Publié le 15 oct 2021Lecture 7 min
Induction de tolérance médicamenteuse
François LAVAUD, Reims. D’après la communication de M. Castells (Boston) CFA 2021
Comme chaque année, le jeudi matin du Congrès francophone d’allergologie est dédié à des conférences données par des experts internationaux sur des thèmes d’actualité où ils sont référents. Cette année, Mariana Castells, enseignante-chercheuse au Brigham and Women’s Hospital de Boston a fait partager son expérience sur les allergies médicamenteuses et les inductions de tolérance aux médicaments. Et qui plus est, elle s’est exprimée en français.
RÉACTIONS AUX VACCINS ANTI-SARS-COV-2
Plusieurs types de réactions sont possibles, des réactions immédiates, IgE ou non IgE-médiées et des réactions retardées survenant quelques heures après l’injection. La composition des vaccins à ARN messager est commune aux vaccins Pfizer et Moderna et ils contiennent du polyéthylène glycol et le polysorbate est présent dans les vaccins Johnson, AstraZeneca et le vaccin Sanofi en cours de développement. Ces vaccins peuvent induire une anaphylaxie après la première dose. La fréquence des réactions d’hypersensibilité immédiate est un peu plus importante avec le vaccin Moderna comparé au vaccin Pfizer (2,20 % vs 1,95 %). L’anaphylaxie est rare avec 1 cas sur 250 000 injections, 7 cas rapportés pour le vaccin Pfizer et 9 pour le vaccin Moderna dans une série de 64 900 vaccinations. Dans cette série, les patients victimes d’anaphylaxie avaient une moyenne d’âge de 41 ans, étaient essentiellement des femmes (94 %) avec des antécédents allergiques (63 %) et 5 patients présentaient des antécédents anaphylactiques (31 %). Les symptômes sont apparus en moyenne au bout de 17 minutes et 1 patient fut transféré en réanimation. Observées avec ces 2 vaccins, les réactions retardées peuvent être des réactions locales importantes, prurit, érythème, rash palmaire, survenant lors de la première dose, disparaissant ou s’atténuant sous prémédication lors de la deuxième injection. Il est conseillé de mesurer les taux de tryptase lors des réactions anaphylactiques et à distance, et d’effectuer des tests cutanés au PEG et au polysorbate. En dehors des allergies documentées au PEG ou au polysorbate, il n’y a pas de contre-indication générale à la vaccination en cas d’antécédent d’allergie ou d’anaphylaxie ou de désordres d’activation mastocytaire, ainsi les vaccins à mARN contre la Covid-19 sont bien tolérés chez les patients victimes de mastocytose cutanée ou systémique.
RÉACTIONS ALLERGIQUES AUX MÉDICAMENTS
Chaque médicament a un profil unique de réactivité qui dépend de sa structure chimique, de l’interaction avec le système immunitaire et des caractéristiques du patient dont sa génétique.
Les réactions d’hypersensibilité allergique de types II et III ne justifient pas de protocoles de désensibilisation et pour les réactions de type IV on considère uniquement les rashes maculo-papulaires. Il faut éviter de désensibiliser à tort des patients déclarés allergiques et qui ne le sont pas réellement. Dans la population générale, 20 % des patients sont diagnostiqués « allergie à la pénicilline», ce qui aboutit à utiliser des médicaments plus chers, donnant plus d’effets secondaires avec des hospitalisations prolongées, et des complications. Ceci concourt aussi à augmenter les résistances aux antibiotiques. Ces patients doivent être évalués par bilan allergologique et on ne dépiste alors que 5 % de véritables réactions allergiques.
La désensibilisation ne se fait que lorsque le bilan allergologique confirme la responsabilité du médicament, par exemple par tests cutanés. Les tests sont applicables y compris pour les anticorps monoclonaux et les sels de platine. Pour ces derniers, le dosage d’IgE spécifiques est un apport utile et les réactions croisées sont peu fréquentes. Le test d’activation des basophiles (CD 63 et CD 203c) donne également des résultats intéressants.
Plus récemment, une plateforme de nanoallergènes sur base de polyéthylène glycol a été développée pour la détection des allergies aux sels de platine.
Parfois, ce sont les solvants qui sont en cause, notamment dans les réactions d’hypersensibilité aux taxanes où le crémophor et le polysorbate 80 ont été impliqués par activation du complément avec déclenchement de réactions atypiques dont des phénomènes douloureux où la voie des kinines est également impliquée.
Pour les réactions mixtes ou médiées par les cytokines, le dosage de l’IL-6 lors de la réaction allergique par rapport à la valeur basale a récemment été intégré parmi les outils diagnostiques. Ces réactions sont associées à de la fièvre, une tachycardie, une élévation de la tension artérielle et de la fréquence respiratoire. On observe aussi une légère désaturation en oxygène. Dans les réactions mixtes tryptase et IL-6 sont élevées.
PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA DÉSENSIBILISATION AUX MÉDICAMENTS
La désensibilisation fait intervenir plusieurs mécanismes et en particulier l‘inhibition de l’activation en bloquant la libération de médiateurs préformés et les flux calciques. La désensibilisation est spécifique de l’antigène médicamenteux. Il s’agit en fait d’une accoutumance.
Elle demeure une procédure à risque, nécessitant l’administration d’un médicament potentiellement létal chez un patient hautement sensibilisé. De ce fait, elle est réservée à des patients en état critique dont le pronostic dépend de la prise d’un médicament pour lequel ils ont présenté une réaction allergique sévère. Il ne doit pas y avoir d’alternatives thérapeutiques où ces alternatives ont montré moins d’efficacité que le traitement de première ligne. La désensibilisation reste un phénomène temporaire, spécifique de l’antigène. Aucune diminution des taux d’IgE spécifiques ni d’inhibition hapténique ou de déplétion des médiateurs mastocytaires ne sont objectivés. Elle est effectuée avec des doses croissantes répétées à concentrations suboptimales du médicament et une fois que la tolérance est obtenue, elle doit être entretenue par l’administration continue du médicament.
Plusieurs protocoles existent dont un protocole commun de désensibilisation par voie intraveineuse. En principe les doses doivent être doublées toutes les 15 minutes. Le protocole se déroule en 16 étapes en débutant avec une dilution du 1/1 000 perfusé en 15 minutes au débit de 2,5 ml/h, puis 15 minutes 5 ml/h, 15 minutes 10 ml/h et 15 minutes 20 ml/h. les mêmes débits et durée de perfusion sont effectués avec une dilution du médicament de 1/100 puis avec une dilution de 1/10 les étapes sont les suivantes : 15 minutes 5 ml/h, 15 minutes 10 ml/h, 15 minutes 20 ml/h et 15 minutes 40 ml/h. Avec la dernière perfusion du médicament donné à la dose normale non diluée on pratique les étapes suivantes : 15 minutes 10 ml/h, 15 minutes 20 ml/h, 15 minutes 40 ml/h et 2,9 heures à 80ml/h. La durée totale de ce protocole est de 6,7 heures, elle peut être réduite à 5,7 heures en débutant, dans certains cas, directement avec la dilution 1/100. Une prémédication est nécessaire, par antihistaminiques H1, les corti-costéroïdes n’ayant aucun intérêt. Parfois, on utilise des antileucotriènes et des antihistaminiques H2, plus rarement de l’aspirine et des myorelaxants.
CAS PARTICULIERS
Pour l’omalizumab, le protocole est indiqué en cas de réaction modérée à sévère et par voie sous-cutanée. Pour les réactions légères, une tentative de prémédication avant l’administration normale du médicament peut être envisagée et si elle échoue, on passe à la désensibilisation. Les réactions cutanées sévères et les maladies sériques ne justifient pas sa mise en route.
Le protocole comporte 2 à 7 étapes espacées de 30 minutes sous prémédication. Le protocole en 7 étapes débute avec 3 mg puis 6, 12, 24, 68, 96, et 111mg. Le médicament est dilué dans 0,24, 0,48, 0,96, 0,19, 0,18, 0,77 et 0,89 ml. Pour le protocole en 2étapes, deux fois 150 mg sont injectés, pour le protocole en 3 étapes ce sont 30, 90 puis 120 mg et pour le protocole en 4 étapes 30, 60, 90 puis 120 mg. Douze patients ont pu bénéficier de cette désensibilisation à Boston. Après la dernière dose, le patient reste surveillé 2 heures. Durant la désensibilisation, les symptômes ont été contrôlés, nuls ou très légers chez 10 des 12 patients.
Les désensibilisations ont pu être envisagées pour les molécules suivantes: fer, quelques monoclonaux, étanercept, doxorubicine, aspirine, dérivés du plasma, chimiothérapies, corticostéroïdes, progestérone, que ce soit des phénomènes d’hypersensibilité IgE-médiés, ou non IgE (cytokiniques, mixte, hista-minolibération, activation du complément) ou de type IV.
TOLÉRANCE
La tolérance de la désensibilisation a été évaluée chez 370 patients et 2 177 protocoles. Pour 74 % des cas, le protocole s’est déroulé sans réaction, pour 19 % on a observé une réaction légère de grade I, pour 3% une réaction de grade II et pour 4 % de grade IV. Les molécules concernées étaient le rituximab, le paclitaxel et le carboplatine.
EFFICACITÉ
Sous désensibilisation, l’efficacité du traitement est obtenue, avec pour les patients cancéreux une espérance de vie identique ou prolongée, une amélioration de la qualité de vie dans les maladies inflammatoires chroniques et la mucoviscidose, chez les intolérants à l’aspirine une amélioration de la perméabilité nasale, une réduction des prises de corticoïdes et de la chirurgie pour polypes, les patientes allergiques à la progestérone peuvent envisager une grossesse.
Les coûts ne sont pas plus élevés que ceux des traitements standards.
CONTRE-INDICATIONS
Les contre-indications sont les réactions cutanées sévères, les vascularites, les maladies sériques, alors que des protocoles peuvent être envisagés dans l’asthme non contrôlé, les instabilités hémodynamiques, les pathologies cardiaques mal contrôlées, la prise de traitements bêtabloquants et les anaphylaxies sévères.
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