Publié le 14 fév 2017Lecture 6 min
L’allergologie devient une spécialité à part entière
P. DEMOLY, président du Collège des enseignants d’allergologie ; Département de pneumologie et addictologie, hôpital Arnaud de Villeneuve, CHRU de Montpellier
Après un long parcours sans attache universitaire puis ancrée à l’immunologie clinique (dans le cadre du diplôme d’études spécialisées complémentaires [DESC] d’allergologie et d’immunologie clinique créé au JO du 10 février 2000), l’allergologie prend son envol comme spécialité universitaire à part entière (JO du 29 décembre 2016), rejoignant le groupe des si nombreux pays où c’est déjà le cas et souvent depuis fort longtemps (notamment 13 pays en Europe, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine).
Le DESC a permis dans son option "allergologie" de former une vingtaine d’allergologues par an depuis près de 25 ans, plus souvent médecins généralistes que spécialistes d’organes ou pédiatres. La capacité d’allergologie existe quant à elle depuis plus de 30 ans. En place dans 16 universités, elle forme une cinquantaine d’étudiants en deux ans, pour la plupart généralistes mais aussi médecins à diplôme étranger. Ces deux voies de formation ne permettent plus d’endiguer le flux de départs à la retraite des allergologues.
Les discussions avec les pouvoirs publics ont été longues mais fructueuses, il a fallu montrer le bien-fondé de notre requête, s’appuyer sur l’existant et se projeter dans l’avenir. Le Pr Benoit Schlemmer (dernier responsable de la réforme du troisième cycle) et le Pr François Lemoine (conseiller auprès du secrétaire d’état chargé de l’enseignement supérieur) ont été particulièrement à l’écoute. Il s’agit d’un effort collégial de toutes les forces de l’allergologie française et, à défaut de remercier tout le monde, je souhaite remercier les collègues universitaires immunologistes, notamment Jean-Daniel Lelièvre, Yvon Lebranchu et Jean-François Nicolas, internistes, notamment Luc Mouthon, pédiatres et spécialistes d’organes, notamment Jocelyne Just, Daniel Vervloet, Antoine Magnan et Alain Didier, et bien sûr nos collègues du Syndicat des allergologues et de l’Association de formation continue en allergologie, notamment Isabelle Bossé et Jean-François Fontaine, ainsi que les associations de patients allergiques, notamment Christine Rolland.
L’allergologie est créée dans le cadre d'un co-DES Médecine interne-Immunologie clinique (MIIC)/Maladies infectieuses et tropicales/Allergologie, avec une première année socle d’enseignement théorique commun, un semestre clinique en MIIC et un semestre en allergologie, deux années de phase d’approfondissement avec deux semestres cliniques en allergologie, un semestre dans les services permettant d’appréhender la transversalité de la spécialité (pédiatrie générale, pneumologie générale et/ou dermatologie générale et/ou service de biologie avec orientation en immuno-allergologie) et un semestre libre. La quatrième et dernière année est dite de mise en situation, des stages en libéral sont possibles. Il faut maintenant créer les modules d’enseignement à distance et agréer les services en veillant à l’équilibre sur le territoire national. C’est un chantier énorme pour le Collège des enseignants d’allergologie, que j’ai l’honneur de présider ; j’ai été élu fin 2015 et ai pris mes fonctions en avril 2016 pour quatre ans avec cette mission précise.
Cette création ouvre bien d’autres perspectives comme un enseignement en allergologie plus fourni dans le 2e cycle des études médicales et à l’examen classant national, un enseignement post-doctoral normé de type diplôme d’université pour les médecins thésés souhaitant une formation complémentaire en allergologie mais ne voulant pas s’engager dans deux années de capacité d’allergologie (qui pourraient d’ailleurs disparaître maintenant), une meilleure visibilité de la spécialité à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, auprès des agences de recherche, de la Caisse nationale d’Assurance maladie et des autres professions médicales. Dès la rentrée 2017, 30 internes pourront s'engager dans cette nouvelle filière.
Spécialistes d'organes... et allergologues
Les spécialistes en allergologie issus du DES doivent être capables de prendre en charge les patients souffrant d’allergies quels que soient leur âge, l’organe atteint et la pathologie allergique (respiratoire, cutanée, alimentaire, médicamenteuse, arthropode, anaphylaxie). Ils prendront le relai des allergologues actuels dits à exercice exclusif.
En parallèle, le ministère travaille sur les projets de Formations de spécialités transversales (FST) et un dossier complet de FST des maladies allergiques a été déposé. Il sera certainement sélectionné car plusieurs conseils nationaux des universités y tiennent ; ceci concernera la MIIC, la pneumologie, la dermatologie, la pédiatrie et peut-être l’ORL. Ces FST permettront à ces médecins de mieux prendre en charge les maladies allergiques de leur spécialité. Il ne dispense pas d’un enseignement de base de l’allergologie pour tous dans ces spécialités et c’est clairement l’autre avancée majeure de cette réforme pour nous.
Les nouvelles données d’épidémiologie des maladies allergiques devaient faire réagir les pouvoirs publics. Les spécialités doivent en effet pouvoir se faire et se défaire en fonction des grandes priorités de santé et des expertises, recherches et nouvelles organisations de soins doivent se mettre en place pour y faire face. Les allergies, à l'origine perçues comme des maladies rares, sont actuellement parmi les maladies en plus forte progression dans le monde. Il faut des médecins pour s’en occuper, des centres de recours hospitaliers et des universitaires pour animer la formation initiale (mais pas uniquement) et développer des programmes de recherche. Un formidable signal est envoyé par nos ministères, réjouissons-nous.
Une classification par l'OMS directement utile
Parallèlement, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu, dans sa 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM), les allergies (et hypersensibilités) comme un groupe homogène de maladies. Cette classification est destinée à promouvoir la comparabilité internationale, le traitement, et les présentations des statistiques officielles de toutes les maladies. Elle est utilisée dans plus de 100 pays, est disponible en 43 langues et est responsable de l’allocation d’environ 70 % des dépenses de santé dans le monde. En consolidant toutes les conditions allergiques dans une section unique de la CIM-11, plutôt que dans de multiples chapitres spécifiques de maladies d’organes (pneumologie, dermatologie, par exemple) et en introduisant les codes de maladies absentes (anaphylaxie, œsophagite à éosinophiles, par exemple) actuellement dans la CIM-10, ces maladies seront mieux analysées et suivies en termes de mortalité et de morbidité. Ce défaut a eu de lourdes conséquences quant à leur évaluation, leur suivi et l’allocation des ressources pour leur prise en charge. En fournissant les preuves techniques et scientifiques de la nécessité d’un changement, nous avons ainsi corrigé ce défaut et une section spécifique a été acceptée, intégrée puis confrontée avec succès aux groupes de travail des spécialités d’organes à l’OMS dans la version actuelle en ligne de la CIM-11.
J’ai plusieurs fois parlé d’« alignement favorable des astres », non pas que je sois superstitieux, mais pour souligner la multitude des freins à la création de la spécialité universitaire "Allergologie", freins qui sont tombés l’un après l’autre. Et j’aimerais pour conclure citer une phrase de M. Edouard de Rothschild, citation que j’avais notée lors d’une lecture improbable du Figaro du 24 novembre 2006 et qui disait si justement que « l’intelligence n’est pas une denrée rare, contrairement à la persévérance et au courage qui font la différence ». NOUS TOUS, avons été persévérants et courageux. Seul l’avenir nous dira si nous avons été intelligents… Bienvenue aux futurs nouveaux allergologues !
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