Publié le 14 fév 2017Lecture 10 min
La pHimpédancemétrie œsophagienne des 24 heures : nouvel outil diagnostique du reflux
François BOBIN, service ORL, polyclinique de Poitiers
Comment réaliser la pH-impédancemétrie et pour quoi faire ? Cette mise au point présente les caractéristiques de ce nouvel outil diagnostique dans le reflux gastro-œsophagien à disposition des ORL et sa mise en pratique dans quelques cas cliniques.
Actuellement la pH-impédancemétrie œsophagienne (pHi) des 24 heures est le seul examen qui permet d’appréhender le reflux gastro-œsophagien (RGO) dans ses différents aspects, tant cliniques avec ses manifestations digestives et extradigestives(1), que physicochimiques avec ses composants acides et peu acides, liquides et gazeux. Jusque-là réservée aux gastro-entérologues pratiquant les explorations fonctionnelles digestives, la pHi peut être pratiquée par les ORL, sous réserve d’une formation technique et clinique à cet examen, dont l’interprétation des tracés est facilitée par la qualité des logiciels d’analyse mis à disposition.
Pourquoi la PHI ?
Le RGO, maladie la plus répandue de l’appareil digestif, est un phénomène physiologique lié au fonctionnement du tube digestif, mais il devient de plus en plus fréquemment pathologique, touchant comme une véritable épidémie 40 % de la population des pays développés, en rapport probablement avec leur comportement alimentaire(2). Les publications sur le RGO sont également « épidémiques », plus de 1 200 par an(3), avec deux points de vue, celui des gastroentérologues pour le RGO proprement dit et celui des ORL pour les manifestations extradigestives du RGO, allant jusqu’à différencier le reflux pharyngolaryngé (LPR pour les auteurs anglo-saxons) du RGO (GERD).
Anatomiquement, l’étanchéité de l’orifice hiatal est assurée par le sphincter inférieur de l’œsophage (SIO), simple épaississement de la couche musculaire lisse œsophagienne, développé sur une hauteur de 4 cm, mais sans véritable individualité anatomique, associé au ligament phréno-œsophagien qui le solidarise à l’orifice hiatal du diaphragme(4). La hernie hiatale par glissement, la plus fréquente, se caractérise par une ascension de l’œsophage abdominal dans le thorax entraînant une élongation du ligament phréno-œsophagien qui diminue son pouvoir de contention et favorise le RGO.
À l’inverse, le RGO pourrait causer, par des phénomènes inflammatoires chroniques, la rétraction de l’œsophage et l’ascension du cardia, et favoriser la hernie hiatale. La hernie hiatale par roulement, moins fréquente conserve l’angle de His et génère moins de RGO.
Plusieurs facteurs favorisent le reflux : dilatation de l’estomac par les aliments ou les gaz déglutis, ralentissement de sa vidange, dysfonction du sphincter pylorique, mais le mécanisme principal est représenté par la relaxation transitoire du SIO (RT-SIO)(5).
La RT-SIO, nécessaire à la déglutition des aliments, est physiologique lorsqu’elle dure moins de 8 secondes, et devient pathologique au-delà. Il s’agit d’un mécanisme actif sous la dépendance d’un réflexe vagovagual empruntant les voies parasympathiques du nerf pneumo-gastrique, et non d’un simple phénomène passif de dilatation ou de relâchement musculaire. La voie afférente du réflexe part des récepteurs sensoriels gastriques et pharyngés, suit le trajet du nerf pneumogastrique jusqu’au noyau du faisceau solitaire, puis repart du noyau moteur dorsal du vague vers l’effecteur moteur du SIO, avec plusieurs neuromédiateurs, GABA (action connue du baclofène), et sérotonine (plus récemment identifiée). Les noyaux du nerf pneumogastrique situés dans le plancher du 4e ventricule s’organisent en une véritable tonotopie. Ils reçoivent et intègrent des afférences du tube digestif, du système nerveux autonome (stress) et du cortex. Le contenu de l’estomac est malaxé dans sa partie inférieure, mais il stagne dans sa partie supérieure (fundus), réalisant une poche acide (acid pocket) dont le surnageant, au contact de l’orifice hiatal va pouvoir refluer lors des RT-SIO(6). Le contenu gastrique est une véritable soupe composée des sécrétions de la muqueuse gastrique, en premier lieu acide chlorhydrique et pepsinogène, rapidement transformé en pepsine, mais aussi de sécrétions biliaires qui refluent dans l’estomac par le sphincter pylorique, sels biliaires et bicarbonates qui tamponnent l’acidité(7). Le reflux biliaire, souvent mal connu, est mis en évidence en fibroscopie digestive par la stagnation de bile dans l’estomac et peut être mesuré objectivement par Bilitec 2000®, exploration peu répandue en pratique courante.
Le reflux est exploré couramment en clinique par la pHmétrie œsophagienne, filaire ou par capsule Bravo®, par la pH-impédancemétrie œsophagienne (pHi) et par la manométrie œsophagienne(8). La manométrie étudie la dynamique de l’œsophage et enregistre les phénomènes moteurs du SSO, de l’œsophage et du SIO, qu’elle soit conventionnelle : avec 4 à 6 capteurs perfusés, ou en haute résolution avec plus de capteurs et une représentation topographique par code couleur(9).
La pHmétrie objective les reflux acides liquides suivant des critères précis: le pourcentage de temps passé en 24 heures sous pH 4, nombre de reflux et de reflux longs (> 5 min), durée du reflux le plus long, score de DeMeester, mais elle n’identifie pas les reflux non acides ou gazeux.
Comment se déroule une PHI ?
Matériel
La pHi associe sur la même sonde une pHmétrie avec deux électrodes et une impédancemétrie, suivant les travaux de J. Silny (1991)(10) et leur première application clinique en 2001(11). L’impédance ou résistance au courant électrique entre deux électrodes sous tension, est mesurée en permanence. Elle est faible en cas de présence de liquide, on parle de chute d’impédance. Elle est au contraire forte s’il y a du gaz ou peu de liquide.
Les chutes d’impédance successives, enregistrées par la série de capteurs disposés sur la sonde et couplés deux à deux, réalisent un véritable train d’ondes lors du passage d’un bolus liquidien dans l’œsophage, qu’il soit descendant en cas de déglutition ou ascendant en cas de reflux. Le passage de gaz, ascendant ou descendant, est également objectivé par un train d’onde, mais avec des augmentations d’impédances successives.
Les boîtiers enregistreurs, les logiciels d’exploitation et les sondes sont commercialisés par trois principaux fabricants : Sandhill Scientific (boîtier ZepHr Comfor® et sondes Tec LPR®), MMS (boîtier Ohmega®) et Medtronic (boîtier Digitrapper® pH-Z® et sondes Versaflex Z®, développés à l’origine par Given Imaging puis Covidien) (figure 1).
Figure 1. Sonde de pHi de type 15 cm, 8 rings.
Les deux électrodes de pHmétrie sont distantes de 15 cm.
Pratique
Le patient doit être informé du but de l’examen, de son déroulement, avec si besoin des photos explicatives, des difficultés et incidents possibles et de sa prise en charge financière par l’Assurance maladie (sous le code HEQD002).
Un examen ORL est réalisé comprenant une fibroscopie nasopharyngée.
• L’examen. Le matin, après un petit-déjeuner léger, la sonde est introduite par voie nasale, sous anesthésie locale, parfois difficile du fait de l’anatomie des fosses nasales et du cavum, ou de reflexes nauséeux, d’une toux ou de vomissements parfois incoercibles, puis la sonde est fixée à l’orifice narinaire (figure 2). La sonde est connectée au boîtier enregistreur dont le fonctionnement est expliqué au patient, avec ses quatre boutons : prise de traitement, repas, coucher, marqueur d’événements.
Il est conseillé d’avoir une activité et une alimentation les plus habituelles possibles, mais un arrêt de travail de 24 heures est souvent nécessaire.
La sonde est parfois mal tolérée et peut être retirée avant la fin de l’examen. La gêne qu’elle entraîne est le plus souvent bien acceptée, sous réserve d’une bonne préparation et de la motivation du patient. La sonde est retirée 24 heures plus tard, le lendemain matin, le boîtier est connecté à l’ordinateur PC et le fichier d’enregistrement est chargé sur le logiciel Accuview®.
Figure 2. Sonde et boîtier enregistreur de pHi en place.
• Les résultats. Le tracé peut être lu devant le patient, qui pourra préciser certains événements enregistrés, les prises alimentaires, surtout hors des repas. Ce tracé présentera très concrètement la pathologie du reflux (figure 3). Le compte rendu semi-automatique est édité, complété par les conclusions et les propositions thérapeutiques.
Figure 3. Exemple de tracés de pHi.
Conditions
La pHi peut être réalisée soit sans traitement par IPP (inhibiteur de la pompe à protons), dans un but diagnostique du reflux, soit avec un traitement pour comprendre les raisons de son insuccès : reflux non acide et/ou reflux acide mal contrôlé, voire absence de reflux.
Pour la pathologie ORL, la sonde est placée assez haute avec le capteur pHmétrique proximal mis en place dans le pharynx ou le haut de l’œsophage et le capteur distal dans le bas de l’œsophage. Pour le RGO classique, la sonde est plus distale, avec le capteur supérieur placé dans le bas œsophage et le capteur inférieur dans l’estomac.
• Des définitions ont été établies. Un reflux est dit liquide lorsque l’impédance diminue de plus de 50 % ; il est gazeux lorsqu’elle augmente de plus de 50 % ; acide lorsque le pH est < 4, peu acide entre 4 et 7, et alcalin > 7. L’étude franco-belge de 2005 chez 72 sujets sains a établi le nombre total normal de reflux à 44 par 24 heures, dont 59 % acides, 38 % peu acides, 10 % alcalins, 52 % liquides, 48 % mixtes gazeux et liquides. Certains auteurs ont souligné que le consensus international sur les valeurs normales de l’impédancemétrie
œsophagienne était moins bien établi que pour la pHmétrie, aussi les relations temporelles entre les anomalies constatées lors de l’impédancemétrie et les manifestations cliniques supposées du reflux, dites associations symptomatiques, doivent être analysées avec le plus de précision possible, en s’aidant de l’interrogatoire du patient, du journal qu’il tient pendant les 24 heures de l’examen, et du marqueur d’événements du boîtier enregistreur.
Pourquoi faire la PHI ? Principales indications
La classification de Montréal de 2006(12) distingue les manifestations œsophagiennes du reflux qui intéressent le gastroentérologue, et les manifestations extra-œsophagiennes qui concernent l’ORL ou le pneumologue, dont certaines sont établies (toux, asthme, laryngite, pathologie bucco-dentaire) et d’autres probables (pharyngite, sinusite chronique, fibrose pulmonaire idiopathique, otites récidivantes)(13). La première description de manifestation ORL du reflux, l’ulcère de contact du larynx, a été publiée en 1968, puis la laryngomalacie en 1984, les érosions dentaires en 1995, et la toux chronique en 1993(14).
Toux chronique
La toux chronique (se manifestant depuis plus de 8 semaines, chez un patient non fumeur, sans traitement par IEC, avec radiographie du thorax normale) est fréquemment liée au reflux,par un mécanisme direct d’aspiration du liquide du reflux dans l’arbre trachéo-bronchique et indirect par réflexe vago-vagal empruntant les voies afférentes et efférentes du nerf vague(15). Au total, 86 % des toux chroniques ainsi définies seraient liées au reflux(16), mais le test thérapeutique par IPP à forte dose est d’efficacité inconstante et une pHi est alors indiquée, réalisée de préférence sous IPP, de façon à objectiver un reflux acide résiduel et surtout un reflux non acide, corrélé à la toux grâce au marqueur d’événements.
La toux chronique résistante aux IPP est fréquemment corrélée chez le patient cholecystectomisé à un reflux biliaire, objectivé comme non acide par la pHi, car la vésicule biliaire ne sert plus de réservoir à la bile qui est secrétée en permanence et reflue au niveau du pylore et de la cavité gastrique.
Pendant la durée de l’examen, la toux peut être paradoxalement améliorée, voire disparaître comme si l’on bloquait un arc réflexe qui pérennisait la toux.
Asthme
Les causes de l’hyperréactivité bronchique de l’asthme sont diverses : allergie, effort, infection respiratoire, agents irritants, parmi lesquelles le reflux est fréquent (71 %) mais difficile à corréler, car la crise d’asthme est moins bien individualisée qu’un phénomène de toux(17).
Le traitement par IPP d’épreuve et la pHmétrie étant décevants, la pHi peut être proposée dans l’asthme mal contrôlé, surtout nocturne.
Dysphonie
Le reflux est fréquemment évoqué en cas d’enrouement ou de dysphonie sans lésion laryngée véritablement explicative, comme l’a montré une enquête auprès d’ORL nord-américains, qui proposent d’associer à la prise en charge phoniatrique celle du reflux par IPP à forte dose en première ou en deuxième intention(18).
Une corrélation objective entre le reflux et les lésions laryngées a pu être proposée par P.C. Belafsky et coll.(19), « reflux syndrom index » et « reflux finding score », mais l’éventail des lésions observées n’est pas spécifique, à l’exception de l’érythème laryngé postérieur, lui-même peu sensible. Le traitement par IPP n’est pas beaucoup plus efficace que le placebo dans les études contrôlées, soulignant la forte composante fonctionnelle des dysphonies, mais la pHi permettrait une prise en charge moins empirique du reflux.
Brûlures pharyngées
Le reflux pharyngo-laryngé est fréquemment évoqué lors de phénomènes inflammatoires et douloureux du pharynx, mais le test thérapeutique par IPP peut décevoir avec un fort effet placebo. Dans ce cas, la pHi peut objectiver le reflux pharyngé, acide résiduel le plus souvent, grâce à ses électrodes proximales.
Globus pharyngé
Il est lié à une hypertonie du sphincter supérieur de l’œsophage et peut être associé à un reflux acide(20), parfois sensible aux IPP. Seule la pHi avec ses électrodes proximales peut l’objectiver.
Sinusite chronique
La sinusite chronique et le reflux sont deux pathologies fréquentes dont l’association peut être fortuite, mais la présence de pepsine recueillie par lavage nasal peut les corréler, de même que la pHmétrie(21). Par ailleurs, la persistance d’une inflammation naso-sinusienne après chirurgie endo-nasale bien conduite peut faire évoquer un reflux, dont le caractère acide est fréquemment objectivé par la pHi.
Pathologies bucco-dentaires
Le reflux est responsable d’érosions dentaires antérieures, d’usure de l’émail, de jaunissement des dents, malgré le rôle protecteur de la salive(23). L’halitose, en l’absence de pathologie buccale ou pharyngée explicative, peut être liée au reflux et la pHi est indiquée chez des patients handicapés socialement. Lors de cet examen, l’acidité paraît parfois « suspendue » au niveau pharyngé ou œsophagien proximal, sans atteinte de l’œsophage distal, faisant alors évoquer une origine buccale de l’acidification.
En conclusion
La pHi ouvre une nouvelle opportunité aux ORL pour la prise en charge étayée des manifestations du reflux, gastro-œsophagiennes et surtout pharyngo-laryngées, avec un examen assez bien toléré, pris en charge par l’Assurance maladie, et qui évite de prescrire des IPP à l’aveugle, voire à contre-emploi en cas de reflux biliaire.
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