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Allergologie

Publié le 14 avr 2016Lecture 6 min

Allergologie moléculaire : de routine ou encore de la science ?

E. BIDAT, Service de pédiatrie, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt

Pour identifier la réactivité IgE du patient à des allergènes, l’allergologie moléculaire (AM) utilise les protéines allergéniques issues de la technologie ADNr recombinants ou de la purification de sources naturelles. En allergie alimentaire, l’idéal serait que l’AM permette le diagnostic d’allergie et non de sensibilisation, qu’elle prédise la sévérité d’une réaction ultérieure et qu’elle indique le pronostic de cette allergie alimentaire. Qu’en est-il aujourd’hui ?

La démarche en allergie alimentaire La base de l’enquête reste l’interrogatoire. L’exploration débute par les prick-tests cutanés, complétée par un dosage des IgE sériques spécifiques standard ou issus de l’allergologie moléculaire. Les atopy patch tests (APTs) n’ont d’intérêt que pour certaines manifestations cliniques digestives non IgE médiées (principalement pathologie à éosinophiles), ils sont inutiles en cas de manifestations immédiates IgE médiées (urticaire, vomissements, etc.). En cas d’allergie IgE médiée, on se contente souvent de l’histoire clinique, de la taille des tests cutanés en prick, du taux des IgE pour mettre en route, ou poursuivre, un régime d’éviction déjà institué à la suite d’une manifestation aiguë. Le test de provocation par voie orale (TPO) est effectué si la probabilité de diagnostic n’est pas forte, quand il est nécessaire de préciser la dose d’aliment déclenchant des signes, quand on désire tester la tolérance à l’œuf ou au lait cuit en vue d’une immunothérapie, ou ultérieurement quand il existe des arguments en faveur d’une éventuelle guérison. En cas de suspicion d’allergie non IgE médiée, l’enquête diagnostique repose uniquement sur un régime d’exclusion-réintroduction de 4 semaines. Le régime d’éviction est poursuivi s’il existe une amélioration franche des signes après exclusion et rechute lors de la réintroduction. Intérêt de l’allergologie moléculaire, les recommandations L’OMS-ARIA-GA2LEN(1) a précisé en 2013 que l’AM fournit des informations importantes, tout particulièrement dans le domaine de l’allergie alimentaire. Ce message est immédiatement suivi par le rappel majeur que tous les tests de sensibilisation IgE, y compris ceux issus de l’AM, doivent être interprétés en fonction de l’histoire clinique du patient, puisqu’une sensibilisation ne s’accompagne pas toujours d’une réaction clinique. Dans les dernières recommandations des Sociétés américaines d’allergologie(2), l’AM n’est pas systématiquement recommandée dans le diagnostic de l’allergie alimentaire. Il y est précisé que son intérêt est surtout établi dans l’aide au diagnostic de l’allergie à l’arachide et à la noisette. Aucun autre aliment n’est cité. En 2016, on peut rajouter l’intérêt de l’AM pour l’allergie à la noix de cajou. On est donc encore très loin du discours qui indique que l’AM permet d’évaluer le « risque de réaction clinique », que la positivité de certains composants est « associée à un risque de réactions sévères »(3). Certes, cette perspective est attrayante, mais malheureusement il ne s’agit que d’un risque et non d’une certitude. Il faut sans cesse revenir au document de l’OMS qui rappelle que les résultats sont à interpréter en fonction de l’histoire clinique du patient, puisqu’une sensibilisation ne s’accompagne pas toujours d’une réaction clinique(1). L’allergologie moléculaire pour arachide, noisette, noix de cajou La sensibilisation à rAra h2 est plus souvent associée à une réactivité clinique, mais la valeur seuil (cut off) à retenir varie suivant les études de 0,2 à plus de 40 kU/l(2). Cette différence de seuil est à rattacher à la variabilité des populations (âge, origine géographique, symptômes, etc.) mais aussi au critère retenu pour le diagnostic d’allergie. Dans une étude(5) effectuée chez des enfants sélectionnés sur la base d’un TPO en double aveugle, lorsque rAra h2 est > 14,4 kU/l, la probabilité que le TPO soit positif n’est que de 90 %. Pour une probabilité de 95 %, le seuil est de 42,2 kU/l. Il est impossible de trouver un seuil pertinent pour une probabilité de 100 % ! La sensibilisation aux trois composants rAra h1, 2 ou 3 a été associée à la gravité accrue des réactions chez certains sujets, en particulier par rapport à ceux sensibilisés à rAra h8 (Bet v 1 liées). Ces derniers éprouvent principalement des symptômes oraux d’allergie(2). Ces résultats obtenus dans une population ne sont pas confirmés dans d’autres populations. La sensibilisation à r Cor a 14 est associée à des symptômes objectifs lors des TPO à la noisette. Chez des enfants sélectionnés sur la base d’un TPO en double aveugle à la noisette, si Cor a 14 est > 47,8 kU/l, la probabilité que le TPO soit positif est de 90 %. Il est impossible de trouver un seuil pour une probabilité de 95 %(5). Afin d’éviter des faux négatifs, il faut coupler au dosage de n Cor a 9. Pour la noix de cajou, des IgE r Ana O 3 > 0,35 kU/l permettent d’affirmer l’allergie chez 93,9 % des patients. Les autres aliments L’AM apporte bien évidemment une aide diagnostique pour d’autres aliments. Une décision de régime, surtout s’il est contraignant, ne peut pas être portée au vu d’un seul résultat biologique. Les études en AM sont limitées, et des incohérences existent entre certaines(2). On ne peut passer ici en revue l’intérêt ou les limites de l’AM aliment par aliment, mais on peut prendre quelques exemples. Dans l’allergie aux crustacés, beaucoup d’espoir a été placé dans le diagnostic par la mise en évidence d’une sensibilisation aux tropomyosines. On sait aujourd’hui qu’à côté des tropomyosines, d’autres allergènes de mollusques ont un rôle très important : l’arginine kinase, l’hémocyanine, la chaîne lourde de myosine(6), etc. À ce jour, à notre connaissance, les tests avec différentes espèces de crustacés natifs, suivis d’éventuels TPO ou de réintroductions n’ont pas été égalés. Dans l’allergie aux poissons, les parvalbumines sont souvent en cause(3). En cas de réaction allergique à une espèce de poisson, la positivité pour une des parvalbumines testées nous a fait par le passé exclure toutes les espèces de poissons. On sait maintenant que si les IgE pour les parvalbumines sont positives, l’allergie à une espèce n’est pas toujours constante pour les autres(7). Ici aussi, à notre connaissance, les tests cutanés avec différentes espèces de poissons natifs, suivis d’éventuels TPO ou de réintroductions n’ont pas été égalés. L’AM couplée à la clinique L’AM peut nous aider pour décider du moment opportun du TPO. Pour la noisette ou l’arachide, les TPO sont souvent nécessaires, mais ils prennent du temps et ne sont pas sans risque. Grâce aux résultats de l’AM, par exemple, une probabilité de 70 % d’allergie à la noisette n’aura pas la même conséquence chez un enfant de 4 ans ayant une allergie prouvée à la noix, que chez un enfant de 2 ans sensibilisé à la noisette mais qui n’a jamais consommé de fruits à coque. Chez l’enfant de 4 ans, le résultat de l’AM permet de retarder le TPO, alors que chez celui de 2 ans il faut le faire(3). Conclusion L’AM est un outil prometteur dans le domaine de l’allergie alimentaire ; elle est utile à ce jour pour quelques aliments. Des études supplémentaires sont nécessaires pour définir l’utilité clinique de ces tests(2). L’expérience de l’allergologue reste la base de l’enquête en allergie alimentaire. Son expertise clinique, couplée aux résultats des tests de sensibilisation IgE, permet de décider du moment opportun de l’éventuelle introduction de l’aliment ou du TPO, et du choix de l’aliment à tester (cru ou cuit, pas exemple). Quelques microlitres de sang ne le remplacent pas.

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