Allergologie
Publié le 15 mai 2020Lecture 11 min
Allergie aux piqûres de moustiques
Hervé HAAS, Urgences pédiatriques – Infectiologie, hôpitaux pédiatriques CHU de Lenval, Nice
Bien que des maladies graves puissent être transmises par les moustiques, les manifestations les plus fréquentes sont essentiellement liées à la réaction au moment du contact avec la salive des moustiques lors du repas sanguin. Les manifestations cliniques varient en fonction de la réponse immunoallergique de l’enfant, allant de simples papules prurigineuses à des réactions allergiques immédiates et/ou retardées parfois sévères, mais certaines réactions peuvent provoquer une confusion avec des dermohypodermites infectieuses. Hervé Haas fait le point sur ces réactions allergiques.
Les moustiques font partie de l’ordre des diptères et sont répartis en trois genres : Aedes et Culex dans les pays à climats tempérés, et les anophèles essentiellement présents dans les pays tropicaux. Ces moustiques sont responsables de piqûres et peuvent transmettre des maladies graves telles que les arboviroses comme la dengue, le chikungunya, le zika et surtout le paludisme pour l’anophèle. Cependant, les manifestations les plus fréquentes sont essentiellement liées à la réaction au moment du contact avec la salive des moustiques lors du repas sanguin.
Les moustiques
Les moustiques sont capables de détecter la chaleur et l’humidité émises lors de la transpiration des humains ou des animaux, ainsi que le CO2 et de nombreuses substances volatiles produites par l’homme qui déclenchent une réponse comportementale chez le diptère (les kairomones), et ce sur de longues distances (± 20 m pour le CO2). Les femelles sont immédiatement attirées par ces sources ainsi que par les couleurs foncées, surtout le noir, alors qu’elles sont repoussantes pour les mâles. Ce sont les femelles qui piquent. En France, les deux moustiques concernés sont les Culex et les Aedes, en particulier Aedes albopictus.
Culex : Cette espèce apprécie les eaux plutôt chaudes et stagnantes. L’espèce appelée « moustique domestique » vit dans les milieux urbains à températures douces disposant de gîtes larvaires comme les piscines mal entretenues, les flaques d’eau de pluie. Culex pipiens, l’espèce la plus commune en France, se trouve le plus souvent dans des eaux riches en matières organiques (fosses septiques, pièges à sable des bouches d’égout). Elle est aussi appelée « moustique urbain nocturne » ou encore « moustique de la chambre à coucher » en raison de sa préférence à piquer le soir ou la nuit.
Aedes albopictus ou moustiquetigre se caractérise par la présence d’une ligne longitudinale blanche en position centrale sur son thorax noir, visible à l’œil nu. Il doit son nom aux rayures sur ses pattes. Ce moustique se développe majoritairement en zone urbaine. La femelle pond dans les eaux stagnantes et principalement dans les gîtes créés par l’homme, comme les vases, soucoupes de pots de fleurs, gouttières mal vidées, vieux pneus, récipients abandonnés, mais aussi dans les flaques d’eau après les fortes pluies. C’est une espèce agressive qui pique de jour, avec un pic au lever du jour et un autre au crépuscule. Originaire d’Asie du Sud-Est et de l’Océan indien, il est en forte expansion à travers le monde, même en zone non tropicale. Le transport ou le stockage de vieux pneus, dans lesquels l’eau stagne toujours, semblent servir de véhicule principal. Aedes albopictus a réussi à s’établir dans le pourtour méditerranéen (nord de l’Italie et Espagne), mais aussi en France, entre 2006 et 2012, dans le sud-est et la Corse. Il a été identifié dans la région de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), en Ardèche, Aude, PyrénéesOrientales, Auvergne (Cantal), Lot-et-Garonne. Il progresse vers le nord et a même été détecté aux portes de Paris(1).
Manifestations cliniques
Il y a peu d’études concernant la prévalence de la sensibilisation à la salive de moustiques, celle-ci étant estimée à environ 18 %(2). Les manifestations cliniques sont différentes en fonction de la réponse immunoallergique de l’individu(3) :
réponse localisée, liée directement à la salive du moustique et la présence d’anticoagulants, de facteurs antiplaquettaires ainsi que des vasodilatateurs, ainsi que la libération locale de substances ayant un effet direct sur les mastocytes sans mécanisme allergique, mais par un phénomène d’histamino-libération. Les signes cliniques classiques sont l’association d’un prurit immédiat suivi d’une papule érythémateuse de quelques millimètres de diamètre survenant en quelques minutes et disparaissant en quelques heures ;
réactions d’hypersensibilité immédiate qui se présentent au début comme des réactions lo cales, mais avec un prurit plus intense et des lésions beaucoup plus étendues avec une papule de plusieurs centimètres qui peut perdurer plus de 24 heures. Le prurit peut persister plusieurs jours. Un œdème parfois très important peut accompagner la papule. Elles sont liées à la présence d’IgE spécifiques vis-à-vis des protéines salivaires du moustique. En plus des IgE, les IgG, et particulièrement les IgG4 et IgG1, semblent jouer un rôle important dans l’allergie. De ra res réactions anaphylactiques sont possibles, parfois à type de choc, ainsi que des bronchospasmes. Des urticaires généralisées ont été décrites essentiellement chez l’adulte ;
réactions tardives : les papules sont encore très prurigineuses, parfois d’aspect bulleux, voire hémorragiques ou nécrotiques. Elles apparaissent quelques jours après la piqûre et peuvent persister plusieurs jours et même plusieurs semaines. Ces papules peuvent être surinfectées lors du grattage provoqué par le prurit important. Les polynucléaires basophiles jouent un rôle important dans le déclenchement de cette hypersensibilité retardée de type IV, de même qu’une réaction IgE tardive. La présentation clinique peut varier du simple aspect de prurigo à des réactions marquées type vascularite aiguë avec douleur intense, gonflement, induration, œdème, voire hémorragie et parfois une nécrose semblable à ce qui est constaté en cas d’hypersensibilité de type III ou phénomène d’Arthus. Enfin, des réactions immédiates et tardives peuvent être associées chez un même individu.
Le syndrome de Skeeter a été plus récemment décrit avec des lésions très larges, rouges, très œdématiées, chaudes et douloureuses(4). Ce type de présentation est alors très difficile à distinguer localement d’une inflammation provoquée par une infection. Certaines localisations peuvent être très problématiques lorsque, par exemple, le visage est touché comme c’est fréquemment le cas chez l’enfant, provoquant un doute avec une cellulite de la face ou une ethmoïdite extériorisée (figure 1), ou alors une ostéomyélite dans le cas d’atteinte des extrémités. Ce doute est d’autant plus accentué qu’il peut exister une fébricule, en général de courte durée. La relation de cause à effet est difficile à établir, car l’intervalle entre la piqûre et l’apparition des réactions est souvent inconnu en raison du caractère souvent indolore et passé inaperçu de la piqûre. Les jeunes enfants, les immunodéprimés ou les nouveaux arrivants dans une zone infestée de moustiques, différents de ceux auxquels ils ont été préalablement exposés, sont à risque de réactions plus sévères. Enfin, il est classique d’assister, lors d’une nouvelle piqûre, à une réactivation des points de piqûre anciens qui redeviennent prurigineux et inflammatoires. La présence au centre des lésions d’une marque correspondant au site de pénétration de la trompe du moustique ou l’existence d’une trace de piqûre sur un autre site avec une réaction plus modérée peut orienter le clinicien (figures 2 et 3). L’aspect plus rare de la lésion en forme de comète a été décrit en Italie chez une adulte après une piqûre par Aedes albopictus.
Figure 1. Syndrome de Skeeter : œdème important pouvant simuler une dermohypodermite.
Figure 2. Même enfant avec une lésion associée plus habituelle du menton.
Figure 3. Trace de la piqûre au centre de la lésion
Une forme particulière a été décrite associant des réactions cutanées d’hypersensibilité à des signes généraux tels que malaise et de la fièvre, adénopathies et hépatosplénomégalie, liée à une infection chronique par le virus Epstein-Barr. Les manifestations cutanées sont particulières par leur aspect bulleux, clair ou hémorragique, pouvant évoluer vers la nécrose et l’ulcération, et laissant souvent des cicatrices. Après récupération, les patients sont souvent asymptomatiques jusqu’à une nouvelle piqûre de moustique. Certaines de ces formes évoluent vers un syndrome d’activation macrophagique quelques années après le début des signes d’évolution souvent fatale.
Évolution de la sensibilisation
K. Mellanby, en 1946(5), a décrit l’évolution naturelle des réactions allergiques en cinq stades au fur et à mesure que l’individu est piqué par les moustiques. Le premier stade correspond à l’absence de sensibilisation avec une réaction cutanée normale. Le deuxième stade correspond à celui des réactions retardées, puis le stade 3 est celui des réactions immédiates et retardées. Au stade 4, seules persistent les réactions immédiates. Puis une tolérance immunitaire s’installe correspondant au stade 5 où l’individu redevient aréactif. La taille des lésions cutanées est inversement proportionnelle à la durée d’exposition, de même que le taux d’IgG et d’IgE spécifiques d’extrait de glande salivaire. Cette évolution naturelle se réalise sur plusieurs années en fonction du nombre de piqûres reçues, l’immunisation se faisant de manière proportionnelle au nombre de piqûres, mais aussi en fonction du degré d’infestation.
Tests diagnostiques
Les tests par piqûres directes de moustique pourraient être considérés comme le gold standard des tests diagnostiques. Cependant, la difficulté d’obtenir des insectes femelles, le risque de transmission de maladies et le risque de provoquer une réaction sévère lors de la piqûre rendent cette technique inutilisable en routine. Cette méthode pourrait cependant être utile dans le domaine de la recherche.
Tests cutanés : comme les préparations d’allergènes sont fabriquées à partir d’extraits de corps entier du moustique (y compris tête et thorax), qui peuvent contenir peu de protéines salivaires et de nombreuses protéines non salivaires, certains auteurs ont suggéré que celles-ci pouvaient provoquer une nouvelle sensibilisation et d’autres effets secondaires. De plus, les tests actuellement commercialisés sont limités en termes de sensibilité et de spécificité. Une étude contrôlée de 7 tests d’extraits de corps entiers de moustiques a montré que certains de ces tests ne mettaient en évidence ni les réactions immédiates, ni les réactions retardées, tandis que d’autres produisaient des papules immédiates variant de 7,5 à 32 mm2 et des papules retardées de 2 à 36 mm2(6). Les tests cutanés à base d’extraits de corps entier ne permettent pas avec certitude de faire la différence entre les patients avec ou sans réaction immédiate et retardée.
Tests sériques : une étude réalisée chez des patients présentant des réactions allergiques cutanées sévères, voire systémiques, a montré que les tests ELISA d’extraits de salive de moustiques étaient plus sensibles et plus spécifiques que les tests sériques commercialisés de corps entiers de moustiques : le taux de positivité était de 56 % avec le test ELISA salivaire et de 25 % pour les IgE spécifiques chez des individus allergiques, contre 5 % chez les témoins négatifs(7). La moyenne des concentrations en IgE et IgG spécifiques de la salive de moustiques, testées en ELISA, était significativement supérieure chez les individus présentant des réactions immédiates versus ceux sans réaction, de même que chez les individus présentant des réactions retardées. Toutefois, la moyenne des index de stimulation de la prolifération lymphocytaire était significativement plus élevée uniquement chez les individus présentant une réaction retardée versus ceux n’en présentant pas(8).
Ces résultats suggèrent que les protéines de la salive de moustiques devraient être utilisées dans le diagnostic de l’allergie de moustique. Le diagnostic d’allergie aux insectes repose donc sur l’analyse pertinente de l’histoire et sur un examen clinique précis.
L’identification récente des principaux allergènes de la salive des moustiques et l’obtention d’allergènes recombinants devraient permettre d’améliorer le diagnostic. Plusieurs protéines ont été décrites en particulier dans la salive d’Aedes et certaines sont communes à plusieurs types d’Aedes. C’est le cas notamment de l’allergène r Aed a 1 qui fonctionne comme un anticoagulant, et de r Aed a 2, r Aed a 3 et plus récemment r Aed a 4, dont les fonctions restent à déterminer. Aed a 2 de A. aegypti a été trouvé dans 7 des 11espèces de moustiques étudiées. Le mélange de trois autres allergènes (Aed a 6, Aed a 8 et Aed a 10) semble identifier plus de 80 % des individus sensibilisés à A. aegypti, ce qui indique que ces allergènes de vraient être pris en compte lors de la conception d’un outil diagnostic amélioré de l’allergie aux moustiques. Ces protéines utilisées en prick-test peuvent déclencher des réactions immédiates et retardées chez les sujets sensibilisés(9,10,11). Actuellement, ces allergènes recombinants ne sont pas commercialisés.
Traitement
L’administration quotidienne d’un antihistaminique en prophylaxie, de préférence non sédatif, peut réduire la survenue de papules et le prurit. Par contre, les résultats sont contradictoires concernant l’effet sur les réactions retardées. Les corticoïdes topiques sont souvent appliqués au moment de la piqûre pour atténuer les manifestations. Les antileucotriènes ou la corticothérapie orale doivent encore faire l’objet d’études. Les patients atteints de syndrome de Skeeter peuvent être traités de façon symptomatique par des antipyrétiques et des antalgiques. Les antibiotiques ne devraient pas être nécessaires, sauf si une surinfection se produit. Le traitement le plus efficace est d’éviter d’être piqué. Cependant, sa mise en œuvre n’est pas facile. Le traitement prioritaire, car le plus efficace est celui des gîtes larvaires en les modifiant pour les rendre inaptes à la prolifération, voire en le supprimant. Ceci est recommandé pour les gîtes d’Aedes albopictus. Les gîtes les plus fréquents à supprimer sont les zones de stagnation d’eau (soucoupes de plantes, vases, récupérateurs d’eau de pluies non protégés d’une moustiquaire, etc.). Le traitement insecticide contre les moustiques adultes doit être géré par des spécialistes pour limiter l’impact environnemental.
En zone d’infestation importante ou en cas de réactions majeures ou sévères, la prévention des piqûres par l’utilisation d’un produit insectifuge est un élément important. En Europe, les insectifuges recommandés chez le nourrisson à partir de l’âge de 6 mois sont le Citriodiol® , l’IR 3535® et à partir de 2 ans, la picaridine (ou KBR 3023). Le risque d’effet indésirable grave est rare, souvent dû à une mauvaise utilisation, et essentiellement en relation avec la neurotoxicité du DEET dont la concentration doit être adaptée en fonction de l’âge (tableau)(12). Les huiles essentielles de plantes utilisées de façon traditionnelle (citronnelle, lavande, thym, géranium, clou de girofle, etc.) n’ont pas l’efficacité et la rémanence des insectifuges de synthèse. L’imprégnation des vêtements et de la moustiquaire d’insecticides pyréthrinoïdes peut éventuellement se faire en complément.
L’immunothérapie contre le venin d’hyménoptère est à ce jour le type le plus efficace d’immunothérapie, avec un taux d’efficacité d’au moins 90 %. Bien que des extraits de moustiques soient disponibles dans le commerce, au cun n’a été ap prou vé pour une utilisation en thérapie aux États-Unis, ni en France. Cependant, l’efficacité de l’immunothérapie utilisant des injections d’extraits de corps entier a été rapportée pour prévenir les réactions allergiques aux piqûres ultérieures(13). L’identification des allergènes recombinants de la salive croisant pour les différentes espèces de moustiques devrait permettre d’améliorer à l’avenir le traitement par immunothérapie des réactions aux piqûres de moustiques invalidantes chez les patients allergiques.
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