Publié le 06 mai 2020Lecture 6 min
Inhibiteurs de la pompe à protons et allergie IPP, une famille parfois responsable de réactions allergiques et cofacteurs potentiels de l’allergie
Alain LACHAUX, Service de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques, Hôpital Mère-Enfant, CHU de Lyon, Bron ; Université Claude-Bernard Lyon I, Faculté de médecine Lyon-Est, Lyon
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) inhibent la sécrétion acide gastrique. En raison de leur efficacité et de leur bonne tolérance, ces molécules sont très largement utilisées, soit lors de prescriptions, ou par automédication (l’oméprazole et le panto prazole sont en vente libre). Ils peuvent être responsables de réactions d’allergie immédiate ou retardée. Leur structure chimique commune explique la possibilité d’observer des réactions croisées entre les différentes molécules.
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des molécules inhibitrices de la sécrétion d’acide chlorhydrique par les cellules pariétales de l’estomac(1). Ils ont pour cible les enzymes effectrices de la sécrétion acide situées au pôle apical de la cellule pariétale qui sont appelée les pompes à protons. Il s’agit de molécules d’ATPase H+/K+ gastriques. Les IPP sont constitués d‘un même noyau benzimidazole substitué, leur structure varie selon la nature du substitut présent sur le noyau pyridine et benzimidazole.
Dans l’environnement acide (pH 2) des canalicules intracellulaires des cellules pariétales gastriques, les molécules d’IPP sont transformées en composés actifs qui se fixent ensuite sur l’ATPase bloquant de façon irréversible son activité. La sécrétion acide gastrique est alors stoppée le temps que de nouveaux enzymes soient synthétisés, soit en moyenne, chez l’adulte, pendant 24 h. Ce mécanisme explique que l’inhibition de la sécrétion acide est dose-dépendante et qu’habituellement une prise quotidienne d’IPP est suffisante sous réserve que l’IPP soit normalement absorbé. Tous les IPP fonctionnent donc comme des prodrogues qui n’agissent pas directement par contact avec la muqueuse gastrique mais uniquement après absorption intestinale et distribution dans l’organisme. Administrés sous forme non gastro-résistante, les IPP se transforment en métabolites actifs dans l’estomac mais sans qu’une concentration suffisante soit obtenue au niveau des canalicules sécrétoires des cellules pariétales.
Il faut aussi noter que les IPP n’ont pas d’effet sur les ATPases (H+, K+) extragastriques du rein et du côlon. Cette donnée est expliquée par le fait que les IPP ne sont actifs qu’en milieu acide. Les patients présentant des maladies hépatiques non décompensées et/ou une insuffisance rénale modérée ainsi que les sujets âgés peuvent donc être traités avec les posologies habituelles. Les enfants de moins de 1 an ont parfois besoin de posologies plus élevées (1,5 à 2 mg/kg/j pour l’oméprazole) mais on note aussi une grande variabilité interindividuelle.
L’utilisation de ces molécules est simple et leur profil de tolérance excellent quelle que que soit la molécule. Les effets indésirables les plus fréquents sont les céphalées et des troubles digestifs (douleurs abdominales, constipation, diarrhée, nausées/vomissements). Des réactions allergiques, des atteintes hépatiques et rénales sont possibles mais rares. En cas de traitements prolongés, il est possible d’avoir une baisse de l’absorption de la vitamine B12, du fer et du calcium, ainsi qu’une baisse du taux sanguin de magnésium. Il est aussi rapporté une augmentation du risque d’infection intestinale (Clostridium difficile), d’allergies alimentaires (allergènes non dégradés dans l’estomac) et de pneumopathies communautaires.
Les cinq molécules commercialisées en France sont l’ésoméprazole, le lansoprazole, l’oméprazole, le pantoprazole et le rabéprazole(2). Il existe une équivalence d’efficacité entre les différents IPP (par exemple 10 mg d’oméprazole est équivalent à 20 mg d’ésoméprazole). Chez l’enfant seul l’oméprazole, l’ésoméprazole, et le pantoprazole ont une AMM.
Les IPP sont des benzimidazoles substituées administrés par voie buccale sous une forme gastrorésistante avec un délitement intestinal. Il existe une présentation d’oméprazole et d’ésoméprazole pouvant être administrée par voie intraveineuse. Il n’y a pas de différence d’efficacité ni de tolérance entre les IPP permettant de recommander un IPP plutôt qu’un autre dans une indication donnée. En matière de dose standard journalière le traitement d‘attaque par IPP des maladies liées à la sécrétion acide gastrique varie entre 20 et 40 mg /jour. Les IPP ont trois indications principales, le traitement du reflux gastro-oesophagien et de l’oesophagite par reflux gastro-oesophagien ; la prévention et traitement des lésions gastroduodénales dues aux antiinflammatoires non stéroïdiens chez les patients à risque ; le traitement des ulcères gastroduodénaux et l’éradication d’Helicobacter pylori.
Les réactions allergiques aux IPP
Des réactions d’hypersensibilité immédiates IgE-dépendantes sont décrites chez l’adulte et chez l’enfant. Elles peuvent être modérées sous forme d’urticaire généralisée, ou sévères sous forme d’un oedème de Quincke ou d’un choc anaphylactique(3). Les réactions d’hypersensibilité retardées sont aussi possibles mais plus rares. Il s’agit essentiellement de toxidermies : érythème maculopapuleux, syndromes de Stevens-Johnson ou de Lyell, DRESS, pustuloses exanthématiques aiguës généralisées et d’atteintes rénales(3).
En cas d’allergie avérée, une sensibilisation croisée entre les différents IPP est fréquente car les différents IPP ont une structure chimique proche. Il peut s’agir d’une réactivité croisée avec une sensibilisation croisée à tous les IPP ou une réactivité croisée partielle. En cas de nouvelle exposition le patient s’expose au risque de récidive(3,4). En cas de suspicion d’allergie, cette donnée impose de réaliser un bilan allergologique avant toute nouvelle administration d’IPP. Il est important de noter que les prick-tests peuvent être négatifs aux cours de certaines anaphylaxies de grade III, dans cette situation on discutera la réalisation d’un test de provocation par voie orale(4). Par contre, on peut noter qu’il n’a pas été décrit de réactions croisées avec les antifongiques azolés qui sont aussi des imidazolés.
Les allergies au support doivent être distinguées des allergies aux IPP(3). En effet, compte tenu des nombreuses présentations de cette classe de médicament issue de processus de fabrication différents cette possibilité peut aussi être envisagée. Le bilan allergologique permettra d’identifier d’éventuelles exceptionnelles manifestations d’allergie en relation avec les ingrédients de la capsule ou les excipients servants de supports à la molécule d’IPP.
Les IPP inducteurs et cofacteurs d'allergie(5)
Il a été rapporté le fait que la prise d’IPP au long cours, en particulier chez le jeune enfant, pouvait favoriser la survenue d’allergies alimentaires. Ce phénomène serait expliqué par le fait que la suppression de la sécrétion acide gastrique limiterait la dégradation des allergènes dans l’estomac.
Plusieurs publications suggèrent aussi que les IPP pourraient, chez l’adulte comme chez l’enfant, favoriser la survenue de l’asthme en augmentant la susceptibilité aux infections et/ou en modifiant la dégradation de protéines qui favoriserait l’inflammation bronchique et l’hyperréactivité bronchique.
Conclusion
• Il faut retenir q u’en cas de prise d’IPP, la survenue de réactions d’allergie immédiate ou retardée est possible mais très rare.
• En cas de polyprescription médicamenteuse (antibiotiques, anti-inflammatoires…), cette possibilité ne devra pas être occultée par la prise d e mo lécul es connue s pour être plu s fréquemment mise en caus e po ur ex pliquer des réactions allergiques.
• La prise en charge allergologique permet de confirmer le diagnostic et de rechercher une sensibilisation croisée.
• La mise en évidence du profil de sensibilisation est indispensable pour pouvoir proposer une alternative au sein des différentes molécules d’IPP.
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