Publié le 03 mar 2015Lecture 8 min
Ce qu’il faut savoir sur les allergies aux fruits à coque
G. DUTAU, Toulouse
Les fruits à coque sont responsables d’allergies alimentaires, isolées ou associées à des allergies ou à des sensibilisations à l’arachide. Nous nous intéresserons ici à comprendre le mécanisme de ces allergies et leur évolution.
Qu'est-ce qu'un fruit à coque ? Les termes « fruit à coque » ou « fruit à écale »(1) peuvent être incorrects car ils désignent des fruits indéhiscents ou akènes (noisette, noix de cajou) ; les graines de fruits charnus indéhiscents ou drupes, appelés noyau (amande, noix, pistache, pignon(2)) ; et les fruits secs déhiscents ou gousses (arachide)(3). Néanmoins, ce terme, consacré par l’usage, comporte l’arachide (cacahuète), la noisette et les noix communes, la pistache, les noix exotiques, le sésame, diverses graines consommables (agrumes, citrouille, tournesol, pavot)(4), etc. Nous nous intéresserons ici aux fruits à coque à l’exclusion de l’arachide (la cacahuète). Les principales données sur la classification botanique des fruits à coque montrent que ces derniers appartiennent à des familles botaniques très variées (tableau 1). En sus de ces « fruits », diverses graines peuvent être responsables d’allergie alimentaire (AA) comme les pépins d’agrumes, les graines de citrouille, etc. Épidémiologie Aux États-Unis, S.H. Sicherer et coll.(1-3) ont estimé la prévalence de l’AA à l’arachide et aux fruits à coque à trois reprises (en 1997, 2002 et 2007) selon le même protocole (tableau 2). Chez les enfants et les adolescents jusqu’à l’âge de 18 ans, la prévalence de l’AA à l’arachide était de 1,4 % en 2007 contre 0,8 % en 2002 et 0,4 % en 1997 : elle a donc été multipliée par 3,5 en 11 ans. Le constat est identique pour la prévalence des AA aux diverses noix d’arbres : 0,2 % en 1997 ; 0,5 % en 2002 et 1,1 % en 2007, ce qui correspond à une multiplication par 5,5(1-3). Par contre, chez les adultes, la prévalence n’a pas augmenté. La fréquence de l’AA au sésame reste relativement faible (0,1 % en 2008)(3). La prévalence de l’AA aux fruits à coque, autres que l’arachide, varie selon les pays. En Australie, l’étude Melbourne Food Allergy Study donne le classement suivant chez les enfants de 2 ans : noix de cajou (0,33 %), noisette (0,18 %), noix (0,07 %), noix du Brésil (0,07 %), amande (0,02 %)(in 4). En France, le premier fruit à coque en cause est la noisette. Aux États-Unis, c’est la noix, alors que la noix du Brésil est dominante au Royaume-Uni. La fréquence et la gravité de l’AA à la noix de cajou semblent sous-estimées(5). Le pignon de pin pourrait être un allergène émergent(6,7). Les allergènes Le tableau 2 montre quelques allergènes des fruits à coque qui appartiennent à diverses familles : albumines 2S, protéines PR-10, profilines, protéines 7S (vicillines), protéines 11S, protéine léguminelike (tableau 3)(8-10). Ces communautés allergéniques expliquent les sensibilisations et les allergies croisées entre : – arachide et fruits à coque ; – fruits à coque entre eux ; – autres allergènes, pollens et fruits à coque. À titre d’exemples, la réactivité croisée est forte entre arachide et noisette, faible entre arachide et noix de cajou(in 4). On estime que 37 % des individus allergiques à un fruit à coque seraient allergiques à un autre de ces fruits(11). L’allergénicité de la noisette crue est plus importante que celle de la noisette grillée, diminuée mais non abolie par la torréfaction. Chez 17 patients allergiques à la noisette crue dont l’AA était confirmée à la noisette crue, 5 (30 %) avaient un test de provocation par voie orale (TPO) positif à la noisette grillée(12). Les symptômes cliniques Les symptômes de l’AA au fruits à coque sont ceux de l’allergie IgE-dépendante : cutanés (79 % des cas), respiratoires (56 %), digestifs (36 %), cardiovasculaires (9 %)(11). Toutefois, l’anaphylaxie a été souvent décrite pour certaines noix exotiques (noix du Brésil, de cajou, de Macadamia ou du Queensland), pour le pignon de pin, la pistache et le sésame. Ces anaphylaxies peuvent être prélétales ou même létales (noix de cajou et noix de pécan)(in 4). La fréquence des allergiques et des anaphylaxies aux fruits à coque est estimée entre 7,3 et 11,6 pour 100 000 enfants(13). Des études récentes portant sur de larges séries montrent la gravité de certaines AA, en particulier à la noix de cajou(5). Parmi 42 cas d’AA à la noix de cajou sans AA associée à l’arachide, 11 filles et 31 garçons âgés en moyenne de 2,7 ans (1,5-11 ans), les symptômes étaient cutanés (56 %), respiratoires (25 %) et digestifs (17 %) lors du premier épisode. Dix-huit de ces enfants avaient d’autres AA : pistache (7 fois), œuf (5 fois), moutarde (3 fois), crevette (2 fois) et lait de vache (1 fois). Le diamètre moyen de l’induration des prick-tests (PT) avec la noix de cajou fraîche était de 7 mm (3 à 16 mm). La valeur moyenne des IgEs était de 3,1 kUA/l (< 0,35 à > 1 000 kUA/l). Les tests de provocation par voie orale (TPO) ne furent effectués que chez 8 patients, l’histoire clinique étant évocatrice pour tous les autres cas(5). L’AA à la noix de cajou est aussi sévère que l’AA à l’arachide(5). On peut observer quelques particularités en fonction des fruits à coque en cause : l’AA au pignon se manifeste parfois par un angio-œdème laryngé. Figure 1. Forte positivité du prick-test au pignon cru (induration de 15 mm avec pseudopodes, érythème de 35 mm) chez une fillette de 6 ans ayant présenté plusieurs réactions allergiques : une urticaire et un bronchospasme après avoir mangé des pignons crus lors d’une promenade en forêt à 4 ans ; un SAO, un œdème de la langue et de la luette, une urticaire et un bronchospasme après avoir mangé un petit morceau de gâteau au pignon ou au touron à 5 ans ; une anaphylaxie sévère après la consommation d’un plat assaisonné de sauce pesto à 6 ans. Diagnostic Le diagnostic est relativement facile basé sur trois critères : – l’histoire clinique évocatrice ; – la positivité des prick-tests (PT) au « fruit frais » ; – et la positivité du dosage des IgEs. Toutefois, le test de provocation par voie orale (TPO) est nécessaire dans les situations douteuses : ingestion de plusieurs fruits consommés en même temps, positivité de plusieurs PT et/ou dosage d’IgEs ; discordance entre PT positif et IgEs négatives (la sensibilité du dosage des IgEs est parfois insuffisante) ; possibilité de contamination d’un fruit par un autre (allergie par procuration)(14). Le dosage des IgEs contre les allergènes recombinants est utile au cours de l’allergie à la noisette qui possède plusieurs allergènes, en particulier Cor a 1 (protéine PR-10), Cor a 2 (profiline), Cor a 8 (LTP), Cor a 9 (globuline 11S), Cor a 11 (viciline)(9,10). Les symptômes d’allergie à la noisette sont légers (SAO), systémiques (angio-œdème, urticaire, asthme) ou très sévères (anaphylaxie). Les profils cliniques sont identifiables par le dosage des IgEs contre les recombinants rCor a 1 er rCor a 8 actuellement disponibles : Cor a 1 est associé au SAO, Cor a 9 et Cor a 11 aux réactions systémiques, et Cor a 8 aux réactions sévères. Figure 4. Prick-test isolément positif à la noisette crue (10 x 21 mm) chez une fillette ayant présenté : 15 jours plus tôt, une urticaire généralisée simple après la consommation d’un bonbon ; une anaphylaxie sévère en consommant un gâteau. Le bonbon et le gâteau contenaient de la noisette. Les raisons de ces associations sont dues au fait que : – les profilines, peu stables, ne sont plus allergisantes en milieu digestif ; – les LTP, thermostables, sont surtout responsables des formes sévères. Ainsi, s’expliquent les différences d’allergénicité entre les noisettes crues et grillées, mais non constantes(12). Des symptômes allergiques à la noisette grillée font suspecter une allergie à la LTP (Cor a 8) et aussi à la protéine de stockage Cor a 9 (globuline 11S). Dans ce dernier cas, il existe habituellement une allergie croisée avec l’arachide(9). En cas de soupçon de réaction croisée entre plusieurs fruits à coque, il faut se baser sur la clinique (le patient a-t-il déjà toléré ou non le fruit sec en cause ?) et, au moindre doute, le TPO est indiqué. Une étude récente vient de montrer que deux critères permettent de prévoir un TPO positif chez les enfants âgés de 3 à 16 ans encore sensibilisés à l’arachide ou aux noix d’arbres (nuts) : – des antécédents maternels d’atopie (OR : 3,73 [IC 95 % : 1,31-10,59]) ; – des IgEs > 5 kUA/l (OR : 3,35 [IC 95 % : 1,23-9,11])(15) (encadré). Évolution Comme la plupart des allergies à l’arachide (en particulier sévères), l’AA aux fruits à coque est durable et implique une éviction stricte de principe. Dans la grande série déjà citée, aucun des enfants atteints d’AA à la noix de cajou n’avait guéri(5). Au cours des AA au pignon et aux noix, les sauces d’assaisonnement de type pesto doivent être soigneusement évitées. Il est préférable d’éviter aussi les huiles de noix ou de noisette qui, insuffisamment raffinées, peuvent contenir des quantités non négligeables d’allergènes, capables d’entraîner des réactions si le seuil réactogène est bas(in 4). Néanmoins, on manque de données sur le suivi des AA aux fruits à coque, ainsi que sur les essais d’induction de tolérance orale. Pour éviter les risques d’une ingestion accidentelle, la prescription d’une trousse contenant un stylo auto-injecteur d’adrénaline est indispensable. Les directives européennes précisent les fruits à coque à mentionner : amande (Amygdalus communis), noisette (Corylus avellana), noix (Juglans regia), noix de cajou (Anacardium occidentale), noix de pécan (Carya illinoinensis), noix du Brésil (Bertholletia excelsa), pistache (Pistacia vera), noix de macadamia et noix du Queensland (Macadamia ternifolia).
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