BPCO
Publié le 15 fév 2019Lecture 5 min
Exposition professionnelle aux produits de nettoyage et BPCO - Existe-t-il un lien ?
Si le tabagisme reste la première cause de BPCO, 15 à 20 % de ces affections peuvent avoir une origine professionnelle et l’exposition à diverses substances majore la morbidité chez les patients atteints de BPCO. Les agents en cause sont de nature diverse : fumées, vapeurs, gaz et particules avec des études globales qui ont concerné la population générale ou des études spécifiques ciblées sur le type d’exposition. Ces études ont analysé des aéro-contaminants biologiques (agriculture, industrie textile) ou d’origine minérale (métallurgie, mines, bâtiment) ou chimiques avec peu d’agents identifiés — pesticides, solvants… et potentiellement les produits de nettoyage.
Difficultés d'appréhender les BPCO d'origine professionnelle
Les mécanismes et les rapports entre produits de nettoyage et asthme sont bien documentés (684 références PubMed en septembre 2018), mais seulement 65 documents concernent les liens entre produits de nettoyage et BPCO. Et si dans l’asthme, ces substances peuvent agir comme allergènes (parfums, terpènes, enzymes) ou irritants par stress oxydatif et inflammation neutrophilique, on ne connaît pas la physiopathologie pour la BPCO. On sait que dans l’asthme, l’exposition professionnelle est associée à une dégradation de la fonction respiratoire, mais ceci se voit aussi en dehors de l’asthme. De même, si au niveau individuel l’asthme professionnel peut être objectivé par des tests spécifiques, il n’en est rien pour la BPCO et il est difficile d’attribuer un rôle du poste de travail dans l’origine de la BPCO. Dans les études épidémiologiques, le temps de latence entre exposition et symptômes est relativement court pour l’asthme, de quelques jours à une dizaine d’années, il est de plusieurs décades dans la BPCO. Et l’asthme peut être défini par des questionnaires, alors que le diagnostic de BPCO nécessite une étude de la fonction respiratoire.
Études épidémiologiques
RHINE III. Une cohorte de 13 499 adultes originaires d’Europe du Nord, avec une moyenne d’âge 51,5 ans, a été évaluée sur la présence d’une BPCO ou d’une bronchite chronique par questionnaire et sur l’exposition professionnelle aux produits de nettoyage en nombre d’années.
UK Biobank. Ce travail mené au Royaume-Uni a inclus 228 614 sujets de moyenne d’âge 52 ans. La BPCO était définie sur des critères fonctionnels et l’exposition professionnelle concernait l’activité actuelle, codée selon la classification standard des activités professionnelles. Dans l’étude RHINE, le facteur de risque de BPCO (OR) était de 1,69 pour l’ensemble des participants et de 1,45 pour la bronchite chronique. Dans l’étude UK Biobank, le risque était de 1,43 pour la BPCO. Chez les nonfumeurs, l’OR était de 1,33 pour la bronchite chronique et dans l’étude UK Biobank il était de 1,38 pour la BPCO. Les résultats ajustés selon le sexe, l’âge, le tabagisme, le niveau d’éducation personnelle et parentale et l’IMC ont montré pour l’étude RHINE un OR de BPCO de 1,41 pour une exposition < 1 an et de 1,65 pour une durée ≥ 4 ans. Pour la bronchite chronique, le risque était de 1,04 et 1,84 pour les mêmes durées d’exposition.
ARIC. Menée aux États-Unis, cette étude longitudinale a recherché la relation entre l’exposition professionnelle aux produits de nettoyage et l’incidence des symptômes respiratoires et a évalué le déclin de la fonction respiratoire. Elle a inclus 8 967 sujets âgés de 45 à 65 ans et suivis pendant 3 ans. À 3 ans, le risque relatif de toux ou d’expectoration chroniques étaient de 1,85 et 2,28 et celui de voir apparaître une obstruction bronchique de 0,33.
ECRHS. Les résultats d’ARIC sont comparables à ceux d’une étude longitudinale de l’ECRHS publiée en 2018 qui a concerné 6 235 adultes et 22 centres. L’exposition aux produits de nettoyage était soit domestique et comprenait l’usage de sprays, soit professionnelle. Chez les femmes et par rapport à un groupe non exposé, le déclin du VEMS était significatif en cas d’exposition aux produits de nettoyage, que ce soit d’ordre domestique ou professionnel (p = 0,003) ainsi que celui de la CVF (p = 0,002). Les résultats étaient identiques si on excluait les patients victimes d’asthme et plus significatifs en cas d’exposition professionnelle. La mortalité chez les agents exposés aux produits de nettoyage a été évaluée sur 260 000 décès répertoriés en Belgique de 1991 à 2011. Le groupe de référence était constitué par des travailleurs non ma nuels. Le taux de mortalité par BPCO était plus élevé aussi bien chez les femmes que chez les hommes (2,20 et 2,45), l’association restant significative après ajustement sur le tabagisme et le niveau d’éducation. Les décès chez les employés exposés aux produits de nettoyage étaient également plus fréquents pour le cancer bronchique, les pneumopathies, les accidents vasculaires coronariens et cérébraux.
NHANES III. Chez le personnel soignant, l’étude NHANES III a retrouvé un risque de BPCO (VEMS < 80 % de la valeur théorique) de 1,8 chez les non-fumeurs et l’étude NHIS un risque de 1,57 chez les non-fumeurs et de 1,70 chez les femmes (évaluation par questionnaire).
Spécificités des produits et recherche de l'agent causal
L’utilisation professionnelle standard des produits de nettoyage et désinfectants expose à des lessives, de l’ammoniac, des acides (antitartre), des ammoniums quaternaires, des alcools et des parfums. Les produits utilisés dans les unités de soins sont plus spécifiques : aldéhydes (formaldéhyde, glutaraldéhyde), peroxyde d’hydrogène, chlorhexidine, chloramine T, oxyde d’éthylène, enzymes (ajoutées aux détergents). Ceci pose le problème des mesures préventives et du choix préférentiel des substances à cibler. Pour déterminer ce choix, on peut avoir recours à des questionnaires, des avis d’expert ou des mesures sur le lieu de travail (étude du poste de travail et des produits manipulés). Ceci nécessite des études sur de larges populations, ce qui peut gommer l’exposition à un produit spécifique, mais il convient également d’évaluer l’exposition à long terme (évaluation de toute l’activité professionnelle et souvent analyse rétrospective), par des analyses pertinentes et objectives. Par exemple, une infirmière travaillant en salle d’opération a une exposition qui peut être qualifiée « à risque moyen », mais si on considère son activité spécifique, le risque devient « haut » si elle nettoie les instruments et « bas » si elle n’a aucune activité de nettoyage. Selon le produit désinfectant, le risque de BPCO est différent ce qui a été montré dans une étude évaluant 582 cas de BPCO diagnostiqués chez 73 262 infirmières suivies de 2009 à 2017. Le risque de voir apparaître une BPCO est de 1,20 pour le formaldéhyde, 1,25 pour la glutaraldéhyde, 1,36 pour l’hypochlorite, 1,29 pour le péroxyde d’hydrogène, 1,32 pour les alcools, 1,33 pour les ammoniums quaternaires et 1,05 pour les enzymes.
ERS – Paris 15-19 septembre 2018. D’après la communication d’O. Dumas (Villejuif)
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