Thérapeutique
Publié le 03 mai 2016Lecture 8 min
Quelle place pour les AINS dans les infections ORL de l’enfant ?
C. FABER, Paris - D’après les communications de V. Couloigner (Paris), B. Gardini (Toulouse), R. Nicollas (Marseille), C. Blanchet (Montpellier) et S. Pondaven-Letourmy (Tours), lors du 122e congrès de la SFORL
Deux raisons essentielles justifient de s’intéresser aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans les infections ORL pédiatriques : d’une part, les réserves émises récemment sur l’utilisation des antalgiques forts, notamment la codéine chez l’enfant, impliquant une révision des protocoles d’analgésie sur laquelle travaille actuellement la Haute Autorité de santé (HAS) et, d’autre part, les craintes suscitées par les effets secondaires potentiels de ces médicaments. Les pathologies concernées par les recommandations élaborées dans ce contexte par la Société française d’ORL sont les otites moyennes aiguës (OMA), les adénites aiguës latérocervicales ou rétropharyngées, les pharyngites aiguës et les rhinosinusites aiguës.
La majorité des AINS, en particulier ceux utilisés en pédiatrie, appartient à la catégorie des inhibiteurs non sélectifs de COX-2. Les autres AINS sont soit des inhibiteurs préférentiels de COX-2, soit des inhibiteurs sélectifs de COX-2 (coxibs). Une deuxième classification des AINS reposant sur la compétitivité distingue les inhibiteurs compétitifs réversibles qui sont les AINS « classiques », les inhibiteurs compétitifs irréversibles pour lesquels une nouvelle synthèse protéique est nécessaire et les inhibiteurs compétitifs réversibles liés à la capture des radicaux libres. Quel que soit le mode de classement, l’élément essentiel à retenir est leur mécanisme d’action commun, à savoir la diminution de la production de prostaglandines. Sur le plan pharmacologique, les AINS utilisés chez l’enfant ont généralement une demi-vie courte (moins de 6 heures). Ils sont métabolisés essentiellement par le foie et éliminés par voie rénale. Pour certains d’entre eux, comme l’ibuprofène et le diclofénac, la métabolisation fait intervenir le cytochrome P450. La pharmacocinétique des AINS est linéaire, avec une concentration plasmatique maximale 1 h 30 après la prise orale d’ibuprofène ou de kétoprofène. Traiter la douleur Selon les recommandations de la SFORL, « l’objectif majeur des AINS est le traitement de la douleur. Les infections ORL pédiatriques les plus douloureuses et, donc, pour lesquelles les AINS pourraient être le plus utiles à titre antalgique sont les OMA et les angines » (recommandation n°1). Le caractère douloureux de ces infections est bien documenté. Il a notamment été objectivé par l’étude Gavroche menée sur des enfants âgés de 1 à 12 ans dans laquelle la médiane de la douleur était de 6/10(1,2). Dans les OMA, malgré une automédication préalable par des antalgiques de palier I, la douleur a été jugée sévère dans 76 % des cas chez les plus de 5 ans et 64 % chez les plus jeunes. Elle est également prolongée, sa durée médiane étant de 8 à 9 jours(3). Le traitement de la douleur est donc essentiel dans la prise en charge de l’OMA. En revanche, les experts notent que « le contrôle de la fièvre n’est pas un objectif prioritaire » (recommandation n°1). Un avis qui va dans le même sens que les recommandations de l’Afssaps 2005 stipulant « que la fièvre n’est qu’un symptôme – dont il ne faut pas avoir peur –, qu’elle n’entraîne que très rarement des complications et qu’il n’existe pas de traitement préventif des convulsions ». Pour les autres aspects des infections, la SFORL précise qu’« il n’existe aucune preuve d’une action des AINS sur la durée d’évolution de l’infection, la prévention d’une évolution infectieuse défavorable, la prévention de l’évolution vers une otite séromuqueuse en cas d’OMA » (recommandation n°2). Les données actuelles sur les effets antalgiques des AINS Les données les plus récentes sur les effets antalgiques de l’ibuprofène versus le paracétamol émanent d’une métaanalyse de 54 études menées dans différentes situations pathologiques incluant les OMA et les pharyngites(4). L’analyse du sous-groupe des études les plus valides en termes de méthodologie (études prospectives randomisées) montre que, toutes indications confondues, l’ibuprofène a un effet antalgique supérieur à celui du paracétamol deux heures après la prise. Dans les OMA et les pharyngites, plus spécifiquement, on dispose de deux études françaises prospectives randomisées. Celle menée dans les OMA n’avait pas trouvé de différence significative le deuxième jour(5). Cependant, contrairement au paracétamol, l’ibuprofène s’était révélé plus efficace que le placebo. Il est donc difficile de conclure à partir de cette étude, l’effectif étant probablement insuffisant pour démontrer formellement une supériorité de l’ibuprofène. Dans les douleurs des pharyngites, la seconde étude a révélé une tendance à une plus grande efficacité de l’ibuprofène par rapport au paracétamol(6). Elle indique également que l’ibuprofène améliore la douleur spontanée, la déglutition et le sommeil, alors que le paracétamol n’agit que sur les douleurs de la déglutition. Une autre étude pédiatrique fait état d’une efficacité antalgique similaire et, pour les deux molécules, supérieure au placebo(7). Enfin, aucune étude spécifique n’a été publiée sur l’effet antalgique des AINS dans les sinusites et les adénites. En ce qui concerne l’éventuelle potentialisation du risque infectieux des AINS, « il n’y a aucune preuve dans la littérature », mais la publication des séries ou des cas cliniques d’infections sévères chez des enfants ayant reçu des AINS doit inciter à la vigilance. Aussi, le traitement doit s’accompagner d’une surveillance de l’évolution des signes infectieux et s’arrêter si elle n’est pas satisfaisante. En cas d’apparition de nausées et de vomissements, la question se pose de savoir s’il s’agit de signes généraux liés à l’infection ORL ou d’un effet des AINS. Quoi qu’il en soit, il faut être particulièrement attentif aux signes évocateurs d’une déshydratation, notamment chez le tout-petit, avec le risque des complications rénales et d’hyperkaliémie, ainsi que celui d’hémorragie digestive. Comme tout médicament, les AINS ont des contre-indications et des effets secondaires dont il faut tenir compte lors de leur prescription. Un rappel des règles de leur bon usage a été publié par l’ANSM il y a deux ans(8). En pratique, les effets secondaires des AINS sont peu fréquents en ORL pédiatrique en raison de la durée du traitement et des doses délivrées. Ils sont, en effet, administrés à des doses antalgiques qui sont plus faibles que les doses nécessaires pour obtenir l’effet anti-inflammatoire. Indications et choix des molécules « Dans les infections ORL pédiatriques, les indications des antalgiques et leur choix dépendent du niveau de douleur », indiquent les experts (recommandation n°9). Ils préconisent de ne rien prescrire en cas de faible douleur (EVA* < 3 ou EVENDOL** < 4). En présence de douleurs moyennes (EVA entre 3 et 5 ou EVENDOL entre 4 et 7), le paracétamol est le traitement antalgique de première intention. Lorsque les douleurs sont intenses (EVA > 5 ou EVENDOL > 7), « il est recommandé d’associer le paracétamol à l’ibuprofène ou à un autre AINS ». À l’heure actuelle, cinq AINS disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant (tableau). Ils se présentent sous des formes galéniques différentes, dont certaines mieux adaptées à un usage pédiatrique que d’autres. Ce qui explique les différences d’âge dans les AMM. L’ibuprofène est la molécule de référence car c’est sur cet AINS disponible sous une forme galénique adaptée à la pédiatrie que la majorité des études ont été réalisées versusparacétamol mais aussi versus antibiotiques. Il doit être administré à la posologie de 20 à 30 mg/kg/j en trois prises au cours des repas, espacées d’au moins 6 heures, en traitement de courte durée. Selon le laboratoire qui le commercialise, le dosage est de 7,5 mg/kg (soit 4 prises pour la dose antalgique de 30 mg/kg/j) ou de 10 mg/kg. Le deuxième AINS facilement utilisable en pédiatrie est le kétoprofène qui a une AMM à partir de l’âge de 6 mois pour la forme sirop (pipette graduée en kg). Sa posologie est de 0,5 mg/kg/prise en 3 prises espacées d’au moins 4 heures, avec un maximum de 2 mg/kg/j, pendant 2 à 3 jours. L’acide niflumique doit être d’un usage restrictif dans les infections ORL de l’enfant, ce pour deux raisons : d’une part, pour sa forme galénique (suppositoires) : compte tenu des problèmes de biodisponibilité, la voie rectale n’est pas recommandée sauf en cas de vomissements incoercibles et en l’absence de voie veineuse ; d’autre part, les précautions figurant dans ses RCP à propos de cette indication incitent à la prudence(9). Des précautions similaires sont mentionnées dans les RCP de l’acide tiaprofénique(10). Le diclofénac n’a clairement aucune indication dans les infections ORL pédiatriques puisqu’il est réservé au traitement des rhumatismes articulaires et des dysménorrhées essentielles. À noter que l’acide acétylsalicylique, qui a une AMM à partir de 1 mois, n’est plus utilisé par les pédiatres depuis plusieurs années en raison du lien établie avec le syndrome de Reye, de sa forme galénique non adaptée (poudre à dissoudre) et des difficultés de conservation. EVA : *Échelle visuelle analogique EVENDOL : **ÉValuation ENfant DOuLeur
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