Publié le 26 mai 2019Lecture 6 min
Allergie ou poisson d’avril ?
Grégoire BENOIST, Caroline DUFROIS, service de pédiatrie générale et HDJ Allergies alimentaires, CHU Ambroise-Paré (AP-HP), Boulogne-Billancourt
Toutes les réactions survenant au décours d’un repas ne sont pas des allergies alimentaires. Comment distinguer une vraie d’une fausse allergie ? Quels en sont les mécanismes et quelle prise en charge impliquent-elles ? Caroline Dufrois et Grégoire Benoist font le point sur ces questions.
Vignettes cliniques
• Cas 1
Clarisse, 7 ans, présente une urticaire du visage 1 heure après un barbecue familial. Elle a consommé des filets de hareng accompagnés de ratatouille (tomates, aubergines, courgettes), ainsi qu’un plateau de fromages (emmental, camembert). Tous ces plats et d’autres espèces de poissons ont déjà été consommés sans réaction. Elle n’a pris qu’une seule fois du hareng.
Les tests cutanés sont négatifs pour le hareng, la moutarde, les laits de chèvre et de brebis. Les IgE disponibles sont également négatifs. Chacun de ces aliments est réintroduit sans réaction.
Diagnostic retenu : fausse allergie alimentaire de mécanisme histaminique reliée à la consommation d’aliments riches en histamine et histaminolibérateurs.
• Cas 2
Gabrielle, 12 ans, présente une urticaire généralisée avec douleurs abdominales légères 30 minutes après avoir consommé du thon pêché la veille par son oncle. Sa sœur a aussi un érythème du visage au cours du même déjeuner en plein air, attribué initialement à une insolation. Les tests cutanés et les IgE spécifiques sont négatifs pour le thon. Le test de provocation par voie orale, réalisé à 2 mois des faits comprenant du thon cuisiné, est bien toléré.
Diagnostic retenu : fausse allergie alimentaire reliée à une intoxication histaminique suite à une mauvaise conservation du poisson après pêche.
Histamine et fausses allergies alimentaires
Réactions alimentaires après ingestion de poisson
Une réaction au décours d’un repas n’est pas toujours une allergie. Après consommation de poisson, la survenue de symptômes peut être reliée à une authentique allergie : IgE-médiée (du syndrome oral à l’anaphylaxie), à un syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires (SEIPA) : vomissements itératifs, diarrhée de survenue différée ou à un mécanisme non immunologique : intolérance à l’histamine (cas 1), intoxication histaminique (cas 2).
Bases physiopathologiques
L’histamine est une amine biogène stockée au sein des mastocytes et basophiles. Libérée, elle est responsable de signes habituellement attribués à de l’allergie. Pour autant, la dégranulation de ces cellules peut ne pas être médiée par les IgE, mais par des stimuli non immunologiques. L’histamine est présente naturellement en quantité notable (et parfois variable) au sein de certains aliments (encadré) qui vont ainsi être responsables d’un apport exogène. Ces mêmes aliments sont par ailleurs souvent histamino-libérateurs, c’est-à-dire qu’ils favorisent la libération d’histamine endogène. L’histamine est thermostable et ainsi non influencée par la cuisson. La fermentation (fromage, saucisson, etc.), naturelle ou non, augmente la concentration d’histamine. La congélation précoce (poisson, viande, etc.) permet d’éviter sa production par des bactéries.
Une intolérance à l’histamine (cas 1) peut survenir en cas de défaillance des systèmes enzymatiques (principalement la diamine oxydase [DAO]) qui permettent sa dégradation ou encore en cas d’anomalie de l’absorption intestinale. La DAO semble moins active chez certains sujets prédisposés, ainsi que chez les jeunes enfants. La prise de médicaments inhibiteurs de la DAO (par exemple : AINS, amoxicilline et acide clavulanique, etc.) peut aussi expliquer la réactivité de patients. Dans ces situations, des signes sont observés après ingestion d’aliments riches en histamine à des doses tolérées par un sujet sain.
Une intoxication histaminique (cas 2) est reliée à un apport exogène d’histamine dépassant les seuils physiologiques de détoxification de la DAO. Le terme historique est la scromboïdose en raison des premiers cas décrits avec des poissons du sous-genre Scromboidae tels que le thon ou le maquereau, mais d’autres poissons peuvent être concernés. Un défaut de congélation rapide et/ou conservation explique la présence de bactéries responsables d’une décarboxylation de l’histidine, et ainsi d’une augmentation de la teneur en histamine du produit.
D’autres aliments riches en amines biogènes telles que la tyramine (par exemple, le chocolat) sont susceptibles également d’entraîner de fausses allergies alimentaires.
Signes cliniques
• En cas d’intolérance à l’histamine, on peut observer tous les signes d’une allergie alimentaire IgE-médiée mais leur intensité est habituellement légère. On constate souvent chez l’enfant un érythème péribuccal après consommation de produits riches en histamine (notamment emmental, aubergine, tomate, fraise), ce qui conduit à une consultation pour suspicion d’allergie. Si les poissons ont la particularité d’être en cause également dans les réactions allergiques, d’autres aliments comme l’aubergine, la tomate ou les fraises sont des allergènes plus rares.
• En cas d’intoxication histaminique, l’apport massif d’histamine est susceptible d’entraîner des signes plus significatifs. À la différence de l’intolérance à l’histamine qui est une réaction individuelle, on peut retrouver d’autres cas au cours d’un même repas, comme dans la situation présentée.
Démarche diagnostique
Le principal diagnostic différentiel est l’allergie alimentaire IgE-médiée. L’enquête allergologique est avant tout clinique et comprend une analyse détaillée des prises alimentaires lors du repas incriminé, ainsi que d’éventuels facteurs associés (médicaments, infection digestive intercurrente, etc.). Le diagnostic d’intolérance à l’histamine peut être aisément retenu en cas d’érythème péribuccal fugace après consommation d’une purée d’aubergines ou de tomates chez un nourrisson. Le dosage des IgE spécifiques n’est souvent pas utile dans cette situation. En cas de signes plus sévères, un dosage ciblé d’IgE peut argumenter le diagnostic. En cas de discordance, un test de provocation par voie orale (TPO) peut être proposé. Un dosage sanguin de la tryptase basale est parfois utile en cas d’épisodes répétés et significatifs pour écarter l’éventualité d’une pathologie mastocytaire.
Le diagnostic d’intoxication histaminique peut être évoqué en cas de symptomatologie notable et/ou concernant d’autres sujets ayant partagé le même repas (poisson, viande). Il pourrait être confirmé par l’augmentation de la concentration plasmatique d’histamine et dans les aliments suspects. Étant le plus souvent évoqué a posteriori, le diagnostic est plutôt argumenté par un test de provocation orale (TPO) alors négatif.
Principes de prise en charge
Le traitement symptomatique repose sur les mêmes médicaments que pour une réaction allergique, principalement un antihistaminique par voie orale. Même si la symptomatologie du cas 2 associe des signes appartenant à deux systèmes (urticaire et douleurs abdominales), il est exceptionnel d’avoir recours à la prescription d’un stylo d’adrénaline.
On recommande un régime alimentaire sans consommation excessive d’aliments riches en histamine (encadré) et/ou histamino-libérateurs, mais sans éviction spécifique. Dans le cas 1, l’enfant avait ingéré lors du même repas un grand nombre de ces aliments, entraînant probablement la surcharge de ses capacités enzymatiques. À noter, la grande variabilité de la teneur en histamine de certains des aliments cités comme l’emmental. Il convient d’éviter les cumuls et de privilégier les aliments frais ou congelés rapidement (poisson, viande), comme cela n’a pas été fait pour le cas 2 après la pêche. Chez certains sujets, ces fausses allergies alimentaires de mécanisme histaminique sont responsables d’urticaire chronique ou plutôt récurrente. L’enquête catégorielle alimentaire par une diététicienne est alors d’une grande aide, avec conseils de rééquilibration des repas.
Pour en savoir plus :
• Site internet : www.allergienet.com conçu par E. Bidat.
• Lefèvre S et al. Intolérance à l’histamine ou fausses allergies alimentaires de mécanisme histaminique. Rev Fr Allerg 2017.
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