Publié le 11 mai 2017Lecture 6 min
L’immunothérapie allergénique : quelles perspectives ?
Pascal DEMOLY, Département de pneumologie et addictologie, hôpital Arnaud de Villeneuve, CHU de Montpellier*
Une immunothérapie est une stratégie thérapeutique non pharmacologique, qui consiste à renforcer, diminuer ou modifier l’état immunitaire d’un individu de façon à influer durablement sur l’histoire naturelle d’une maladie chronique et/ou proliférative(1). Celle-ci est à l’origine, ces dernières années, d’approches innovantes dans la prise en charge de pathologies inflammatoires sévères et de cancers.
De quoi parle t-on ?
Introduite en 1911 par Leonard Noon(2) pour le traitement des allergies aux pollens de graminées, l’immunothérapie allergénique reste l’unique traitement étiologique des maladies allergiques respiratoires. Parmi les nombreux termes utilisés pour la nommer, les académies américaines et européennes d’allergologie ont proposé que le terme « immunothérapie allergénique » (ITA) soit utilisé pour cette classe thérapeutique visant à induire une immunotolérance aux allergènes(3).
Deux types d’ITA sont actuellement utilisés en pratique clinique : l’immunothérapie allergénique sous-cutanée (ITSC) et l’immunothérapie allergénique sublinguale (ITSL). D’autres voies sont en développement. Les produits actuellement disponibles et ceux qui le seront dans les 2-3 ans à venir ont atteint des niveaux de preuve élevés. D’autres approches innovantes de l’ITA sont en cours d’évaluation dans le cadre d’études cliniques.
Quelle efficacité pour les produits actuels ?
Une soixantaine d’extraits allergéniques sont actuellement disponibles pour le diagnostic et le traitement des allergies respiratoires en France. Ils sont commercialisés par deux entreprises : ALK et Stallergènes Greer. Leur production, hautement contrôlée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), doit suivre les recommandations pour la préparation et la délivrance des allergènes préparés spécialement pour un individu (APSI)(4). Le choix entre les voies sous-cutanée et sublinguale varie considérablement en fonction de la disponibilité des extraits, l’obtention d’une autorisation, le lieu géographique (pour le reste du monde car pour plus de 8 patients sur dix c’est l’ITSL qui est pratiquée en France), le coût, les caractéristiques des patients, la préférence du médecin, ou celle du patient.
Dans le cas de l’asthme et de la rhinite allergiques (aux acariens pyroglyphides et à plusieurs pollens), de nombreuses études cliniques en double aveugle, contrôlées versus placebo ont démontré l’efficacité de l’ITSC et de l’ITSL dans la réduction des scores de symptômes et du recours à l’utilisation de médicaments, dans l’amélioration de la qualité de vie et dans l’induction de modifications favorables des biomarqueurs spécifiques(5). La taille de l’effet obtenu pour le pollen de graminées par exemple, à la fois avec l’ITSC(6) et l’ITSL(7) est au moins égale à celle obtenue avec un corticoïde local et nettement supérieure à celle d’un antihistaminique H1.
L’efficacité de 2-4 ans de traitement par ITSC ou ITSL perdure de 7 à 12 ans après son arrêt. L’ITSC et l’ITSL semblent en outre empêcher l’évolution de la rhinite allergique en asthme et le développement de sensibilisations à de nouveaux allergènes chez des sujets monosensibilisés(8). Des études comparant le rapport coût/efficacité entre les patients traités pendant 3 ans par ITA versus un traitement pharmacologique seul ont montré que l’ITA peut entraîner des économies pouvant atteindre 80 % 3 ans après la fin du traitement(9).
Quelle sécurité pour les produits actuels ?
Les réactions indésirables de l’ITSC peuvent être locales ou systémiques, pouvant conduire à des réactions anaphylactiques mettant en jeu le pronostic vital du patient. Dans une enquête pan-européenne prospective entre 2012 et 2014, ayant inclus 4 316 patients, 109 réactions (dont 20 anaphylaxies) chez 90 patients ont été colligées, en majorité liées à l’ITSC (89 %), sans aucun décès observé(10). La majorité des réactions systémiques (41 %) sont survenues dans les 30 minutes suivant l’administration de l’ITSC. Des réactions systémiques retardées sévères ont été rapportées. L’ITSL possède un meilleur profil de tolérance que l’ITSC, permettant ainsi une administration à domicile. Les effets indésirables les plus fréquemment observés avec l’ITSL sont des réactions locales (prurit de la cavité et des muqueuses buccales ou léger oedème local), survenant chez un tiers des patients dans les essais cliniques, généralement au cours des premiers jours du traitement et disparaissant ensuite au fur et à mesure de la poursuite du traitement sur 1 semaine maximum. Les réactions systémiques après ITSL sont peu fréquentes(11).
Quelles perspectives ?
Le développement ces dernières années des formes sublinguales comprimés est une avancée majeure, qui a permis l’obtention des premières autorisations de mise sur le marché pour deux comprimés de pollens de graminées en 2007 et 2010(12). Suivront les comprimés de pollens d’ambroisie, de bouleau, de cèdre du Japon et rapidement les comprimés d’acariens. L’efficacité de l’ITA aux principales sources d’allergènes aura alors atteint un bon niveau de preuves(3). Il existera encore des besoins non satisfaits pour les autres sources d’allergènes disponibles en ITSC et en ITSL gouttes, pour les mélanges de plusieurs allergènes, pour les preuves irréfutables des effets à long terme et pour la recherche de biomarqueurs prédictifs.
De nouvelles approches visent à améliorer l’immunogénicité de l’ITA sans augmenter son allergénicité et améliorer ainsi le profil du rapport bénéfice- risque. De telles approches associent une modification de l’extrait allergénique (naturels, recombinants, peptides), l’utilisation de nouveaux adjuvants (agonistes TLR-4, agonistes TLR-9, molécules de transport antigénique), ou la modification de la voie d’administration de l’extrait allergénique(3). Les premiers résultats cliniques chez l’homme sont encourageants pour certaines de ces approches. Les agents adjuvants qui induisent une réponse immunitaire innée, comme les agonistes des TLR, peuvent modifier l’équilibre entre les deux types de cytokines, de Th2 vers Th1, et donc réduire les symptômes des maladies allergiques. Des agonistes de 5 récepteurs TLR (TLR-1, 4, 7, 8 et 9) ont été particulièrement étudiés, avec et sans allergènes. Le monophosphoryl lipide A, dérivé du lipopolysaccharide trouvé sur la bactérie à Gram négatif Salmonella minnesota, adjuvant du TLR-4, a été associé à un extrait de pollens modifiés chimiquement, dits « allergoïdes », et utilisés avec un certain succès en Europe et au Canada en ITSC présaisonnière de courte durée (une injection sous-cutanée hebdomadaire pendant 4 semaines)(13). Des fragments courts d’ADN avec des motifs CpG (agonistes du récepteur TLR-9) ont été utilisés associés à des pseudoparticules virales (comme la protéine de capside du bactériophage Qb), avec ou sans allergène, au cours de plusieurs études cliniques dans la rhinite et l’asthme allergiques(3). Enfin, la fusion d’un allergène à une séquence de translocation (peptide TAT trans-activating transcriptional activator du VIH) et à une partie de la chaîne invariante humaine (générant une séquence modulaire de transport MAT), augmente considérablement l’efficacité de la présentation allergénique d’un vaccin contenant la protéine de poils de chats Fel d1. Dans une étude clinique, des injections intraganglionnaires tous les 3 mois de MAT-Fel d1 ont augmenté la tolérance nasale au cours d’un test d’exposition par un facteur 74 versus un placebo(14), induit une réponse des lymphocytes T régulateurs et augmenté plus de 5 fois les taux des IgG4 spécifiques, corrélée positivement avec la production d’IL-10.
La détermination et le clonage des protéines allergéniques permet maintenant de reproduire des allergènes entiers, des variants ou simplement des épitopes clés des lymphocytes T et B de façon à augmenter l’immunogénicité et/ou baisser l’allergénicité(3). L’utilisation en ITSC d’un mélange de 5 recombinants chez des patients souffrant d’allergies aux pollens de graminées(15) et du recombinant Bet v1a chez des patients allergiques aux pollens de bouleau(16) est encourageante. Un comprimé d’ITSL contenant Bet v1 est en cours de développement avec des premiers résultats positifs(17). Une stratégie différente consiste à injecter par voie intradermique des fragments peptidiques correspondant aux épitopes des lymphocytes T d’allergènes spécifiques qui sont trop petits pour fixer les IgE mais qui induisent une immunotolérance(18). Un programme complet concerne les allergies à divers pollens, aux acariens et aux poils de chat.
Article réalisé à partir de la Conférence de l’Académie nationale de médecine « Immunothérapies innovantes des maladies allergiques respiratoires », séances du 22 mars 2016.
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