthacholine et à l’allergène. Les tests de provocation bronchiques étaient significativement améliorés au bout de 1 an (p = 0,03 et p = 0,006). L’inflammation bronchique, appréciée par l’éosinophilie de l’expectoration induite, était égale ment améliorée. • En voie sublinguale, deux études italiennes publiées en 2010 ont montré une réduction des scores de symptômes et des scores médicamenteux. La première concernait 27 patients de 14 à 42 ans victimes de rhinite allergique, associée ou non à un asthme, recevant pendant 10 mois un extrait allergénique glycériné Anallergo® avec une dose cumulative de 60 µg d’Alt a1 ou un placebo. La seconde était plus importante et comprenait 52 patients adultes traités pendant 3 ans par un extrait ALK ou un placebo. Les effets secondaires étaient minimes dans ces deux études : prurit buccal avec une seule sortie d’étude pour épigastralgie. Conclusion • L’étude des moisissures reste un domaine passionnant en allergologie, même si ces dernières gardent bien de leurs mystères. Une amélioration des tests diagnostiques de sensibilisation est souhaitable et les apports de l’allergénicité moléculaire demeurent décevants. Les moisissures sont un élément important de pollution de l’air intérieur et elles sont en cause dans la sévérité de l’asthme, en particulier chez l’enfant. • Même si elles demeurent parcellaires, les dernières publications sur l’ITS à Alternaria sont prometteuses et encouragent à des travaux prospectifs, notamment sur la voie sublinguale.
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