Publié le 16 jan 2020Lecture 5 min
Immunothérapie en cancérologie ORL : les inhibiteurs de check-points immunitaires
Denis GALLAS, ORL, Groupe hospitalier public du Sud de l’Oise, Senlis-Creil
À la différence des traitements anticancéreux classiques comme la chimiothérapie ou les traitements ciblés, qui attaquent la croissance et la prolifération tumorale, l’immunothérapie vise à renforcer la réponse immunitaire anticancéreuse naturelle du corps humain contre les cellules cancéreuses. L’immunothérapie passive s’avère cliniquement la plus efficace actuellement, en particulier les inhibiteurs de points de contrôles immunitaires en oncologie ORL.
Les points de contrôles immunitaires
Les points de contrôles immunitaires constituent la défense naturelle de l’organisme contre l’auto-immunité excessive envers ses cellules saines, en désactivant le lymphocyte T, et en créant un équilibre permanent entre destruction des cellules pathologiques et non-destruction des cellules saines.
Les 2 principaux types d’inhibiteurs de check-points immunitaires disponibles en clinique actuellement sont :
– les anti-CTL4 (Cytotoxic T Lymphocyte Antigen 4) (ipilumab…). Le CTL4 est une immunoglobuline de type Ig G 1 produite puis fixée à la surface du lymphocyte T, intervenant précocement dans la réponse immunitaire, qui évite la réponse immunitaire excessive (auto-immunité non souhaitée mais aussi anticancéreuse). Son blocage renforce la réponse antitumorale ;
– les anti-PD-1 (Program Cell Death 1) (nivolumab, pembrolizumab…), et les anti-PD-L1 (Program Cell Death Ligand 1) (atezolizumab, durvalumab, avelumab…). Le PD-1 est une immunoglobuline de type Ig G 4, et le PD-L1 une immunoglobuline de type Ig G 1. PD-1 est normalement impliqué dans le processus de tolérance immunitaire, et ralentit la réponse des lymphocytes T lorsqu’elles arrivent au contact des cellules cancéreuses. Lorsque PD-1 se lie avec son ligand PD-L1 présent à la surface des cellules tumorales, leur liaison rend la cellule tumorale immunitairement invisible, en induisant une tolérance immunitaire et en bloquant l’apoptose tumorale. Toutefois, certaines cellules tumorales sont capables de fabriquer d’autres ligands, supprimant la réponse immunitaire. La découverte de CTL4 en 1992 a valu le prix Nobel partagé par P. Allison, et celle de PD-1 à T. Hondo en 2018 ;
– d’autres inhibiteurs de checkpoints immunitaires sont en cours d’essais cliniques.
Les résultats en ORL
• L’étude Checkmate 141(1) a montré une augmentation significative de la survie globale sous nivolumab, chez les patients ayant un carcinome épidermoïde ORL, en seconde ligne de traitement, en situation métastatique ou de récidive locale en progression sous sels de platine (versus, au choix de l’investigateur, méthotrexate ou cetuximab ou docetaxel) (figure 1). Médiane de survie globale sous nivolumab 7,5 mois vs 5,1 mois. L’efficacité du traitement était meilleure pour les cellules tumorales exprimant PD-L1 > 50 % et les HPV 16+.
Figure 1. Courbes de Kaplan Meyer pour la survie globale de l’essai Checkmate 141.
• L’étude Keynote 040(2,3) montre des résultats encourageants sous pembrozilumab dans le sous-groupe des patients ayant un carcinome épidermoïde ORL, en progression sous sels de platine, dont la tumeur exprime fortement le PD-L1 (> 50 % des cellules tumorales en immunohistochimie) (figure 2).
Figure 2. Courbes de Kaplan Meyer pour la survie globale, chez les patients avec une expression de PD-L1 > 50 %, de l’essai Checkmate 040.
• L’étude de phase 3 en 1re ligne Keynote 048 (ASCO 2019)(4) randomise 882 patients avec un carcinome épidermoïde récidivant ou métastatique (incurable localement) en 3 bras :
– monothérapie pembrolizumab ;
– pembrolizumab + chimiothérapie (6 cycles platine + 5FU) puis pembrolizumab seul ;
– protocole EXTREME (qui est actuellement la référence dans ce groupe de patients) : chimiothérapie (6 cycles platine + 5FU) + cetuximab puis cetuximab seul. Elle trouve une supériorité des protocoles pembrozilumab seul et pembrolizumab + chimiothérapie par rapport au protocole EXTREME en termes de survie globale et de moindre toxicité (figure 3). Cette différence est d’autant plus grande que le taux de cellules tumorales et des cellules de leur microenvironnement est élevé. Cette étude a de grandes chances de modifier le traitement de référence de ces patients. La FDA a donné son accord pour cette indication de première ligne.
Figure 3. Présentation de D. Rischin à l’ASCO 2019 Annual Meeting.
De multiples autres études sont en cours pour évaluer la place de l’immunothérapie, en première ou en seconde ligne, en traitement combiné avec les traitements classiques chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, ou en association anti-CTLA4 et anti-PD-1, en néoadjuvant, etc.
Les points d'incertitude actuels
Il s’agit de traitements coûteux et prolongés, avec de nombreux effets secondaires potentiellement graves, liés à leur mécanisme d’action, essentiellement de type auto-immun sur la totalité des organes.
À ce jour, seul le nivolumab (240 mg) est remboursé en France depuis juin 2018 pour l’indication ORL en seconde ligne de traitement. Le pembrolizumab a obtenu l’AMM européenne mais pas le remboursement en France. Cela nécessite de pouvoir sélectionner les patients qui seront répondeurs. La recherche de biomarqueurs d’efficacité est en cours, du fait du taux et de la durée de réponse variables au traitement. Elle est actuellement centrée sur la recherche en immunohistochimie de l’expression de PD-L1 à la fois sur les cellules tumorales, mais aussi sur le microenvironnement tumoral. Les taux de réponse semblent (logiquement) meilleurs lorsque les pourcentages de cellules tumorales expriment PD-L1 à plus de 50 %. Elle est encore mal standardisée, évoluant dynamiquement dans le temps, et souvent discordante entre les biopsies et les pièces opératoires. Par ailleurs, les carcinomes épidermoïdes ORL non HPV ont des taux de mutation et de délétion plus élevés. D’autres probables mécanismes de résistance sont encore inconnus. La collaboration avec les anatomopathologistes devient donc encore plus importante.
Enfin 20 à 30 % des patients vont avoir une progression précoce tumorale sous immunothérapie, sans raison actuellement identifiée. Cela nécessite donc de réaliser une imagerie précoce en début de traitement, en cas d’évolution clinique, pour les diagnostiquer. Cela n’obère pas l’efficacité d’une chimiothérapie ultérieure.
Une nouvelle arme thérapeutique
Au total, l’immunothérapie est une nouvelle arme thérapeutique, s’intégrant aux diverses modalités de traitement des carcinomes épidermoïdes ORL. La place et le calendrier de son insertion ou de son association avec ces traitements devraient rapidement évoluer dans les années à venir, dès que des biomarqueurs fiables auront été précisés, et les résultats des diverses études publiés.
Pour le choix du protocole thérapeutique, l’immunohistochimie va donc venir s’ajouter à la classification TNM, de la même manière que, assez récemment, le statut HPV pour les tumeurs oropharyngées. Le traitement personnalisé du cancer est donc en route, en attendant de probables avancées en génomique. Diverses études sont en cours pour d’autres histologies de cancers ORL.
Publié dans OPA Pratique
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