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Profession, Société

Publié le 06 oct 2016Lecture 12 min

Allergie de la vigne au verre

F. LAVAUD*, P. CIARDELLI**, *Reims, **Marseille

Les allergies professionnelles du vigneron sont peu documentées, et cela de façon paradoxale compte tenu du nombre important d'agents susceptibles d'induire des manifestations allergiques. Elles sont en fait sous-diagnostiquées, sous-déclarées, et beaucoup de vignerons indépendants échappent aux contrôles systématiques de la médecine du travail ou de la MSA. Il s’agit par ailleurs d’une population rude, qui ne s’attarde pas sur des symptômes pouvant sembler anodins, ou considérés comme normaux du fait d’un environnement extérieur agressif. Les réactions d’hypersensibilité aux vins peuvent être d’origine non immunologique par leur teneur en sulfites, mais on connaît aussi de véritables réactions allergiques, beaucoup plus rares et dues principalement aux protéines de transfert lipidique (LTP).

Les travaux de la vigne Ils se déroulent tout au long de l’année (tableau 1). La période hivernale est la plus calme mais voit se succéder labour, arrachage des anciens plants, prétaillage et taille des pieds. Dès février-mars on effectue la taille, la coupe des greffons puis le greffage, la plantation de la jeune vigne et le liage, opérations manuelles longues et fastidieuses. En mai débutent les traitements phytosanitaires, l’ébourgeonnage, le relevage, le palissage et le rognage. La période des vendanges commence 100 jours après la floraison de la vigne, entre fin août et octobre. Ces travaux sont de plus en plus mécanisés, avec une évolution générale vers le « bio » et la réduction (relative) des produits phytosanitaires. Les agents biologiques utilisés sont notamment des prédateurs pour les acariens et la confusion sexuelle avec utilisation de phéromones pour les Cohylis et Eudemis mâles, dont les larves sont responsables de la pourriture grise. La réduction du désherbage se généralise parallèlement à une utilisation moindre des herbicides. Cependant, le travail humain et manuel reste important, avec un risque d’exposition à de nombreux allergènes d’extérieur. Les symptômes allergiques peuvent être aggravés ou associés à des cofacteurs irritatifs ou toxiques : soleil, vent, froid, pleurs de la vigne, jus de raisin, humidité, produits phytosanitaires, insectes piqueurs, alcool et tabac. Épidémiologie Quelques études transversales se sont intéressées aux maladies allergiques du vigneron. Elles sont cependant disparates et portent sur de faibles effectifs. Ainsi en 1999, une étude sud-coréenne retrouve 12 % d’asthmes professionnels chez des ouvriers vignerons et d’arboriculture. Les auteurs insistaient sur le rôle d’acariens phytophages (Panonychus ulmi).  En Afrique du Sud en 2007, une autre variété d’acariens phytophages est mise en cause, Tetranychus urticae, avec une prévalence de rhinite professionnelle de 24 %, et de 26 % pour l’asthme (207 vignerons). En Grèce, la sensibilisation des vignerons aux allergènes communs paraît im portante (64 %), avec 16 % des sujets sensibilisés à D.pteronyssinus. Une sensibilisation aux acariens de la vigne n’avait pas été recherchée. En Champagne, une toute récente étude réalisée chez les ouvriers vignerons retrouvait une prévalence de rhinite professionnelle de 23 %, mais uniquement 3 % pour l’asthme. La sensibilisation aux allergènes communs était importante, 45 % des vignerons, avec 6 % des sujets sensibilisés à Botrytis(tests cutanés positifs), et 16 % au pollen de vigne. Cette sensibilisation paraissait pertinente dans la moitié des cas. On note dans cette dernière étude un tabagisme important, de l’ordre de 55 % des sujets.   Produits phytosanitaires La France reste le premier utilisateur européen d’insecticides, acaricides, herbicides et fongicides (65 000 tonnes par an, soit 1/3 de la consommation européenne). Le réseau de toxicovigilance Phyt’attitude de la MSA signale que les viticulteurs et arboriculteurs sont à l’origine du plus grand nombre de signalisations d’effets pathologiques. Cela s’explique par une utilisation plus fréquente, une méconnaissance relative du risque, des appareils de protection respiratoire ou cutanée trop peu utilisés et un renouvellement des travaux dans l’année qui multiplie les expositions. Ainsi, les signalements concernent essentiellement les fongicides (34 %), les insecticides (31 %) et les herbicides (19,7 %). La pathologie respiratoire représente 9,7 % des symptômes décrits. Les symptômes respiratoires sont divers : syndrome d’irritation des muqueuses, syndrome de Brooks, alvéolites, asthme. L’imputabilité clinique et biologique reste très difficile avec absence de tests fiables de sensibilisation pour la composante allergique. Par ailleurs, les produits « bio » ne sont pas dénués de risques, et on relève des asthmes professionnels à la tétraméthrine, dérivé du pyrèthre, et au sulfate de cuivre de la bouillie bordelaise. Sans être exhaustif, les principaux agents responsables d’asthme professionnel demeurent les insecticides organophosphorés (parathion, dichlorvos, fenthion) et organochlorés (lindane). L’utilisation de ces produits est cependant en baisse, et beaucoup sont retirés du commerce. Les asthmes sont  reconnus comme maladie professionnelle par le tableau 45 du régime agricole. Si on connaît bien l’action inhibitrice des carbamates sur les cholinestérases avec accumulation d’acétylcholine, les effets pathogènes sont le plus souvent inconnus ou complexes et associés avec des effets pharmacologiques, irritatifs, toxiques ou immunologiques. Les mécanismes d’action sont alors divers et souvent intriqués entre des phénomènes toxiques (insecticides organophosphorés), irritatifs (herbicides bipyrilidés et chlorophénoxy, fongicides dégageant de l’isothiocyanate, dazomet, chloropicrine) et immunoallergiques (chlorothalonil, captafol, pyréthrinoïdes). Les rhinites sont fréquentes et il existe des relations entre rhinite allergique et phytosanitaires avec des facteurs de risque appréciés par odds ratio significatifs (de 1, 2 à 4). Les dermatoses sont favorisées par les conditions d’épandage, l’humidité, la macération et l’absence de port de gants efficaces. Les effets de sommation sont fréquents entre effets irritatifs (plus fréquents) et allergie. Là aussi, la réglementation est de plus en plus restrictive, avec des consignes d’utilisation strictes et le retrait du marché des produits les plus dangereux. Les fongicides demeurent les plus en cause, irritants et allergisants, et notamment le chlorothalonil (17 cas de dermites de contact répertoriés en France). Des photodermatoses sont décrites avec le bénomyl. Les produits herbicides sont les uns après les autres retirés du marché du fait de leur toxicité (Diquat, Paraquat) et le glyphosate (Roundup) est sous surveillance écologique. Il occasionne des brûlures et des irritations, mais son imputabilité reste controversée dans les dermites de contact. Les insecticides et acaricides ont quant à eux été impliqués dans des eczémas de contact (Dichlorvos, pyréthrinoïdes avec réactions croisées avec les lactones, ou propargite, surtout irritative). Le diagnostic allergologique repose sur les tests épicutanés qui doivent être réalisés dans des conditions très précises (tableau 2) et le plus souvent en unité spécialisée. Comme dans l’asthme, des tableaux de maladie professionnelle sont applicables. Allergènes spécifiques Les allergènes potentiels sont nombreux dans la vigne (moisissures, pollens, acariens phytophages, insectes), ainsi que dans les chais (moisissures, levures, composés soufrés, éthanol aldéhyde, agents clarifiants).   Moisissures Responsables de maladies de la vigne ou du raisin et de perte de productivité, les moisissures sont l’objet d’une lutte régulière de la part du vigneron. Elles peuvent cependant être favorables à la qualité du vin, sur certains cépages (comme Botrytispour le Sauterne). • L’oïdium est dû à Uncinula necator, ascomycète attaquant feuilles et rameaux au printemps avec apparition d’un feutrage blanc invasif. Les tissus attaqués prennent une teinte brune à l’automne et se dessèchent. Les grappes sont déformées avec des petits grains qui tombent ou un épaississement de leur pellicule, qui éclate. On n’a pas répertorié de sensibilisation à cette moisissure qui demeure néanmoins fréquente. • Le mildiou, causé par Plasmopara viticola, se développe sur les feuilles et les grappes, faisant apparaître une « tache d’huile » puis une fine poussière blanche. Les feuilles tombent ou prennent à l’automne un aspect tacheté de « mildiou mosaïque ». Sur les grains, déformation, dessèchement et flétrissures occasionnent le « rot gris » ou le « rot brun ». Le mildiou est favorisé par les pluies d’hiver ou de début de printemps, les printemps froids et la vigueur des souches. Chez le vigneron, des cas d’allergie professionnelle ont été décrits avec asthme et rhinite, et tests cutanés positifs à la moisissure. • Le Botrytis occasionne la pourriture grise de la vigne et du raisin. Il peut également être présent dans les chais. Moins destructeur, il est responsable d’une perte de productivité et peut altérer le goût du vin. Chez le vigneron, il s’agit sûrement de la moisissure la plus sensibilisante et responsable d’asthme, d’alvéolite, de rhinite, d’angio-œdème et d’eczéma. Le test cutané à Botrytis doit faire partie de la batterie utilisable chez un vigneron symptomatique. • Les autres maladies cryptogamiques ne sont pas connues comme pathogènes chez le vigneron. Citons le black rot, l’anthracnose, le rougeot (dû à Pseudopezicula tracheiphila), l’eutypiose (Eutypia lata), le rot blanc, l’excoriose (Phomopsis viticola)…   Acariens phytophages Ils appartiennent à la famille des Tetranychidae et l’ordre des prostigmates, donc assez éloignés des acariens de la poussière de maison. Ils sont du reste plus gros, visibles à l’œil nu (quelques dixièmes de millimètre), même si des sensibilisations  croisées avec les acariens de la poussière restent possibles, ne serait-ce que par le biais de la tropomyosine. Plusieurs espèces sont répertoriées : Panonychus ulmi (araignée rouge), Tetranychus turkestani et Tetranychus urticae (araignées  jaunes), Eotetranychus carpini, Tetranychus Mc Danieli (figure 1), Columeris vitis responsable de l’érinose, Calepitrimerus vitis responsable de l’acariose et Brevipalpus lewisi. Des allergies respiratoires et cutanées professionnelles ont été décrites pour Panonychus et Tetranychus, pour cette dernière espèce en Champagne et en Afrique du Sud. En Afrique du Sud, chez 207 vignerons (raisin de table), une sensibilisation à T. urticae a été dépistée chez 22 d’entre eux et une allergie respiratoire confirmée chez 9,5 % des sujets. La lutte biologique proposée en alternative des acaricides n’est pas sans risque, et on décrit des allergies respiratoires aux coccinelles et aux acariens prédateurs. Ainsi chez les pépiniéristes, on a pu observer 17,7 % de sensibilisation pour Phytoseilus persimilis et 14,6 % pour Hypoaspis miles, acariens prédateurs utilisés pour détruire les acariens phytophages.   Figure 1. Acariens phytophages : Tetranychus Mac Danieli.   Insectes Comme tout travailleur en milieu rural, le vigneron est plus exposé aux piqûres de guêpes, surtout en période de vendanges et au pressoir. D’autres insectes non piqueurs sont présents sur la vigne : eudemis, cochylis, eulia, pyrales, sphynx, noctuelles, cicadelles et thrips. Cependant, la relation dose-effet est importante, ce qui explique la faible incidence des symptômes et des cas d’allergie respiratoire répertoriés.   Pollens Le pollen de vigne est allergisant. C’est un pollen anémophile, mais la floraison ne dure que quelques jours et il ne peut être responsable que de pollinose de proximité (figure 2). La fleur de vigne est odorante et certains vignerons signalent rhinite ou conjonctivite coïncidant avec cette floraison. En Champagne, des tests cutanés positifs ont été notés chez 16 % des ouvriers vignerons explorés et une étude espagnole objective des tests de provocation positifs chez 9 sujets d’une cohorte de 200 vignerons. D’autres pollens moins spécifiques peuvent être en cause : graminées, armoise, ambroisie, fausse roquette dans le Sud de la France.   Allergie alimentaire au vin Le collage des vins, opération qui vise à le clarifier, peut se faire par différents moyens : gélatine alimentaire, colle de poisson (vessie natatoire), caséine, albumine animale (blanc d’œuf), bentonite (colle minérale provenant de cendres volcaniques). Les agents organiques utilisés sont des allergènes potentiels même s’ils ne persistent qu’à l’état de traces dans le produit fini. Des études réalisées chez l’animal et les patients présentant une allergie alimentaire n’ont finalement pu impliquer que la colle de poisson comme allergène potentiel. C’est pourquoi en 2007 cette dernière a été supprimée, tandis que la déclaration sur l’étiquette de présence de colles à base d’œuf et de lait est obligatoire depuis 2013, sans effet rétroactif. Le vin contient également des levures (Saccharomyces cerevisiae et bayanus) dont l’allergénicité est débattue comme allergène alimentaire, et une seule étude de 1988 souligne le rôle potentiel de l’énolase produite par ces levures dans des cas d’allergie respiratoire dans les chais. Le vin est riche en histamine et en sulfites, l’objet de cette mise au point n’est pas de revenir sur leur rôle pathogène. Rappelons seulement qu’en tant que contaminant alimentaire, les sulfites ne sont pas des allergènes et les réactions d’hypersensibilité observées chez certains patients obéissent à l’idiosyncrasie ou à des phénomènes pharmacologiques en cas de déficit en sulfite oxydase. Les vins sont cependant un des aliments les plus riches en sulfites (tableau 3) et leur consommation est déconseillée chez le patient intolérant. Reste le problème des protéines de transfert lipidique (LTP) et des autres allergènes alimentaires du raisin. Plusieurs études françaises, grecques et italiennes ont montré que  des allergies alimentaires au raisin étaient dues à une sensibilisation aux LTP ou à la thaumatine. Ces allergènes sont retrouvés dans certains vins, notamment les vins jeunes, mais seulement quelques cas ont été répertoriés chez des patients habitant les régions méditerranéennes, dans un contexte de sensibilisation multiple et importante aux LTP. Pour les auteurs, cette allergie au vin entrerait dans le cadre d’un syndrome LTP. Conclusion Pour conclure, il faut se souvenir que le vin est une boisson vivante et le fruit de multiples étapes débutant sur le pied de vigne. Il garde donc la trace des soins qu’on lui apporte et de son environnement. La présence de quelques pesticides et de cuivre peut y être détectée, même dans les vins « bio » mais toujours à des taux ne dépassant pas les limites normales autorisées. L’ochratoxine est pistée dans les vins du bassin méditerranéen, et des mesures  préventives sont appliquées depuis une quinzaine d’années.

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